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son peuple. Des gens toujours corrigeant, ou toujours corrigés, qui instruisoient toujours et étoient toujours instruits, également simples et rigides, exerçoient plutôt entre eux des vertus qu'ils n'avoient des égards.

PROPRIÉTÉ PARTICULIÈRE AU GOUVERNEMENT

DE LA CHINE.

Les législateurs de la Chine firent plus1; ils confondirent la religion, les lois, les mœurs et les manières : tout cela fut la morale, tout cela fut la vertu. Les préceptes qui regardoient ces quatre points furent ce que l'on appela les rites. Ce fut dans l'observation exacte de ces rites. que le gouvernement chinois triompha. On passa toute sa jeunesse à les apprendre, toute sa vie à les pratiquer. Les lettrés les enseignèrent, les magistrats les prêchèrent. Et, comme ils enveloppoient toutes les petites actions de la vie, lorsqu'on trouva le moyen de les faire observer exactement, la Chine fut bien gouvernée.

Deux choses ont pu aisément graver les rites dans le cœur et l'esprit des Chinois : l'une, leur manière d'écrire. extrêmement composée, qui a fait que, pendant une trèsgrande partie de la vie, l'esprit a été uniquement3 occupé de ces rites, parce qu'il a fallu apprendre à lire dans les

1. Voyez les Livres classiques dont le P. du Halde nous a donné de si beaux morceaux. (M.)

2. A. B. L'une, la difficulté de l'écriture, qui a fait que, pendant une très-grande partie de la vie, l'esprit en a été uniquement occupé, parce qu'il a fallu, etc.

3. C'est ce qui a établi l'émulation, la fuite de l'oisiveté, et l'estime pour le savoir. M.)

livres, et pour les livres qui les contenoient; l'autre, que les préceptes des rites n'ayant rien de spirituel, mais simplement des règles d'une pratique commune, il est plus aisé d'en convaincre et d'en frapper les esprits que d'une chose intellectuelle.

Les princes qui, au lieu de gouverner par les rites, gouvernèrent par la force des supplices, voulurent faire faire aux supplices ce qui n'est pas dans leur pouvoir, qui est de donner des mœurs. Les supplices retrancheront bien de la société un citoyen qui, ayant perdu ses mœurs, viole les lois; mais si tout le monde a perdu ses mœurs, les rétabliront-ils? Les supplices arrêteront bien plusieurs conséquences du mal général, mais ils ne corrigeront pas ce mal. Aussi, quand on abandonna les principes du gouvernement chinois, quand la morale y fut perdue, l'État tomba-t-il dans l'anarchie, et l'on vit des révolutions.

CONSÉQUENCE DU CHAPITRE PRÉCÉDENT.

y

Il résulte de là que la Chine ne perd point ses lois par la conquête. Les manières, les mœurs, les lois, la religion étant la même chose, on ne peut changer tout cela à la fois. Et comme il faut que le vainqueur ou le vaincu changent, il a toujours fallu à la Chine que ce fût le vainqueur car ses mœurs n'étant point ses manières; ses manières, ses lois; ses lois, sa religion; il a été plus aisé qu'il se pliât peu à peu au peuple vaincu, que le peuple vaincu à lui'.

Il suit encore de là une chose bien triste : c'est qu'il n'est presque pas possible que le christianisme s'établisse jamais à la Chine. Les vœux de virginité, les assemblées des femmes dans les églises, leur communication néces

1. « La Chine, vaincue plusieurs fois, a réduit ses vainqueurs en les assujettissant à ses usages, et les a tellement changés qu'en peu de temps on ne les reconnoissoit plus. C'est une mer qui sale tous les fleuves qui s'y précipitent. Je veux dire que les conquérants de la Chine ont été obligés de la gouverner selon ses lois, ses maximes et ses coutumes. Ils n'ont pu changer ni le caractère ni la langue chinoise; ils n'ont pas pu même introduire celle qui leur étoit propre dans les villes où ils tenoient leur cour. En un mot, leurs descendants sont devenus Chinois. » (Lettre du P. Parennin à M. de Mairan, Lettres édifiantes, XXIVe recueil, p. 58, 59.)

2. Voyez les raisons données par les magistrats chinois, dans les décrets par lesquels ils proscrivent la religion chrétienne. (Lettres édifiantes. recueil XVII. (M.)

saire avec les ministres de la religion, leur participation aux sacrements, la confession auriculaire, l'extrêmeonction, le mariage d'une seule femme tout cela renverse les mœurs et les manières du pays, et frappe encore du même coup sur la religion et sur les lois.

La religion chrétienne, par l'établissement de la charité, par un culte public, par la participation aux mêmes sacrements, semble demander que tout s'unisse les rites des Chinois semblent ordonner que tout se sépare.

Et, comme on a vu que cette séparation1 tient en général à l'esprit du despotisme, on trouvera dans ceci une des raisons qui font que le gouvernement monarchique et tout gouvernement modéré s'allient mieux avec la religion chrétienne3.

1. Voyez le liv. IV, chap. II, et le liv. XIX, chap. xш. (M.)

2. Voyez ci-après le liv. XXIV, chap. 11. (M.)

3. Ce dernier paragraphe n'est point dans A. B.

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