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DES NATIONS CHEZ LESQUELLES LA LIBERTÉ CIVILE EST GÉNÉRALEMENT ÉTABLIE.

On entend dire tous les jours qu'il seroit bon que parmi nous il y eût des esclaves.

Mais, pour bien juger de ceci, il ne faut pas examiner s'ils seroient utiles à la petite partie riche et voluptueuse de chaque nation; sans doute qu'ils lui seroient utiles; mais, prenant un autre point de vue, je ne crois pas qu'aucun de ceux qui la composent voulût tirer au sort pour savoir qui devroit former la partie de la nation qui seroit libre, et celle qui seroit esclave. Ceux qui parlent le plus pour l'esclavage l'auroient le plus en horreur, et les hommes les plus misérables en auroient horreur de même. Le cri pour l'esclavage est donc le cri du luxe et de la volupté, et non pas celui de l'amour de la félicité publique. Qui peut douter que chaque homme, en particulier, ne fût très-content d'être le maître des biens, de l'honneur, et de la vie des autres; et que toutes ses passions ne se réveillassent d'abord à cette idée ? Dans ces choses, voulez-vous savoir si les désirs de chacun sont légitimes, examinez les désirs de tous.

1. Ce chapitre n'est pas dans A. B. Il est tiré de la lettre écrite à Grosley en 1750.

DIVERSES ESPÈCES D'ESCLAVAGE.

Il y a deux sortes de servitude: la réelle et la personnelle. La réelle est celle qui attache l'esclave au fonds de terre1. C'est ainsi qu'étoient les esclaves chez les Germains, au rapport de Tacite. Ils n'avoient point d'office dans la maison; ils rendoient à leur maître une certaine quantité de bled, de bétail, ou d'étoffe : l'objet de leur esclavage n'alloit pas plus loin. Cette espèce de servitude est encore établie en Hongrie, en Bohême et dans plusieurs endroits de la basse Allemagne.

La servitude personnelle regarde le ministère de la maison, et se rapporte plus à la personne du maître.

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L'abus extrême de l'esclavage est lorsqu'il est, en même temps, personnel et réel. Telle étoit la servitude des Ilotes chez les Lacédémoniens; ils étoient soumis à tous les travaux hors de la maison, et à toutes sortes d'insultes dans la maison : cette ilotie est contre la nature des choses. Les peuples simples n'ont qu'un esclavage réel', parce que leurs femmes et leurs enfants font les travaux

1. C'est ce qu'on appelle le servage. 2. De Moribus German., c. xxv. (M.) 3. A. dit partout: Elotes et Elotie.

4. Vous ne pourriez, dit Tacite, Sur les mœurs des Germains, c. xx, distinguer le maître de l'esclave, par les délices de la vie. (M.

domestiques. Les peuples voluptueux ont un esclavage personnel, parce que le luxe demande le service des esclaves dans la maison. Or l'ilotie joint, dans les mêmes personnes, l'esclavage établi chez les peuples voluptueux, et celui qui est établi chez les peuples simples.

1. Cetera domus officia uxor ac liberi exequuntur. Tacite, De Mor. German., c. xxv.

CE QUE LES LOIS DOIVENT FAIRE PAR RAPPORT

A L'ESCLAVAGE.

Mais de quelque nature que soit l'esclavage, il faut que les lois civiles cherchent à en ôter, d'un côté, les abus, et, de l'autre, les dangers'.

1. Les abus et les dangers tiennent à la nature même de l'institution. Il n'y a qu'une façon de les prévenir, c'est de supprimer ce domaine de l'homme sur l'homme, qui est un crime contre l'humanité.

ABUS DE L'ESCLAVAGE.

Dans les États mahométans', on est non-seulement maître de la vie et des biens des femmes esclaves, mais encore de ce qu'on appelle leur vertu ou leur honneur. C'est un des malheurs de ces pays, que la plus grande partie de la nation n'y soit faite que pour servir à la volupté de l'autre. Cette servitude est récompensée par la paresse dont on fait jouir de pareils esclaves; ce qui est l'État un nouveau malheur.

encore pour

C'est cette paresse qui rend les sérails d'Orient des lieux de délices pour ceux mêmes contre qui ils sont faits. Des gens qui ne craignent que le travail peuvent trouver leur bonheur dans ces lieux tranquilles. Mais on voit que par là on choque même l'esprit de l'établissement de l'esclavage.

La raison veut que le pouvoir du maître ne s'étende point au delà des choses qui sont de son service; il faut que l'esclavage soit pour l'utilité, et non pas pour la volupté. Les lois de la pudicité sont du droit naturel, et doivent être senties par toutes les nations du monde.

Que si la loi qui conserve la pudicité des esclaves est

1. Voyez Chardin, Voyage de Perse. (M.)

2. Voyez Chardin, t. II, dans sa Description du marché d'Izagour. (M).

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