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QUELS SONT LES PAYS LES PLUS CULTIVÉS.

Les pays ne sont pas cultivés en raison de leur fertilité, mais en raison de. leur liberté ; et si l'on divise la terre par la pensée, on sera étonné de voir la plupart du temps des déserts dans ses parties les plus fertiles, et de grands peuples dans celles où le terrain semble refuser tout1.

Il est naturel qu'un peuple quitte un mauvais pays pour en chercher un meilleur, et non pas qu'il quitte un bon pays pour en chercher un pire. La plupart des invasions se font donc dans les pays que la nature avoit faits pour être heureux; et, comme rien n'est plus près de la dévastation que l'invasion, les meilleurs pays sont le plus souvent dépeuplés, tandis que l'affreux pays du Nord reste toujours habité, par la raison qu'il est presque inhabitable.

On voit, par ce que les historiens nous disent du passage des peuples de la Scandinavie sur les bords du Danube, que ce n'étoit point une conquête, mais seulement une transmigration dans des terres désertes.

Ces climats heureux avoient donc été dépeuplés par

1. Cette double sûreté l'opinion qu'on possédera paisiblement son patrimoine, et qu'on est à l'abri des attaques de l'étranger, voilà ce qu'il faut pour peupler les pays même les plus ingrats; voilà ce qui a fait de la Hollande un chef-d'œuvre de l'industrie humaine. (LUZAC.)

d'autres transmigrations, et nous ne savons pas les choses tragiques qui s'y sont passées.

« Il paroît par plusieurs monuments, dit Aristote 1, que la Sardaigne est une colonie grecque. Elle étoit autrefois très-riche; et Aristée, dont on a tant vanté l'amour pour l'agriculture, lui donna des lois. Mais elle a bien déchu depuis; car les Carthaginois s'en étant rendus les maîtres, ils y détruisirent tout ce qui pouvoit la rendre propre à la nourriture des hommes, et défendirent, sous peine de la vie, d'y cultiver la terre. » La Sardaigne n'étoit point rétablie du temps d'Aristote; elle ne l'est point encore aujourd'hui.

Les parties les plus tempérées de la Perse, de la Turquie, de la Moscovie et de la Pologne, n'ont pu se rétablir des dévastations des grands et des petits Tartares.

1. Ou celui qui a écrit le livre de Mirabilibus. (M.)

NOUVEAUX EFFETS DE LA FERTILITÉ
ET DE LA STERILITÉ DU PAYS.

La stérilité des terres rend les hommes industrieux, sobres, endurcis au travail, courageux, propres à la guerre; il faut bien qu'ils se procurent ce que le terrain leur refuse. La fertilité d'un pays donne, avec l'aisance, la mollesse et un certain amour pour la conservation de la vie.

On a remarqué que les troupes d'Allemagne, levées dans des lieux où les paysans sont riches, comme en Saxe, ne sont pas si bonnes que les autres. Les lois militaires pourront pourvoir à cet inconvénient par une plus sévère discipline.

DES PEUPLES DES ILES.

Les peuples des îles sont plus portés à la liberté que les peuples du continent. Les îles sont ordinairement d'une petite étendue 1; une partie du peuple ne peut pas être si bien employée à opprimer l'autre ; la mer les sépare des grands empires, et la tyrannie ne peut pas s'y prêter la main; les conquérants sont arrêtés par la mer; les insulaires ne sont pas enveloppés dans la conquête, et ils conservent plus aisément leurs lois.

1. Le Japon déroge à ceci par sa grandeur et par sa servitude. (M.)

DES PAYS FORMÉS PAR L'INDUSTRIE DES HOMMES.

Les pays que l'industrie des hommes a rendus habitables, et qui ont besoin, pour exister, de la même industrie, appellent à eux le gouvernement modéré. Il y en a principalement trois de cette espèce; les deux belles provinces de Kiang-nan et Tche-kiang à la Chine, l'Égypte et la Hollande.

Les anciens empereurs de la Chine n'étoient point conquérants. La première chose qu'ils firent pour s'agrandir fut celle qui prouva le plus leur sagesse. On vit sortir de dessous les eaux les deux plus belles provinces de l'empire; elles furent faites par les hommes. C'est la fertilité inexprimable de ces deux provinces qui a donné à l'Europe les idées de la félicité de cette vaste contrée. Mais un soin continuel et nécessaire pour garantir de la destruction une partie si considérable de l'empire, demandoit plutôt les mœurs d'un peuple sage que celles d'un peuple voluptueux, plutôt le pouvoir légitime d'un monarque que la puissance tyrannique d'un despote. Il falloit que pouvoir y fût modéré, comme il l'étoit autrefois en Égypte1. Il falloit que le pouvoir y fût modéré, comme il l'est en

le

1. A. B. ajoutent : « Et comme il l'est encore aujourd'hui dans cette partie de l'empire des Turcs. »>

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