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mandarins civils et militaires sont eunuques. » Ils n'ont point de famille; et quoiqu'ils soient naturellement avares, le maître ou le prince profite à la fin de leur avarice

même.

Le même Dampier1 nous dit que, dans ce pays, les eunuques ne peuvent se passer de femmes, et qu'ils se marient. La loi qui leur permet le mariage, ne peut être fondée, d'un côté, que sur la considération que l'on y a pour de pareilles gens; et de l'autre, sur le mépris qu'on y a pour les femmes.

Ainsi l'on confie à ces gens-là les magistratures, parce qu'ils n'ont point de famille; et, d'un autre côté, on leur permet de se marier, parce qu'ils ont les magistratures.

C'est pour lors que les sens qui restent veulent obstinément suppléer à ceux que l'on a perdus; et que les entreprises du désespoir sont une espèce de jouissance. Ainsi, dans Milton, cet Esprit à qui il ne reste que des désirs, pénétré de sa dégradation, veut faire usage de son impuissance même.

On voit, dans l'histoire de la Chine, un grand nombre de lois pour ôter aux eunuques tous les emplois civils et militaires; mais ils reviennent toujours. Il semble que les eunuques, en Orient, soient un mal nécessaire.

1. Tome III, p. 94. (M.)

COMMENT LES LOIS DE L'ESCLAVAGE DOMESTIQUE

ONT DU RAPPORT

AVEC LA NATURE DU CLIMAT.

CHAPITRE PREMIER.

DE LA SERVITUDE DOMESTIQUE.

Les esclaves sont plutôt établis pour la famille qu'ils ne sont dans la famille 1. Ainsi, je distinguerai leur servitude de celle où sont les femmes dans quelques pays, et que j'appellerai proprement la servitude domestique.

1. Comme le prétendait Aristote. V. Sup. le ch. 1 du liv. XV. (PARrelle.)

QUE DANS LES PAYS DU MIDI

IL Y A DANS LES DEUX SEXES UNE INÉGALITÉ

NATURELLE.

Les femmes sont nubiles dans les climats chauds, à huit, neuf et dix ans : ainsi l'enfance et le mariage y vont presque toujours ensemble. Elles sont vieilles à vingt : la raison ne se trouve donc jamais chez elles avec la beauté. Quand la beauté demande l'empire, la raison le fait refuser; quand la raison pourroit l'obtenir, la beauté n'est plus. Les femmes doivent être dans la dépendance; car la raison ne peut leur procurer dans leur vieillesse un empire que la beauté ne leur avoit pas donné dans la jeunesse même. Il est donc très-simple qu'un homme, lorsque la religion ne s'y oppose pas, quitte sa femme pour en prendre une autre, et que la polygamie s'introduise.

Dans les pays tempérés, où les agréments des femmes

1. Mahomet épousa Cadhisjaa à cinq ans, coucha avec elle à huit. Dans les pays chauds d'Arabie et des Indes, les filles sont nubiles à huit ans, et accouchent l'année d'après. Prideaux, Vie de Mahomet. On voit des femmes, dans les royaumes d'Alger, enfanter à neuf, dix et onze ans. Laugier de Tassis, Histoire du royaume d'Alger, p. 61. (M.)

2. A. Lorsque quelque loi ne s'y oppose pas, etc.

a. Cadhisja avait quarante ans quand elle épousa Mahomet. C'est Ayesha que le prophète prit pour femme quand elle n'avait encore que six ans.

se conservent mieux, où elles sont plus tard nubiles, et où elles ont des enfants dans un âge plus avancé, la vieillesse de leur mari suit en quelque façon la leur; et, comme elles y ont plus de raison et de connoissances quand elles se marient, ne fût-ce que parce qu'elles ont plus longtemps vécu, il a dû naturellement s'introduire une espèce d'égalité dans les deux sexes, et par conséquent la loi d'une seule femme.

Dans les pays froids, l'usage presque nécessaire des boissons fortes établit l'intempérance parmi les hommes1. Les femmes, qui ont à cet égard une retenue naturelle, parce qu'elles ont toujours à se défendre, ont donc encore l'avantage de la raison sur eux.

La nature, qui a distingué les hommes par la force et par la raison, n'a mis à leur pouvoir de terme que celui de cette force et de cette raison. Elle a donné aux femmes les agréments, et a voulu que leur ascendant finît avec ces agréments; mais dans les pays chauds, ils ne se trouvent que dans les commencements, et jamais dans le cours de leur vie.

Ainsi la loi qui ne permet qu'une femme se rapporte plus au physique du climat de l'Europe qu'au physique du climat de l'Asie. C'est une des raisons qui a fait que le mahométisme a trouvé tant de facilité à s'établir en Asie, et tant de difficulté à s'étendre en Europe; que le christianisme s'est maintenu en Europe, et a été détruit en Asie; et qu'enfin les mahométans font tant de progrès

1. Sup., XIV, x.

2. La phrase et a voulu que leur ascendant, etc., n'est pas dans A. 3. A. B. Ainsi la loi qui ne permet qu'une femme est conforme au physique du climat de l'Europe, et non au physique du climat de l'Asie. C'est pour cela que le mahométisme a trouvé, etc.

à la Chine, et les chrétiens si peu. Les raisons humaines sont toujours subordonnées à cette cause suprême, qui fait tout ce qu'elle veut, et se sert de tout ce qu'elle

veut 1.

Quelques raisons particulières à Valentinien lui firent permettre la polygamie dans l'empire. Cette loi violente pour nos climats fut ôtée par Théodose, Arcadius et Honorius.

3

1. Cette dernière phrase se trouve pour la première fois dans l'édition de 1758. C'est sans doute une de ces explications que Montesquieu promettait pour désarmer la congrégation de l'Index. Voyez notre Introduction dans le tome III.

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2. Voyez Jornandès, De regno et tempor. succes. et les historiens ecclésiastiques. (M.) · Ces historiens ecclésiastiques se réduisent à Socrate; mais Socrate est un écrivain assez éloigné du temps de Valentinien, et Jornandès n'a fait que le copier. Cette fable a été réfutée par Bossuet et par Tillemont, Hist. des empereurs, t. V, note 28 sur Valentinien. (CRÉVIER.)

(M.)

3. Voyez la loi 7 au Code De Judæis et cælicolis; et la nov. 18, chap. v.

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