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chofe, puifée dans la raifon & dans les fources du bien & du mal. Un Citoyen mérite la mort, lorsqu'il a violé la fûreté au point qu'il a ôté la vie, ou qu'il a entrepris de l'ôter. Cette peine de mort eft comme le remede de la fociété malade. Lorsqu'on viole la fûreté à l'égard des biens, il peut y avoir des raisons pour que la peine foit capitale : mais il vaudroit peut-être mieux, & il feroit plus. de la nature, que la peine des crimes contre la fûreté des biens fut punie part la perte des biens; & cela devroit être ainfi, files fortunes étoient communes ou égales. Mais comme ce font ceux qui n'ont point de biens qui attaquent plus volontiers celui des autres, il a fallu que lax peine corporelle fuppléat à la pécuniaire..

Tout ce que je dis eft puifé dans la nature, & eft très-favorable à la liberté du Citoyen..

ART.IV. Accufations qui ont particulierement befoin de modération & de prudence..

Maxime importante: il faut être très-circonfpect dans la poursuite de la Magië & de l'Héréfie. L'accufation de ces deux crimes peut extrêmement choquer la li berté, & être la fource d'une infinité de tyrannies, fi le Législateur ne fçait la bor

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ner. Car comme elle ne porte pas directement fur les actions d'un Citoyen, mais plutôt fur l'idée que l'on s'eft faite de fon caractere, elle devient dangereuse à proportion de l'ignorance du peuple ; & pour lors un Citoyen eft toujours en danger, parce que la meilleure conduite du monde, la Morale la plus pure, la pratique de tous les devoirs, ne font pas des garans contre les foupçons de ces crimes.

Sous Manuel Comnene le Proteftator [a] fut accusé d'avoir confpiré contre l'Empereur, & de s'être fervi pour cela de certains fecrets qui rendent les hommes invifibles. Il eft dit dans la vie de cet Empereur [b] que l'on furprit Aaron lifant un Livre de Salomon, dont la lecture faifoit paroître des Légions de Démons. Or en fuppo fant dans la Magie une puiffance qui arme l'Enfer, & en partant delà, on regarde celui que l'on appelle un Magicien, comme l'homme du monde le plus propre à troubler & à renverser la fociété, & l'on eft porté à le punir fans mesure.

L'indignation croît lorfque l'on met dans la Magie le pouvoir de détruire la Religion. L'Hiftoire de Conftantinople [c] nous apprend que fur une révélation

[a] Nicetas vie de Manuel Comnene, Liv. IV. [b] Ibid.

[c] Hiftoire de l'Empereur Maurice par Théophy late, chap. XI,

qu'avoit eu un Evêque qu'un Miracle avoit ceffé à caufe de la Magie d'un particulier, lui & fon fils furent condamnés à mort. De combien de chofes prodigieufes ce crime ne dépendoit-il pas ? Qu'il ne foit pas rare qu'il y ait des révélations que l'Evêque en ait eu une, qu'elle fut véritable, qu'il y eut eu un Miracle, que ce Miracle eut ceffé, qu'il y eut de la Magie, que la Magie put renverfer la Religion, que ce particulier fut Magicien, qu'il eut fait enfin cet Acte de Magie.

L'Empereur Theodore Lafcaris attribuoit fa maladie à la Magie. Ceux qui en étoient accufés n'avoient d'autre reffource que de manier un fer chaud fans fe brûler. Il auroit été bon chez les Grecs d'être Magicien pour fe juftifier de la Magie. Tel étoit l'excès de leur idiotifme, qu'au crime du monde le plus incertain ils joignoient les preuves les plus incertaines.

Sous le Regne de Philippe le Long, les Juifs furent chaffés de France accufés d'avoir empoisonné les fontaines par le moyen des lépreux. Cette abfurde accufation doit bien faire douter de toutes celles qui font fondées fur la haine publique.

Je n'ai point dit ici qu'il ne falloit point punir l'Héréfie ; je dis qu'il faut être très-circonspect à la punir.

ART. V. Crime contre nature.

A Dieu ne plaise que je veuille diminuer l'horreur que l'on a pour un crime que la Religion, la Morale & la Politique condamnent tour à tour. Il faudroit le profcrire, quand il ne feroit que donner à un fexe les foibleffes de l'autre, & préparer à une vieilleffe infame par une jeunesse honteufe. Ce que j'en dirai lui laiffera toutes fes flétriffures, & ne portera que contre la tyrannie qui peut abufer de l'horreur même que l'on en doit avoir.

Comme la nature de ce crime eft d'être caché, il eft fouvent arrivé que des Légiflateurs l'ont puni fur la dépofition d'un Enfant. C'étoit ouvrir une porte bien large à la calomnie. » Juftinien, dit Procope, » [a] publia une Loi contre ce crime; il » fit rechercher ceux qui en étoient cou»pables, non feulement depuis la Loi » mais avant. La dépofition d'un témoin, » quelquefois d'un enfant, quelquefois » d'un efclave, fuffifoit, fur tout contre » les riches & contre ceux qui étoient » de la faction des Verds. »

Il eft fingulier que parmi nous trois crimes, la Magie, l'Héréfie & le crime contre nature, dont on pourroit prouver

[a] Hift. fecrette.

du premier qu'il n'existe pas, du fecond qu'il eft fufceptible d'une infinité de diftinctions, interprétations, limitations, du troifiéme qu'il eft très-fouvent obfcur ayent été tous trois punis de la peine du feu.

Je dirai bien que le crime contre nature ne fera jamais dans une fociété de grand progrès, fi le peuple ne s'y trouve porté d'ailleurs par quelque coûtume comme chez les Grecs où les jeunes-gens faifoient tous leurs exercices nuds; comme chez nous où l'éducation domestique eft hors d'ufage; comme chez les Afiatiques ou des particuliers ont un grand nombre de femmes qu'ils méprifent, tandis que les autres n'en peuvent avoir. Que l'on ne prépare point ce crime, qu'on le profcrive par une police exacte comme toutes les violations des mœurs, & l'on verra foudain la nature, ou défendre fes droits ou les reprendre. Douce, aimable, charmante, elle a répandu les plaisirs d'une main libérale, & en nous comblant de délices, elle nous prépare pour l'avenir à des fatisfactions plus grandes que fes délices mêmes.

ART. VI. Crime de Lefe-Majesté.

Les Loix de la Chine décident que

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