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dont la fausseté est aujourd'hui bien reconnue et avérée; c'est ainsi qu'ils abusèrent de l'influence et de l'autorité que leur donna leur coupable victoire, pour contraindre les journalistes à supprimer, à tronquer ou à travestir les paroles et les discours des représentans fidèles; c'est par suite de cette tactique qu'ils falsifièrent les miens:

Il est bien reconnu, dans tous les monumens historiques qui retracent l'histoire de notre révolution, que dans la séance du 19 brumaire à Saint-Cloud, ce fut moi qui, le premier, donnai le signal de la vigoureuse résistance que le conseil des cinq-cents opposa aux projets du Cromwel français; mais dans ces monumens historiques mes paroles sont rapportées d'une manière inexacte et incomplète.

C'est ainsi que dans l'histoire de la révolution française par M. Thiers, tome 10, page 517, l'auteur, rendant compte de la séance du 19 brumaire, me fait dire ces mots décousus et détachés la Constitution ou la mort!..... Les baïonnettes ne nous effraient pas!..... Nous sommes libres ici. On voit que l'historien remplace par une série de points les parties de mon discours qu'il ne rapporte pas.

:

Voici mon premier discours tel que je le prononçai.

A l'ouverture de la séance, dans la salle de l'Orangerie, à Saint-Cloud, Émile Gaudin, dans un discours concerté entre lui et ses complices, venait de parler des dangers de la patrie, dont l'imminence avait, disait-il, déterminé le conseil des anciens à rendre le décret qui transférait à Saint-Cloud les séances des deux conseils législatifs et du directoire exécutif. A peine Gaudin eut cessé de parler, que je m'élançai à la tribune où je m'exprimai en ces termes. (Voyez plus haut ce discours, p. 201.)

Ma proposition fut unanimement adoptée aux cris de vive la République! vive la Constitution de l'an !... On procéda à l'appel nominal et tous les membres du conseil appelés individuellement l'un après l'autre prêtèrent le serment prescrit par la loi.

Les conspirateurs le prêtèrent aussi : ils n'auraient osé le refuser; mais à la pâleur, à l'effroi qui se manifestaient sur leur

visage, il nous fut facile de les distinguer et de les compter. Ils n'étaient qu'environ vingt-cinq et le conseil des cinq-cents était plus complet qu'il ne l'eut jamais été.

Si dans cette crise périlleuse le conseil des cinq-cents eût possédé et exercé sans partage la puissance législative, il aurait pu prendre des mesures et rendre des décrets dont la force morale aurait déconcerté et accablé les conspirateurs et leurs satellites; mais ce conseil n'était qu'une fraction du corps législatif. Ses résolutions restaient sans force et sans autorité si elles n'étaient revêtues de la sanction du conseil des anciens et les conspirateurs avaient eu la précaution d'empêcher toute communication entre les deux conseils en les tenant séparés par de nombreux corps de troupes (1).

DELBREL, ex-conventionnel.

(1) Cette notice historique se rattache à une autre notice que j'adressai le 10 octobre 1819 à messieurs les rédacteurs de l'histoire intitulée Victoires, Conquêtes, Désastres, pour réclamer la rectification des détails de la journée du 19 brumaire an viii, dans le tome XI, p. 250 et suivantes. Ces détails, rédigés avec une infidélité et une partialité révoltantes, étaient offensans pour le conseil des cinq-cents, le seul corps de l'état qui eût énergiquement fait son devoir dans cette fatale circonstance. (Note de Delbrel.)

CONSULAT.

HISTOIRE DE LA CONSTITUTION DE L'AN VIII.

DU 20 BRUMAIRE AN VIII (11 NOVEMBRE 1799) AU 5 NIVOSE AN VIII (26 DÉCEMBRE 1799).

Les consuls revinrent à Paris le 20 brumaire au matin, et al: lèrent prendre possession du palais du directoire. A peine arrivés au Luxembourg, ils tinrent leur première séance. Il s'agissait de donner la présidence; on convint qu'elle n'appartiendrait à personne particulièrement, et que chaque jour l'un des consuls serait président à son tour (Journal de Paris, n. 55). On lit dans les Mémoires deainte-Hélène (tome IV page 398) que cette réunion fut signalée par une scène singulière. A peine les trois consuls furent-ils seuls, que Siéyès leur montra un meuble dans lequel était contenu 800,000 francs; c'était une caisse destinée à indemniser secrètement les directeurs sortant de place. Sieyès demanda ce qu'il fallait faire de cette somme. Bonaparte feignit d'abord de ne pas comprendre; puis il dit qu'elle appartenait à Siéyès et à Ducos. En effet, ces deux ex-directeurs se la partagérent; mais le premier prit la part du lion. Thibeaudeau ( Histoire de Bonaparte) met cette anecdote en doute; il ajoute que, par un arrêté des consuls du 21 frimaire, le restant en caisse de ce fonds montant, d'après le bordereau de Lagarde, secrétaire général, et le compte-rendu de Ramel, ex-ministre des finances, à 334,613 francs, fut affecté au remboursement des avances et dépenses extraordinaires faites dans les journées des 18 et 19 brumaire. Il convient cependant que la notoriété publique est que Siéyès et Ducos se partagèrent cette somme. D'un autre côté, Gohier, dans ses mémoires, assure que Ducos lui a affirmé qu'il

