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D'UNE RÉPUBLIQUE EN CAS PAREIL.

Lorsqu'une république a réduit une nation à cultiver les terres pour elle, on n'y doit point souffrir que le citoyen puisse augmenter le tribut de l'esclave. On ne le permettoit point à Lacédémone; on pensoit que les Elotes1 cultiveroient mieux les terres lorsqu'ils sauroient que leur servitude n'augmenteroit pas: on croyoit que les maîtres seroient meilleurs citoyens lorsqu'ils ne désireroient que ce qu'ils avoient coutume d'avoir.

1. Plutarque, Dits notables des Lacédémoniens. (M.)

D'UNE MONARCHIE EN CAS PAREIL.

Lorsque, dans une monarchie, la noblesse fait cultiver les terres à son profit par le peuple conquis, il faut encore que la redevance ne puisse augmenter1. De plus il est bon que le prince se contente de son domaine et du service militaire. Mais s'il veut lever des tributs en argent sur les esclaves de sa noblesse, il faut que le seigneur soit garant du tribut, qu'il le paie pour les esclaves, et le reprenne sur eux; et si l'on ne suit pas cette règle, le seigneur et ceux qui lèvent les revenus du prince vexeront l'esclave tour à tour, et le reprendront l'un après l'autre, jusqu'à ce qu'il périsse de misère ou fuie dans les bois.

1. C'est ce qui fit faire à Charlemagne ses belles institutions là-dessus. Voyez le liv. V des Capitulaires, art. 303. (M.) Mais est-il vrai que les colons et serfs appartinssent exclusivement au peuple conquis? C'est le roman du comte de Boulainvilliers. V. inf., XXX, x.

2. C'est-à-dire les serfs ou hommes de la glèbe.

3. Cela se pratique ainsi en Allemagne. (M.)

D'UN ÉTAT DESPOTIQUE EN CAS PAREIL.

Ce que je viens de dire est encore plus indispensable dans l'État despotique. Le seigneur qui peut, à tous les instants, être dépouillé de ses terres et de ses esclaves, n'est pas si porté à les conserver.

Pierre I, voulant prendre la pratique d'Allemagne et lever ses tributs en argent, fit un règlement trèssage que l'on suit encore en Russie. Le gentilhomme lève la taxe sur les paysans, et la paie au czar. Si le nombre des paysans diminue, il paie tout de même; si le nombre augmente, il ne paie pas davantage; il est donc intéressé à ne point vexer ses paysans.

DES TRIBUTS DANS LES PAYS OU L'ESCLAVAGE
DE LA GLEBE N'EST POINT ÉTABLI.

Lorsque, dans un État, tous les particuliers sont citoyens, que chacun y possède par son domaine ce que le prince y possède par son empire, on peut mettre des impôts sur les personnes, sur les terres, ou sur les marchandises; sur deux de ces choses, ou sur les trois ensemble.

Dans l'impôt de la personne, la proportion injuste seroit celle qui suivroit exactement la proportion des biens. On avoit divisé à Athènes1 les citoyens en quatre classes. Ceux qui retiroient de leurs biens cinq cents mesures de fruits liquides ou secs, payoient au public un talent2; ceux qui en retiroient trois cents mesures devoient un demi-talent; ceux qui avoient deux cents mesures payoient dix mines, ou la sixième partie d'un talent; ceux de la quatrième classe ne donnoient rien3. La taxe étoit juste quoiqu'elle ne ne fût point proportionnelle; si elle ne suivoit pas la proportion des biens, elle suivoit la proportion des besoins. On jugea que chacun avoit un nécessaire

1. Pollux, liv. VIII, chap. x, art. 130. (M.)

2. A. B. mettent en note: ou 60 mines.

3. Cette quatrième classe était composée de mercenaires qui ne possédaient rien.

physique égal, que ce nécessaire physique ne devoit point être taxé; que l'utile venoit ensuite, et qu'il devoit être taxé, mais moins que le superflu; que la grandeur de la taxe sur le superflu empêchoit le superflu.

Dans la taxe sur les terres, on fait des rôles où l'on met les diverses classes des fonds. Mais il est très-difficile de connoître ces différences, et encore plus de trouver des gens qui ne soient point intéressés à les méconnoître. Il y a donc là deux sortes d'injustices : l'injustice de l'homme et l'injustice de la chose. Mais si en général la taxe n'est point excessive, si on laisse au peuple un nécessaire abondant, ces injustices particulières ne seront rien. Que si, au contraire, on ne laisse au peuple que ce qu'il lui faut à la rigueur pour vivre, la moindre disproportion sera de la plus grande conséquence.

Que quelques citoyens ne paient pas assez, le mal n'est pas grand; leur aisance revient toujours au public; que quelques particuliers paient trop, leur ruine se tourne contre le public. Si l'État proportionne sa fortune à celle des particuliers, l'aisance des particuliers fera bientôt monter sa fortune. Tout dépend du moment. L'État commencera-t-il par appauvrir les sujets pour s'enrichir? ou attendra-t-il que des sujets à leur aise l'enrichissent? Aura-t-il le premier avantage, ou le second? Commencerat-il par être riche, ou finira-t-il par l'être?

Les droits sur les marchandises sont ceux que les peuples sentent le moins, parce qu'on ne leur fait pas une demande formelle1. Ils peuvent être si sagement ménagés, que le peuple ignorera presque qu'il les paie. Pour cela, il est d'une grande conséquence que ce soit celui qui vend

1. Inf., ch. XIV.

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