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RÉFLEXION.

Je n'ai point dit ceci pour diminuer rien de la distance infinie qu'il y a entre les vices et les vertus: à Dieu ne plaise! J'ai seulement voulu faire comprendre que tous les vices politiques ne sont pas des vices moraux, et que tous les vices moraux ne sont pas des vices politiques; et c'est ce que ne doivent point ignorer ceux qui font des lois qui choquent l'esprit général.

DES MANIÈRES ET DES MOEURS DANS L'ÉTAT

DESPOTIQUE.

C'est une maxime capitale, qu'il ne faut jamais changer les mœurs et les manières dans l'État despotique; rien ne seroit plus promptement suivi d'une révolution. C'est que, dans ces États, il n'y a point de lois, pour ainsi dire; il n'y a que des mœurs et des manières; et, si vous renversez cela, vous renversez tout.

Les lois sont établies, les mœurs sont inspirées; cellesci tiennent plus à l'esprit général, celles-là tiennent plus à une institution particulière or il est aussi dangereux, et plus, de renverser l'esprit général, que de changer une institution particulière.

On se communique moins dans les pays où chacun, et comme supérieur et comme inférieur, exerce et soulfre un pouvoir arbitraire, que dans ceux où la liberté règne dans toutes les conditions. On y change donc moins de manières et de mœurs. Les manières plus fixes approchent plus des lois. Ainsi, il faut qu'un prince ou un législateur y choque moins les mœurs et les manières que dans aucun pays du monde.

Les femmes y sont ordinairement enfermées, et n'ont point de ton à donner. Dans les autres pays où elles vivent

avec les hommes, l'envie qu'elles ont de plaire, et le désir que l'on a de leur plaire aussi, font que l'on change continuellement de manières. Les deux sexes se gâtent, ils perdent l'un et l'autre leur qualité distinctive et essentielle; il se met un arbitraire dans ce qui étoit absolu, et les manières changent tous les jours'.

1. Il est difficile d'admettre que les deux sexes se gåtent en vivant ensemble, et qu'ils perdent l'un et l'autre leur qualité distinctive et essentielle, car les hommes et les femmes ne sont pas faits pour vivre séparés. On ne comprend pas davantage quel est cet absolu dans lequel s'introduit l'arbitraire. Je croirais volontiers qu'il n'y a là qu'une épigramme contre la galanterie du XVIIIe siècle, qui efféminait les hommes, et donnait aux femmes une hardiesse dans le vice, qui leur faisait oublier la pudeur et la retenue de leur sexe.

DES MANIÈRES CHEZ LES CHINOIS.

Mais c'est à la Chine que les manières sont indestructibles. Outre que les femmes y sont absolument séparées des hommes, on enseigne dans les écoles les manières comme les mœurs. On connoît un lettré1 à la façon aisée dont il fait la révérence. Ces choses, une fois données en préceptes et par de graves docteurs, s'y fixent comme des principes de morale, et ne changent plus.

1. Di. le P. du Halde. (M.)

QUELS SONT LES MOYENS NATURELS DE CHANGER
LES MOEURS ET LES MANIÈRES D'UNE NATION.

Nous avons dit que les lois étoient des institutions particulières et précises du législateur; et les mœurs et les manières, des institutions de la nation en général. De là il suit que lorsqu'on veut changer les mœurs et les manières, il ne faut pas les changer par les lois : cela paroîtroit trop tyrannique : il vaut mieux les changer par d'autres mœurs et d'autres manières.

Ainsi, lorsqu'un prince veut faire de grands changements dans sa nation, il faut qu'il réforme par les lois ce qui est établi par les lois, et qu'il change par les manières ce qui est établi par les manières et c'est une très-mauvaise politique de changer par les lois ce qui doit être changé par les manières.

La loi qui obligeoit les Moscovites à se faire couper la barbe1 et les habits, et la violence de Pierre Ir, qui faisoit tailler jusqu'aux genoux les longues robes de ceux qui entroient dans les villes, étoient tyranniques. Il y a des moyens pour empêcher les crimes: ce sont les peines; il y en a pour faire changer les manières : ce sont les exemples.

1. Les prêtres leur faisaient un cas de conscience de ne pas se laisser couper la barbe. (RISTEAU.)

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