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DE LA CAPITALE DE L'EMPIRE.

Une des conséquences de ce que nous venons de dire, c'est qu'il est important à un très-grand prince de bien choisir le siége de son empire. Celui qui le placera au midi courra risque de perdre le nord; et celui qui le placera au nord conservera aisément le midi. Je ne parle pas des cas particuliers: la mécanique a bien ses frottements qui souvent changent ou arrêtent les effets de la théorie: la politique a aussi les siens.

1. Manque dans A. B.

2. N'est-ce pas une allusion à Pierre le Grand et à Saint-Pétersbourg?

DES LOIS DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT
AVEC LA NATURE DU TERRAIN 1.

CHAPITRE PREMIER.

COMMENT LA NATURE DU TERRAIN INFLUE

SUR LES LOIS.

La bonté des terres d'un pays y établit naturellement la dépendance. Les gens de la campagne, qui y font la principale partie du peuple, ne sont pas si jaloux de leur liberté; ils sont trop occupés et trop pleins de leurs affaires particulières. Une campagne qui regorge de biens, craint le pillage, elle craint une armée. « Qui est-ce qui forme le bon parti, disoit Cicéron à Atticus? Seront-ce

1. Ce livre aurait pu être intitulé: Des lois dans le rapport qu'elles ont avec la culture des terres, car l'auteur en parle beaucoup plus que de celles qui ont rapport à la nature du terrain. (Extrait du livre De l'Esprit des lois, p. 96.)

2. L'humble fortune de l'homme des champs ne lui permet pas de rester oisif et ne lui laisse guère le temps d'assister fréquemment aux assemblées. Forcé de se procurer le nécessaire, il est tout à sa chose, et ne veut point de distractions étrangères. Il préfère ses travaux champêtres au plaisir de commander et de gouverner; et si les emplois ne sont pas lucratifs, il aime mieux le profit que l'honneur. ARISTOTE, Politique, liv. VI, ch. IV. 3. Liv. VII, VII. (M.) - An fœneratores? an agricolas? Quibus optatissimum est otium; nisi eos timere putas ne sub regno sint, qui id nunquam, dummodo otiosi essent, recusarunt.

les gens de commerce et de la campagne, à moins que nous n'imaginions qu'ils sont opposés à la monarchie, eux à qui tous les gouvernements sont égaux, dès lors qu'ils sont tranquilles? >>

Ainsi, le gouvernement d'un seul se trouve plus souvent dans les pays fertiles, et le gouvernement de plusieurs dans les pays qui ne le sont pas ce qui est quelquefois un dédommagement.

La stérilité du terrain de l'Attique y établit le gouvernement populaire; et la fertilité de celui de Lacédémone, le gouvernement aristocratique. Car, dans ces temps-là, on ne vouloit point dans la Grèce du gouvernement d'un seul or le gouvernement aristocratique a plus de rapport avec le gouvernement d'un seul.

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Plutarque nous dit » que la sédition Cilonienne ayant été apaisée à Athènes, la ville retomba dans ses anciennes dissensions, et se divisa en autant de partis qu'il y avoit de sortes de territoires dans le pays de l'Attique. Les gens de la montagne vouloient à toute force le gouvernement populaire; ceux de la plaine demandoient le gouvernement des principaux; ceux qui étoient près de la mer étoient pour un gouvernement mêlé des deux3. »

1. Vie de Solon, chap. VIII. (M.) 2. A. B. Plutarque dit, etc.

3. Nous tirons aujourd'hui d'Athènes esclave, du coton, de la soie, du riz, du bled, de l'huile, des cuirs; et du pays de Lacédémone, rien. Athènes était vingt fois plus riche que Lacédémone. A l'égard de la bonté du sol, il faut y avoir été pour l'apprécier. Mais jamais on n'attribua la forme d'un gouvernement au plus ou moins de fertilité d'un terrain. Venise avait trèspeu de bled quand les nobles gouvernèrent. Gênes n'a pas assurément un sol fertile, et c'est une aristocratie. Genève tient plus de l'état populaire, et n'a pas de son crû de quoi se nourrir quinze jours. La Suède pauvre a été longtemps sous le joug de la monarchie, tandis que la Pologne fertile fut une

ar stocratie. Je ne conçois pas comment on peut ainsi établir de prétendues règles continuellement démenties par l'expérience. (VOLTAIRE.)

L'observation est juste, et cependant il y a un grand fond de vérité dans ce que dit Montesquieu. Le tort de l'auteur et de son critique ne serait-il pas que chacun d'eux ne considère les choses que d'un point de vue exclusif?

CONTINUATION DU MÊME SUJET.

Ces pays fertiles sont des plaines où l'on ne peut rien disputer au plus fort: on se soumet donc à lui; et, quand on lui est soumis, l'esprit de liberté n'y sauroit revenir; les biens de la campagne sont un gage de la fidélité. Mais, dans les pays de montagnes, on peut conserver ce que l'on a, et l'on a peu à conserver. La liberté, c'està-dire le gouvernement dont on jouit, est le seul bien qui mérite qu'on le défende. Elle règne donc plus dans les pays montagneux et difficiles que dans ceux que la nature sembloit avoir plus favorisés.

Les montagnards conservent un gouvernement plus modéré, parce qu'ils ne sont pas si fort exposés à la conquête. Ils se défendent aisément, ils sont attaqués difficilement; les munitions de guerre et de bouche sont assemblées et portées contre eux avec beaucoup de dépense; le pays n'en fournit point. Il est donc plus difficile de leur faire la guerre, plus dangereux de l'entreprendre ; et toutes les lois que l'on fait pour la sûreté du peuple y ont moins de lieu.

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