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n'avait reçu que 100,000 francs. » Cette affirmation fait supposer que l'arrêté du 21 frimaire ne fut qu'un moyen de couvrir, après coup, un vol honteux dont personne d'ailleurs ne pouvait être mieux instruit que celui qui dicta les Mémoires de SainteHélène.

Siéyès ne fut pas content de cette part d'argent; un peu plus tard, lorsqu'il quitta le consulat, il demanda une nouvelle indemnité. En conséquence les consuls adressèrent aux commissions des conseils un message spécial, dans lequel ils demandaient de décerner au citoyen Siéyès, à titre de récompense nationale, la propriété de l'un des domaines appartenant à l'état. Et le 30 frimaire an vIII, « la commission, considérant qu'il est > instant, pour la stabilité de toute constitution politique, de don› ner des témoignages éclatans de gratitude aux citoyens qui » ont rendu de grands services à la patrie, prend la résolution ⚫ suivante: Le domaine national de Crosne, département de Seine-et-Oise, ou tout autre équivalent, est décerné en toute propriété, pleine et entière, au citoyen Siéyès, à titre de re⚫ connaissance nationale. » Siéyès préféra au domaine de Crosne des équivalens plus faciles à cacher à l'attention publique. L'état conserva cette propriété, mais en la rachetant, selon Gohier, à un prix bien supérieur à ce qu'elle valait.

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Bonaparte s'occupa, dès les premiers jours, de soins qui annonçaient une plus haute ambition. Il s'attacha à capter l'opinion de tous les hommes qui pouvaient exercer quelque influence sur les autres; il chercha à se faire louer de tous ceux dont l'éloge avait quelque prix et quelque retentissement; il alla au-devant des désirs de tout le monde, caressant la vanité des uns, donnant des espérances aux autres, flattant les désirs de tous, faisant même croire à chacun qu'il s'intéressait à lui individuellement. Il alla visiter l'École polytechnique; il alla le 22 frimaire assister à une séance de l'Institut: nous avons oublié de dire qu'il en avait été nommé membre après le 18 fructidor, en remplacement de Carnot, et que, depuis ce moment, il en avait pris le titre sur toutes ses proclamations et sur tous les actes publics qu'il avait signés.

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Son attention ne se borna pas à ces quelques démarches ; il passa des revues; profita de toutes les occasions pour causer avec l'officier et le soldat. Il disait aux fonctionnaires : « Il ne faut plus voir de Jacobins, de terroristes, de modérés, mais partout des Français. H visitait ses vieux camarades à l'Hôtel-des-Invalides; il parcourait les prisons, et trouvait le moyen de se faire présenter tout le monde ; il reçut les citoyens aussi bien que les autoriil donna au commercé les assurances les plus flatteuses, et remerciant chacun des services qu'il avait rendus à une époque ou à une autre, il promettait à tous d'employer bientôt leurs lumières et leurs talens. De cette manière, il tourna rapidement l'opinion en sa faveur. D'un autre côté, on faisait dire dans les journaux les plus accrédités, entre autre dans le Moniteur, que le 18 brumaire avait été nécessité par la connaissance d'un complot près d'éclater. Le parti que l'on avait vaincu avait, assurait-on, l'intention de réunir les deux conseils et d'en former une convention après en avoir écarté tous les personnages honnêtes et s'en être débarrassé violemment; il ne voulait rien moins que rappeler le régime de la terreur. Il n'y avait personne pour dementir ces bruits; car la presse, toujours placée sous la crainte des saisies, des suppressions et des déportations, était depuis long-temps muette. Et pour ôter tout moyen de contradiction, les consuls firent fermer tous les clubs. Enfin l'on fit toutes les

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démarches nécessaires pour faire croire que la vie de Bonaparte avait été menacée dans la dernière séance des cinq-cents, et que ce général n'avait échappé que par miracle. Les journaux entretenaient le public du brave grenadier Thomé, qui, à force de s'entendre louer pour un acte qu'il n'avait point fait, finit par y croire lui même. Il y eut des fêtes publiques dont Thomas Thomẻ fut le héros; Thomé eut l'honneur de déjeuner avec son général; la citoyenne Bonaparte l'embrassa, et lui donna un diamant de la valeur de 6,000 francs; enfin, sur la proposition formelle des consuls, les commissions législatives accordèrent à Thomé et à Poiret, autre grenadier à qui l'on fit accroire qu'il avait également préservé le général du poignard des assassins,

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