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EFFETS DE L'HUMEUR SOCIABLE.

Plus les peuples se communiquent, plus ils changent aisément de manières, parce que chacun est plus un spectacle pour un autre; on voit mieux les singularités des individus. Le climat qui fait qu'une nation aime à se communiquer, fait aussi qu'elle aime à changer; et ce qui fait qu'une nation aime à changer, fait aussi qu'elle se forme le goût.

La société des femmes gâte les mœurs, et forme le goût l'envie de plaire plus que les autres établit les parures; et l'envie de plaire plus que soi-même établit les modes. Les modes sont un objet important: à force de se rendre l'esprit frivole, on augmente sans cesse les branches de son commerce1.

1. Voyez la fable des abeilles. (M.) Ce roman philosophique et politique de l'anglais Mandeville a été à la mode au XVIIIe siècle.

DE LA VANITÉ ET DE L'ORGUEIL DES NATIONS.

La vérité est un aussi bon ressort pour un gouvernement, que l'orgueil en est un dangereux 1. Il n'y a pour cela qu'à se représenter, d'un côté, les biens sans nombre qui résultent de la vanité de là le luxe, l'industrie, les arts, les modes, la politesse, le goût; et, d'un autre côté, les maux infinis qui naissent de l'orgueil de certaines nations: la paresse, la pauvreté, l'abandon de tout, la destruction des nations que le hasard a fait tomber entre leurs mains, et de la leur même. La paresse est l'effet de l'orgueil; le travail est une suite de la vanité : l'orgueil d'un Espagnol le portera à ne pas travailler; la vanité d'un François le portera à savoir travailler mieux que les autres.

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Toute nation paresseuse est grave; car ceux qui ne travaillent pas se regardent comme souverains de ceux qui travaillent3.

1. Il semble que l'orgueil porte aux grandes choses, et que la vanité se concentre dans les petites. (Grosley.) Inf., XIX, xxvii à la fin.

2. Les peuples qui suivent le kan de Malacamber, ceux de Carnataca et de Coromandel, sont des peuples orgueilleux et paresseux; ils consomment peu, parce qu'ils sont misérables; au lieu que les Mogols et les peuples de l'Indostan s'occupent et jouissent des commodités de la vie, comme les Européens. Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la Compagnie des Indes, t. I, p. 54. (M.)

3. On peut dire des Arabes et des Turcs ce que Montesquieu dit des

Examinez toutes les nations, et vous verrez que, dans la plupart, la gravité, l'orgueil et la paresse marchent du même pas.

Les peuples d'Achim1 sont fiers et paresseux : ceux qui n'ont point d'esclaves en louent un, ne fût-ce que pour faire cent pas, et porter deux pintes de riz; ils se croiroient déshonorés s'ils les portoient eux-mêmes.

Il y a plusieurs endroits de la terre où l'on se laisse croître les ongles pour marquer que l'on ne travaille point.

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Les femmes des Indes croient qu'il est honteux pour elles d'apprendre à lire c'est l'affaire, disent-elles, des esclaves qui chantent des cantiques dans les pagodes. Dans une caste, elles ne filent point; dans une autre, elles ne font que des paniers et des nattes, elles ne doivent pas même piler le riz; dans d'autres, il ne faut pas qu'elles aillent querir de l'eau. L'orgueil y a établi ses règles, et il les fait suivre. Il n'est pas nécessaire de dire que les qualités morales ont des effets différents selon qu'elles sont unies à d'autres : ainsi l'orgueil, joint à une vaste ambition, à la grandeur des idées, etc., produisit chez les Romains les effets que l'on sait.

Espagnols. Leur gravité n'est qu'un signe de paresse et d'ignorance. Un peuple sans curiosité est un peuple réfractaire à la civilisation qui n'est que la poursuite incessante de l'utile, du beau, du vrai.

1. Voyez Dampier, t. III. (M.)

2. Lettres édifiantes, douzième recueil, p. 80. (M.)

3. Cette dernière phrase n'est pas dans A. B. Elle est prise de la réponse de Montesquieu aux observations de Grosley sur l'Esprit des lois.

DU CARACTÈRE DES ESPAGNOLS ET DE CELUI

DES CHINOIS.

Les divers caractères des nations sont mêlés de ver tus et de vices, de bonnes et de mauvaises qualités. Les heureux mélanges sont ceux dont il résulte de grands biens, et souvent on ne les soupçonneroit pas; il y en a dont il résulte de grands maux, et qu'on ne soupçonneroit pas non plus.

La bonne foi des Espagnols a été fameuse dans tous les temps. Justin' nous parle de leur fidélité à garder les dépôts ils ont souvent souffert la mort pour les tenir secrets. Cette fidélité qu'ils avoient autrefois, ils l'ont encore aujourd'hui. Toutes les nations qui commercent à Cadix confient leur fortune aux Espagnols; elles ne s'en sont jamais repenties. Mais cette qualité admirable, jointe à leur paresse, forme un mélange dont il résulte des effets qui leur sont pernicieux les peuples de l'Europe font, sous leurs yeux, tout le commerce de leur monarchie.

Le caractère des Chinois forme un autre mélange, qui est en contraste avec le caractère des Espagnols. Leur vie

1. Liv. XLIV, c. I. (M.) — Justin vante la fidélité de la nation espagnole à garder les secrets. Sæpe tormentis pro silentio rerum creditarum immortui. M. de Montesquieu, citant Justin, nous parle de fidélité à garder les dépôts. (CRévier.)

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précaire fait qu'ils ont une activité prodigieuse et un désir si excessif du gain, qu'aucune nation commerçante ne peut se fier à eux. Cette infidélité reconnue leur a conservé le commerce du Japon; aucun négociant d'Europe n'a osé entreprendre de le faire sous leur nom, quelque facilité qu'il y eût eu à l'entreprendre par leurs provinces maritimes du Nord.

1. Par la nature du climat et du terrain. (M.)

2. Le P. du Halde, t. II. (M.)

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