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Ce sont les différents besoins dans les différents climats qui ont formé les différentes manières de vivre; et ces différentes manières de vivre ont formé les diverses sortes de lois. Que, dans une nation les hommes se communiquent beaucoup, il faut de certaines lois; il en faut d'autres chez un peuple où l'on ne se communique point.

on y dissipe moins, l'on a moins besoin de réparer, et l'appétit de manger est moins vif. Les jeûnes de l'église grecque qui nous paraissent si longs, le sont peut-être moins en rapport à ces climats-là, que les nôtres ne le sont en rapport à la froidure de notre pays. (Pecquet, Analyse raisonnée de l'Esprit des lois, p. 101.

1. C'est-à-dire vivent beaucoup entre eux.

DES LOIS QUI ONT DU RAPPORT AUX MALADIES

DU CLIMAT.

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Hérodote nous dit que les lois des Juifs sur la lèpre ont été tirées de la pratique des Égyptiens. En effet, les mêmes maladies demandoient les mêmes remèdes. Ces lois furent inconnues aux Grecs et aux premiers Romains, aussi bien que le mal. Le climat de l'Égypte et de la Palestine les rendit nécessaires; et la facilité qu'a cette maladie à se rendre populaire, nous doit bien faire sentir la sagesse et la prévoyance de ces lois.

Nous en avons nous-mêmes éprouvé les effets. Les croisades nous avoient apporté la lèpre; les règlements sages que l'on fit l'empêchèrent de gagner la masse du peuple.

On voit, par la loi des Lombards, que cette maladie. étoit répandue en Italie avant les croisades, et mérita l'attention des législateurs. Rotharis ordonna qu'un lépreux, chassé de sa maison, et relégué dans un endroit particulier, ne pourroit disposer de ses biens, parce que dès le moment qu'il avoit été tiré de sa maison, il étoit

1. Liv. II. (M.)

2. C'est-à-dire à se propager.

3. Liv. II, tit. 1, § 3; et tit. xvIII, § 1. (M.)

censé mort. Pour empêcher toute communication avec les lépreux, on les rendoit incapables des effets civils.

Je pense que cette maladie fut apportée en Italie par les conquêtes des empereurs grecs, dans les armées desquels il pouvoit y avoir des milices de la Palestine ou de l'Égypte. Quoi qu'il en soit, les progrès en furent arrêtés jusqu'au temps des croisades.

On dit que les soldats de Pompée, revenant de Syrie, rapportèrent une maladie à peu près pareille à la lèpre. Aucun règlement fait pour lors n'est venu jusqu'à nous; mais il y a apparence qu'il y en eut, puisque ce mal fut suspendu jusqu'au temps des Lombards.

Il y a deux siècles qu'une maladie, inconnue à nos pères, passa du nouveau monde dans celui-ci, et vint attaquer la nature humaine jusque dans la source de la vie et des plaisirs. On vit la plupart des plus grandes familles du midi de l'Europe périr par un mal qui devint trop commun pour être honteux, et ne fut plus que funeste. Ce fut la soif de l'or qui perpétua cette maladie; on alla sans cesse en Amérique, et on en rapporta toujours de nouveaux levains1.

Des raisons pieuses voulurent demander qu'on laissât cette punition sur le crime; mais cette calamité étoit entrée dans le sein du mariage, et avoit déjà corrompu l'enfance même2.

Comme il est de la sagesse des législateurs de veiller à la santé des citoyens, il eût été très-sensé d'arrêter cette communication par des lois faites sur le plan des lois mosaïques.

1. Lettres persanes, CXIII.

2. A. B. n'ont point ce paragraphe.

La peste est un mal dont les ravages sont encore plus prompts et plus rapides. Son siége principal est en Égypte, d'où elle se répand par tout l'univers. On a fait, dans la plupart des États de l'Europe, de très-bons règlements pour l'empêcher d'y pénétrer; et on a imaginé de nos jours un moyen admirable de l'arrêter on forme une ligne de troupes autour du pays infecté, qui empêche

toute communication1.

Les Turcs, qui n'ont à cet égard aucune police, voient les chrétiens dans la même ville échapper au danger, et eux seuls périr. Ils achètent les habits des pestiférés, s'en vêtissent, et vont leur train. La doctrine d'un destin rigide qui règle tout, fait du magistrat un spectateur tranquille: il pense que Dieu a déjà tout fait, et que lui n'a rien à faire.

1. On est moins confiant aujourd'hui dans l'effet des cordons sanitaires. 2. Ricaut, De l'empire ottoman [édit. de 1678, in-12], p. 284. (M.)

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DES LOIS CONTRE CEUX QUI SE TUENT EUX-MÊMES.

Nous ne voyons point dans les histoires que les Romains se fissent mourir sans sujet; mais les Anglois se tuent sans qu'on puisse imaginer aucune raison qui les y détermine, ils se tuent dans le sein même du bonheur. Cette action, chez les Romains, étoit l'effet de l'éducation; elle tenoit à leur manière de penser et à leurs coutumes chez les Anglois, elle est l'effet d'une maladie 3; elle tient à l'état physique de la machine, et est indépendante de toute autre cause.

Il y a apparence que c'est un défaut de filtration du suc nerveux; la machine, dont les forces motrices se trouvent à tout moment sans action, est lasse d'ellemême; l'âme ne sent point de douleur, mais une certaine difficulté de l'existence. La douleur est un mal local qui

1. L'action de ceux qui se tuent eux-mêmes est contraire à la loi naturelle et à la religion révélée. (M.) Cette note n'est pas dans les premières éditions. En sa qualité de stoicien, Montesquieu a toujours été plus qu'indulgent pour le suicide. V. Lettres persanes, LXXVI et LXXVII; Considerations sur la grandeur et la décadence des Romains, ch. XIII.

2. « Il n'y a pas de nation qui ait plus besoin de religion que les Anglois. Ceux qui n'ont pas peur de se pendre doivent avoir la peur d'être damnés. » Montesquieu, Pensées diverses.

3. Elle pourroit bien être compliquée avec le scorbut qui, surtout dans quelques pays, reud un homme bizarre et insupportable à lui-même Voyage de François Pyrard, part. II, chap. xxI. (M.)

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