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bonne dans les États où le pouvoir sans bornes se joue de tout, combien le sera-t-elle dans les monarchies? combien le sera-t-elle dans les États républicains?

Il y a une disposition de la loi des Lombards, qui paroît bonne pour tous les gouvernements. « Si un maître débauche la femme de son esclave, ceux-ci seront tous deux libres. » Tempérament admirable pour prévenir et arrêter, sans trop de rigueur, l'incontinence des maîtres.

Je ne vois pas que les Romains aient eu, à cet égard, une bonne police. Ils lâchèrent la bride à l'incontinence des maîtres; ils privèrent même, en quelque façon, leurs esclaves du droit des mariages. C'étoit la partie de la nation la plus vile; mais quelque vile qu'elle fût, il étoit bon qu'elle eût des mœurs; et de plus, en lui ôtant les mariages, on corrompoit ceux des citoyens.

1. Liv. I, tit. xxxпI, § 5. (M.)

DANGER DU GRAND NOMBRE D'ESCLAVES.

Le grand nombre d'esclaves a des effets différents dans les divers gouvernements. Il n'est point à charge dans le gouvernement despotique; l'esclavage politique, établi dans le corps de l'État, fait que l'on sent peu l'esclavage civil. Ceux que l'on appelle hommes libres ne le sont guère plus que ceux qui n'y ont pas ce titre; et ceux-ci, en qualité d'eunuques, d'affranchis ou d'esclaves, ayant en main presque toutes les affaires, la condition d'un homme libre et celle d'un esclave se touchent de fort près. Il est donc presque indifférent que peu ou beaucoup de gens y vivent dans l'esclavage.

Mais, dans les États modérés, il est très-important qu'il n'y ait point trop d'esclaves. La liberté politique y rend précieuse la liberté civile; et celui qui est privé de cette dernière est encore privé de l'autre. Il voit une société heureuse dont il n'est pas même partie; il trouve la sûreté établie pour les autres, et non pas pour lui; il sent que son maître a ure âme qui peut s'agrandir, et que la sienne est contrainte de s'abaisser sans cesse. Rien ne met plus près de la condition des bêtes que de voir toujours des hommes libres, et de ne l'être pas. De telles gens sont des ennemis naturels de la société; et leur nombre seroit dangereux.

Il ne faut donc pas être étonné que, dans les gouvernements modérés, l'État ait été si troublé par la révolte des esclaves, et que cela soit arrivé si rarement1 dans les États despotiques.

1. La révolte des mamelouks étoit un cas particulier : c'étoit un corps de milice qui usurpa l'empire. (M.)

DES ESCLAVES ARMÉS.

Il est moins dangereux dans la monarchie d'armer les esclaves que dans les républiques. Là, un peuple guerrier, un corps de noblesse, contiendront assez ces esclaves armés. Dans la république, des hommes uniquement citoyens ne pourront guère contenir des gens qui, ayant les armes à la main, se trouveront égaux aux citoyens.

Les Goths, qui conquirent l'Espagne, se répandirent dans le pays, et bientôt se trouvèrent très-foibles. Ils firent trois règlements considérables : ils abolirent l'ancienne coutume qui leur défendoit de s'allier par mariage avec les Romains: ils établirent que tous les affranchis du fisc iroient à la guerre, sous peine d'être réduits en servitude: ils ordonnèrent que chaque Goth mėneroit à la guerre et armeroit la dixième partie de ses esclaves. Ce nombre étoit peu considérable en comparaison de ceux qui restoient. De plus, ces esclaves, menés à la guerre par leur maître, ne faisoient pas un corps séparé; ils étoient dans l'armée, et restoient, pour ainsi dire, dans la famille.

1. Loi des Wisigoths, liv. III, tit. 1, § 1. (M.)

2. Ibid., liv. V, tit. vn, § 20. (M.)

3. Ibid., liv. IX, tit. 11, § 9. (M.)

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CONTINUATION DU MÊME SUJET.

Quand toute la nation est guerrière, les esclaves armes sont encore moins à craindre.

Par la loi des Allemands, un esclave 'qui voloit1 une chose qui avoit été déposée, étoit soumis à la peine qu'on auroit infligée à un homme libre; mais s'il l'enlevoit par violence, il n'étoit obligé qu'à la restitution de la chose enlevée. Chez les Allemands, les actions qui avoient pour principe le courage et la force n'étoient point odieuses". Ils se servoient de leurs esclaves dans leurs guerres. Dans la plupart des républiques on a toujours cherché à abattre le courage des esclaves; le peuple allemand, sûr de lui-même, songeoit à augmenter l'audace des siens; toujours armé, il ne craignoit rien d'eux; c'étoient des instruments de ses brigandages ou de sa gloire.

1. Loi des Allemands, chap. v, § 3. (M.) 2. Ibid., chap. v, § 5, per virtutem. (M.)

3. Comme l'indique plus bas Montesquieu, les Allemands n'ont jamais distingué entre le brigandage et la gloire.

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