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dans l'année; qu'il y auroit un préteur établi pour juger leurs prétentions, sans formalité; que les marchands ne paieroient rien pour les navires1. Voilà les beaux jours de cet empereur.

1. Tacite, Annales, liv. XIII, LI. (M.) Ut leges cujusque publici, occulta ad id tempus, proscriberentur, en d'autres termes, que les conditions des baux faits par l'État aux publicains pour chaque espèce d'impôt seroient affichées publiquement. Il est visible que M. de Montesquieu n'a pas entendu le mot publicum. (Crévier.)

DES TRAITANTS.

Tout est perdu lorsque la profession lucrative des traitants parvient encore par ses richesses à être une profession honorée. Cela peut être bon dans les États despotiques, où souvent leur emploi est une partie des fonctions des

gouverneurs eux-mêmes. Cela n'est pas bon dans la république; et une chose pareille détruisit la république romaine. Cela n'est pas meilleur dans la monarchie; rien n'est plus contraire à l'esprit de ce gouvernement. Un dégoût saisit tous les autres états; l'honneur y perd toute sa considération, les moyens lents et naturels de se distinguer ne touchent plus, et le gouvernement est frappé dans son principe.

Ón vit bien, dans les temps passés, des fortunes scandaleuses; c'étoit une des calamités des guerres de cinquante ans mais pour lors, ces richesses furent regardées comme ridicules, et nous les admirons1.

1. Ces réflexions ne furent pas du goût des traitants. Ils s'en plaignirent à l'apparition de l'Esprit des lois. On en peut juger par ce passage d'une lettre écrite en 1749 par Montesquieu à son ami le chevalier d'Aydies :

«Mon cher chevalier, pourquoi les gens d'affaires se croient-ils attaqués? J'ai dit que les chevaliers, à Rome, qui faisoient beaucoup mieux leurs affaires que vous autres chevaliers ne faites ici les vôtres, avoient

Il y a un lot pour chaque profession. Le lot de ceux qui lèvent les tributs est les richesses, et les récompenses de ces richesses sont les richesses mêmes. La gloire et l'honneur sont pour cette noblesse qui ne connoît, qui ne voit, qui ne sent de vrai bien que l'honneur et la gloire. Le respect et la considération sont pour ces ministres et ces magistrats qui, ne trouvant que le travail après le travail, veillent nuit et jour pour le bonheur de l'empire.

perdu cette république, et je ne l'ai pas dit, mais je l'ai démontré. Pourquoi prennent-ils là-dedans une part que je ne leur donne pas. »

N'en déplaise à Montesquieu, les traitants se sentaient touchés et ils n'avaient pas tort.

LIVRE QUATORZIÈME.

DES LOIS DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT

AVEC LA NATURE DU CLIMAT.

CHAPITRE PREMIER.

IDÉE GÉNÉRALE 1.

S'il est vrai que le caractère de l'esprit et les passions du cœur soient extrêmement différents dans les divers climats, les lois doivent être relatives et à la différence de ces passions, et à la différence de ces caractères 2.

1. Défense de l'Esprit des lois, seconde partie : Climat.

2. De toutes les théories de Montesquieu, c'est celle du climat et de son influence qui a fait le plus de bruit. C'était la première fois que, dans les temps modernes, on donnait aux causes physiques une action aussi marquée sur la vie des peuples. De là des accusations sans nombre. Il faut reconnaître cependant que le climat joue un trop grand rôle dans les habitudes et le caractère des individus et des nations pour qu'il soit permis de n'en pas tenir compte. Montesquieu a-t-il été trop loin, c'est une autre question le lecteur en décidera.

COMBIEN LES HOMMES SONT DIFFÉRENTS

DANS LES DIVERS CLIMATS.

L'air froid resserre les extrémités des fibres extérieures de notre corps; cela augmente leur ressort, et favorise le retour du sang des extrémités vers le cœur. Il diminue la longueur de ces mêmes fibres; il augmente donc encore par là leur force. L'air chaud, au contraire, relâche les extrémités des fibres, et les allonge; il diminue donc leur force et leur ressort.

On a donc plus de vigueur dans les climats froids. L'action du cœur et la réaction des extrémités des fibres s'y font mieux, les liqueurs sont mieux en équilibre, le sang est plus déterminé vers le cœur, et réciproquement le cœur a plus de puissance. Cette force plus grande doit produire bien des effets par exemple, plus de confiance en soi-même, c'est-à-dire plus de courage; plus de connoissance de sa supériorité, c'est-à-dire moins de désir de la vengeance; plus d'opinion de sa sûreté, c'est-à-dire plus de franchise, moins de soupçons, de politique et de ruses. Enfin cela doit faire des caractères bien différents. Mettez un homme dans un lieu chaud et enfermé, il souf

1. Cela paroît même à la vue: dans le froid on paroît plus maigre. (M.) 2. On sait qu'il raccourcit le fer. (M.)

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