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On peut se souvenir des malheurs arrivés aux princes pour avoir insulté leurs sujets; des vengeances de Chéréas1, de l'eunuque Narsès, et du comte Julien2; enfin, de la duchesse de Montpensier, qui, outrée contre Henri III, qui avoit révélé quelqu'un de ses défauts secrets, le troubla pendant toute sa vie.

1. Le vrai nom est Chéréa.

2. Inf., XIV, XIV.

DES LOIS CIVILES

PROPRES A METTRE UN PEU DE LIBERTÉ

DANS LE GOUVERNEMENT DESPOTIQUE.

Quoique le gouvernement despotique, dans sa nature, soit partout le même, cependant des circonstances, une opinion de religion, un préjugé, des exemples reçus, un tour d'esprit, des manières, des mœurs, peuvent y mettre des différences considérables.

Il est bon que de certaines idées s'y soient établies. Ainsi, à la Chine, le prince est regardé comme le père du peuple et, dans les commencements de l'empire des Arabes, le prince en étoit le prédicateur1.

Il convient qu'il y ait quelque livre sacré qui serve de règle, comme l'Alcoran chez les Arabes, les livres de Zoroastre chez les Perses, le Védam chez les Indiens, les livres classiques chez les Chinois. Le code religieux supplée au code civil, et fixe l'arbitraire.

Il n'est pas mal que, dans les cas douteux, les juges consultent les ministres de la religion. Aussi en Turquie les cadis interrogent-ils les mollachs3. Que si le cas mérite

1. Les Califes. (M.)

2. Histoire des Tattars, IIIe partie, p. 277, dans les remarques. (M.) 3. Montesquieu confond les mollahs avec le muphty. Le nom de mollah désigne un cadi ou juge d'un rang supérieur. Quand deux personnes plaident

la mort, il peut être convenable que le juge particulier, s'il y en a, prenne l'avis du gouverneur, afin que le pouvoir civil et ecclésiastique soient encore tempérés par l'autorité politique.

devant le cadi ou devant le mollah, sur une question difficile ou intéressante, les parties prennent le fetfa du muphty, qui est proprement une réponse à leur consultation, conçue en ces termes : Permis ou non permis par la loi. Le muphty est donc consulté comme le premier interprète de la loi, et quand son fefta n'y est pas conforme, le cadi prononce suivant la loi, en supposant que le muphty a été mal instruit. Guys, Lettres sur la Grèce, n° xxx.

CONTINUATION DU MÊME SUJET.

C'est la fureur despotique qui a établi que la disgrâce du père entraîneroit celle des enfants et des femmes. Ils sont déjà malheureux sans être criminels; et, d'ailleurs, il faut que le prince laisse entre l'accusé et lui des suppliants pour adoucir son courroux, ou pour éclairer sa justice.

C'est une bonne coutume des Maldives 1, que lorsque un seigneur est disgracié, il va tous les jours faire sa cour au roi, jusqu'à ce qu'il rentre en grâce; sa présence désarme le courroux du prince.

Il y a des États despotiques où l'on pense que de parler à un prince pour un disgracié, c'est manquer au respect qui lui est dû. Ces princes semblent faire tous leurs efforts pour se priver de la vertu de clémence.

Arcadius et Honorius, dans la loi3 dont j'ai tant parlé 1, déclarent qu'ils ne feront point de grâce à ceux qui oseront les supplier pour les coupables. Cette loi étoit bien

1. Voyez François Pirard. (M.)

2. Comme aujourd'hui en Perse, au rapport de M. Chardin. Cet usage est bien ancien. « On mit Cavade, dit Procope, dans le château de l'oubli. Il y a une loi qui défend de parler de ceux qui y sont enfermés, et même de prononcer leur nom. » (M.)

3. La loi 5, au Cod. ad leg. Jul. maj. (M.)

4. Au chapitre vin de ce livre. (M.)

mauvaise, puisqu'elle est mauvaise dans le despotisme même1.

3

La coutume de Perse qui permet à qui veut de sortir du royaume est très-bonne; et, quoique l'usage contraire ait tiré son origine du despotisme, où l'on a regardé les sujets comme des esclaves, et ceux qui sortent comme des esclaves fugitifs, cependant la pratique de Perse est très-bonne pour le despotisme, où la crainte de la fuite ou de la retraite des redevables, arrête ou modère les persécutions des bachas et des exacteurs*.

1. Frédéric copia cette loi dans les Constitutions de Naples, liv. I. (M.) 2. A. B. A quiconque veut, etc.

3. Dans les monarchies, il y a ordinairement une loi qui défend à ceux qui ont des emplois publics de sortir du royaume sans la permission du prince. Cette loi doit être encore établie dans les républiques. Mais dans celles qui ont des institutions singulières, la défense doit être générale, pour qu'on n'y rapporte pas b les mœurs étrangères. (M.)

4. N'est-ce pas aux protestants de France que pensait l'auteur, en citant la modération des coutumes de Perse?

a Notamment les cardinaux, les évêques, etc.

A. B. Pour qu'on n'y porte ou qu'on n'y rapporte pas, etc.

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