Page images
PDF
EPUB

CE QUE C'EST QUE L'ESPRIT GÉNÉRAL.

Plusieurs choses gouvernent les hommes le climat, la religion, les lois, les maximes du gouvernement, les exemples des choses passées, les mœurs, les manières; d'où il se forme un esprit général qui en résulte.

A mesure que, dans chaque nation, une de ces causes agit avec plus de force, les autres lui cèdent d'autant. La nature et le climat dominent presque seuls sur les sauvages; les manières gouvernent les Chinois; les lois tyrannisent le Japon; les mœurs donnoient autrefois le ton dans Lacédémone; les maximes du gouvernement et les mœurs anciennes 1 le donnoient dans Rome2.

1. Mores majorum. Ces mots avaient un sens précis et technique chez les Romains; c'est ce que les Anglais appellent les précédents.

2. Quoique les lois agissent sur les mœurs, elles en dépendent. Ainsi, Montesquieu corrige toujours par quelque vérité nouvelle une première pensée qui ne paraissait excessive que parce qu'on la voyait scule. La nature et le climat dominent presque exclusivement les sauvages; les peuples civilisés obéissent aux influences morales. La plus invincible de toutes, c'est l'esprit général d'une nation; il n'est au pouvoir de personne de le changer; il agit sur ceux qui voudraient le méconnaître; il fait les lois ou les rend inutiles; les lois ne peuvent l'attaquer, parce que ce sont deux puissances d'une nature diverse; il échappe ou résiste à tout le reste. (VILLEMAIN, Éloge de Montesquieu.)

COMBIEN

IL FAUT ÊTRE ATTENTIF A NE POINT CHANGER
L'ESPRIT GÉNÉRAL D'UNE NATION.

S'il y avoit dans le monde une nation qui eût une humeur sociable, une ouverture de cœur, une joie dans la vie, un goût, une facilité à communiquer ses pensées; qui fût vive, agréable, enjouée, quelquefois imprudente, souvent indiscrète; et qui eût avec cela du courage, de la générosité, de la franchise, un certain point d'honneur, il ne faudroit point chercher à gêner, par des lois, ses manières, pour ne point gêner ses vertus. Si en général le caractère est bon, qu'importe de quelques défauts qui s'y trouvent 1?

On y pourroit contenir les femmes, faire des lois pour corriger leurs mœurs, et borner leur luxe; mais qui sait si on n'y perdroit pas un certain goût qui seroit la source des richesses de la nation, et une politesse qui attire chez elle les étrangers?

C'est au législateur à suivre l'esprit de la nation, lorsqu'il n'est pas contraire aux principes du gouvernement; car nous ne faisons rien de mieux que ce que nous faisons librement, et en suivant notre génie naturel.

1. Il ne faut pas être lynx pour reconnaître ici le François. (Luzac.) Sup., IX, VII.

Qu'on donne un esprit de pédanterie à une nation naturellement gaie, l'État n'y gagnera rien, ni pour le dedans ni pour le dehors. Laissez-lui faire les choses frivoles sérieusement, et gaiement les choses sérieuses.

QU'IL NE FAUT PAS TOUT CORRIGER.

Qu'on nous laisse comme nous sommes, disoit un gentilhomme d'une nation qui ressemble beaucoup à celle dont nous venons de donner une idée. La nature répare tout. Elle nous a donné une vivacité capable d'offenser, et propre à nous faire manquer à tous les égards; cette même vivacité est corrigée par la politesse qu'elle nous procure, en nous inspirant du goût pour le monde, et surtout pour le commerce des femmes.

Qu'on nous laisse tels que nous sommes. Nos qualités indiscrètes, jointes à notre peu de malice, font que les lois qui gêneroient l'humeur sociable parmi nous, ne seroient point convenables.

DES ATHENIENS ET DES LACÉDÉMONIENS.

Les Athéniens, continuoit ce gentilhomme, étoient un peuple qui avoit quelque rapport avec le nôtre. Il mettoit de la gaieté dans les affaires; un trait de raillerie lui plaisoit sur la tribune comme sur le théâtre. Cette vivacité qu'il mettoit dans les conseils, il la portoit dans l'exécution. Le caractère des Lacédémoniens étoit grave, sérieux, sec, taciturne. On n'auroit pas plus tiré parti d'un Athénien en l'ennuyant, que d'un Lacédémonien en le divertissant.

« PreviousContinue »