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» Sr. Perry [a], a fait une nouvelle Or» donnance qui défend de lui préfenter » de Requête, qu'après en avoir présenté » deux à fes Officiers. On peut en cas » de déni de juftice, lui préfenter la » troifiéme, mais avec peine de mort » pour celui qui a tort. Perfonne depuis » n'a dreffé de requête au Czar. »

ART. XXIV. Maurs du Monarque.

Les mœurs du Prince contribuent autant à la liberté que les Loix ; il peut comme elles, faire des hommes des bêtes, & des bêtes faire des hommes. S'il aime les ames libres, il aura des Sujets ; s'il aime les ames baffes, il aura des efclaves. Veut-il fçavoir le grand art de regner? qu'il appproche de lui l'honneur & la vertu, qu'il appelle le mérite perfonnel. Il peut même jetter quelquefois les yeux fur les talens. Qu'il ne craigne point ces rivaux, qu'on appelle les hommes de mérite; il eft leur égal, dès qu'il les aime; qu'il gagne le coeur, mais qu'il ne captive point l'efprit; qu'il fe rende populaire; il doit être flaté de l'amour du moindre de fes fujets, ce font toujours des hommes; le Peuple demande

[a] Etat de la grande Ruffie, p. 173. Edition de Paris 1727

fi peu d'égards, qu'il eft jufte de les lui accorder; l'infinie distance qui est entre le Souverain & lui, empêche bien qu'il ne le gêne; qu'exorable à la priere, il foit ferme contre les demandes, & qu'il fçache que fon Peuple jouit de fes refus, & fes Courtifans de fes graces.

ART. XXV. Egards que les Monarques doivent à leurs Sujets.

Il faut qu'ils foient extrêmement retenus fur la raillerie. Elle flate lorfqu'elle eft modérée, parce qu'elle donne les moyens d'entrer dans la familiarité : mais une raillerie piquante leur eft bien moins permife qu'au dernier de leurs Sujets, parce qu'ils font les feuls qui bleffent toujours mortellement.

Encore moins doivent-ils faire à un de leurs Sujets une infulte marquée; ils font établis pour pardonner, pour punir; jamais pour infulter.

Lorfqu'ils infultent leurs Sujets, ils les traitent bien plus cruellement que ne traite les fiens le Turc ou le Moscovite. Quand ces derniers infultent, ils humilient & ne deshonorent point; mais pour eux ils humilient & deshonorent.

Tel eft le préjugé des Afiatiques qu'ils regardent un affront fait par le Prince

comme l'effet d'une bonté paternelle; & telle eft notre maniere de penfer, que nous joignons au cruel fentiment de l'affront le défefpoir de ne pouvoir nous en laver jamais.

Ils doivent être charmés d'avoir des Sujets à qui l'honneur eft plus cher que la vie, & n'eft pas moins un motif de fidélité que le courage.

On peut fe fouvenir des malheurs arrivés aux Princes pour avoir infulté leurs Sujets, des vengeances de Cheréas, de l'Eunuque Narsès & du Comte Julien ; enfin de la Ducheffe de Montpenfier qui outrée contre Henri III. qui avoit révélé quelqu'un de fes défauts fecrets, le troubla pendant toute fa vie.

ART. XXVI. Loix civiles propres à mettre un peu de liberté dans le Gouvernement Defpotique.

Quoique le Gouvernement Defpotique dans fa nature foit par tout le même cependant des circonftances, une opinion de Religion, un préjugé, des exemples reçus, un tour d'efprit, des manieres, des mœurs peuvent y mettre des différences confidérables.

Il eft bon que de certaines idées s'y foient établies. Ainfi à la Chine le Prin

ce eft regardé comme le Pere du Peuple; & dans les commencemens de l'Empire des Arabes, le Prince en étoit le [a] Prédicateur.

Il convient qu'il y ait quelque Livre facré qui ferve de régle, comme l'Alcoran chez les Arabes, les Livres de Zoroaftre chez les Perfes, le Védam chez les Indiens, les Livres claffiques chez les Chinois. Le Code Religieux fupplée au Code civil, & fixe l'arbitraire.

Il n'eft pas mal que dans les cas douteux les Juges confultent les Miniftres de la Religion [b]. Auffi en Turquie les Cadis interrogent-ils les Mollachs. Que fi le cas mérite la mort, il peut être convenable que le Juge particulier, s'il y en a, prenne l'avis du Gouverneur afin que le pouvoir civil & l'eccléfiaftique foient encore tempérés par l'autorité politique.

C'eft la fureur defpotique qui a établi que la difgrace du pere entraîneroit celle des enfans & des femmes. Ils font déja malheureux fans être criminels : & d'ailleurs il faut que le Prince laiffe entre l'accufé & lui des fupplians pour adoucir son courroux ou pour éclairer sa Justice.

[a] Les Caliphes.

[6] Hiftoire des Tartares, troifiéme Partie, p. 277, dans les remarques.

C'est une bonne coûtume des Maldives [a] que lorfqu'un Seigneur eft difgracié, il va tous les jours faire fa Cour au Roi, jufqu'à ce qu'il rentre en grace: fa présence defarme le courroux du Prince.

Il y a des Etats defpotiques [6] où l'on penfe que de parler à un Prince pour un difgracié, c'eft manquer au refpect qui lui eft dû. Ces Princes femblent faire tous leurs efforts, pour fe priver de la vertu de clémence.

Arcadius & Honorius, dans la Loi [c] dont nous avons tant parlé [d], décla rent qu'ils ne feront point de grace à ceux qui oferont les fupplier pour les cou pables [e]. Cette Loi étoit bien mauvaife, puifqu'elle est mauvaise dans le Defpotisme même.

La coûtume de Perfe qui permet à quiconque veut de fortir du Royaume, eft très bonne; & quoique l'ufage con

[a] Voy. François Pirard.

[b] Comme aujourd'hui en Perfe, au rapport de M. Chardin cet ufage eft bien ancien. "On mit Cavade, dit Procope, dans le Château de l'oubli : 99 y a une Loi qui défend de parler de ceux qui " y font enfermés, & même de prononcer leur

il

" nom. "

[c] La Loi 5. au Cod. ad Leg. Jul. maj.

[d] A l'Art. VII. de ce Livre.

[e] Frideric copia cette Loi dans les conftitutions de Naples, Liv. 1.

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