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ESPRIT SANGUINAIRE DES ROIS FRANCS.

Clovis n'avoit pas été le seul des princes, chez les Francs, qui eût entrepris des expéditions dans les Gaules. Plusieurs de ses parents y avoient mené des tribus particulières; et comme il eut de plus grands succès, et qu'il put donner des établissements considérables à ceux qui l'avoient suivi, les Francs accoururent à lui de toutes les tribus, et les autres chefs se trouvèrent trop foibles pour lui résister. Il forma le dessein d'exterminer toute sa maison, et il y réussit1. Il craignoit, dit Grégoire de Tours, que les Francs ne prissent un autre chef. Ses enfants et ses successeurs suivirent cette pratique autant qu'ils purent on vit sans cesse le frère, l'oncle, le neveu, que dis-je, le fils, le père, conspirer contre toute sa famille. La loi séparoit sans cesse la monarchie; la crainte, l'ambition et la cruauté vouloient la réunir.

1. Grégoire de Tours, liv. II. (M.)

2. Ibid. (M.)

DES ASSEMBLÉES DE LA NATION CHEZ LES FRANCS.

On a dit ci-dessus que les peuples qui ne cultivent point les terres, jouissoient d'une grande liberté1. Les Germains furent dans ce cas. Tacite dit qu'ils ne donnoient à leurs rois ou chefs qu'un pouvoir très-modéré2; et César, qu'ils n'avoient pas de magistrat commun pendant la paix, mais que dans chaque village les princes rendoient la justice entre les leurs. Aussi les Francs, dans la Germanie, n'avoient-ils point de roi, comme Grégoire de Tours le prouve très-bien.

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« Les princes, dit Tacite, délibèrent sur les petites choses, toute la nation sur les grandes; de sorte pourtant que les affaires dont le peuple prend connoissance sont portées de même devant les princes. » Cet usage se conserva après la conquête, comme on le voit dans tous les

monuments.

1. Sup., XVIII, XIV.

2. Nec regibus libera aut infinita potestas. Cæterum neque animadvertere, neque vincire, neque verberare, etc. De moribus Germ., c. vII. (M.) 3. In pace nullus est communis magistratus; sed principes regionum atque pagorum inter suos jus dicunt. De bello gall., liv. VI, c. xx. (M.) 4. Liv. II. (M.)

5. De minoribus principes consultant, de majoribus omnes; ita tamen ut ea quorum penes plebem arbitrium est, apud principes quoque pertractentur. De moribus Germ., c. xi. (M.)

6. Lex consensu populi fit et constitutione regis. Capitulaires de Charles le Chauve, an 864, art. 6. (M.)

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Tacite dit que les crimes capitaux pouvoient être portés devant l'assemblée. Il en fut de même après la conquête, et les grands vassaux y furent jugés.

1. Licet apud concilium accusare, et discrimen capitis intendere. De moribus Germ., c. xII. (M.)

DE L'AUTORITÉ DU CLERGÉ DANS LA PREMIÈRE RACE.

Chez les peuples barbares, les prêtres ont ordinairement du pouvoir, parce qu'ils ont et l'autorité qu'ils doivent tenir de la religion, et la puissance que chez des peuples pareils donne la superstition. Aussi voyons-nous, dans Tacite, que les prêtres étoient fort accrédités chez les Germains, qu'ils mettoient la police1 dans l'assemblée du peuple. Il n'étoit permis qu'à eux de châtier, de lier, de frapper ce qu'ils faisoient, non pas par un ordre du prince, ni pour infliger une peine; mais comme par une inspiration de la divinité, toujours présente à ceux qui font la guerre.

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Il ne faut pas être étonné si, dès le commencement de la première race, on voit les évêques arbitres 3 des jugements, si on les voit paroître dans les assemblées de la nation, s'ils influent si fort dans les résolutions des rois, et si on leur donne tant de biens'.

1. Silentium per sacerdotes, quibus et coercendi jus est, imperatur. De moribus Germ., c. xi. (M.)

2. Nec regibus libera aut infinita potestas. Cæterum neque animadvertere, neque vincire, neque verberare, nisi sacerdotibus est permissum; non quasi in pœnam, nec ducis jussu, sed velut Deo imperante, quem adesse bellatoribus credunt. Ibid., c. vII. (M.)

3. Voyez la constitution de Clotaire de l'an 560, art. 6. (M.)

4. Les dix derniers chapitres de ce livre, réunis aux liv. XXVIII, XXX et XXXI, forment un traité complet sur l'origine et les premiers siècles de notre monarchie; et c'est ainsi qu'il faut les lire pour les bien comprendre. (PARRelle.)

DES LOIS DANS LE RAPPORT

QU'ELLES ONT AVEC LES PRINCIPES QUI FORMENT L'ESPRIT GÉNÉRAL

LES MOEURS ET LES MANIERES

D'UNE NATION.

CHAPITRE PREMIER.

DU SUJET DE CE LIVRE.

Cette matière est d'une grande étendue. Dans cette foule d'idées qui se présentent à mon esprit, je serai plus attentif à l'ordre des choses qu'aux choses même. Il faut que j'écarte à droite et à gauche, que je perce, et que je me fasse jour.

1. Montesquieu, qui méditait pendant vingt ans le sujet de ses ouvrages, avait pourtant une extrême promptitude d'esprit, des saillies de réflexion, suivant l'expression de Vauvenargues, et ses pensées les plus profondes le saisissaient quelquefois comme une impression rapide. C'est alors qu'il s'écrie: « Je découvre ce que j'ai longtemps inutilement cherché... Je vois la raison de ceci... Je vois beaucoup de choses à la fois; il faut me laisser le temps de les dire. » Le génie de Montesquieu n'était pas de la trempe de ceux qui se laissent gouverner, qu'on prend, pour

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