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Ce fut le deftin de cette Ville; que des crimes nouveaux y confirmerent la liberté que des crimes anciens lui avoient procurée. L'attentat d'Appius fur Virgi nie remit le Peuple dans cette horreur contre les Tyrans que lui avoit donné le malhenr de Lucrece. Trente-sept ans après [a] le crime de l'infame Papirius, un crime pareil [6] fit que le Peuple fe retira fur le Janicule [c], & que la Loi faite pour la fûreté des Débiteurs reprit une nouvelle force.

Depuis ce temps les Créanciers furent plutôt pourfuivis par les Débiteurs pour avoir violé les Loix faites contre les ufures, que ceux-cy ne le furent pour ne les avoir pas payées.

ART. XIX. Chofes qui attaquent la liberté dans la Monarchie.

La chose du monde la plus inutile au Prince a fouvent affoibli la liberté dans les Monarchies : les Commiffaires nommés quelquefois pour juger un particulier.

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[a] L'an de Rome 465.

[b] Celui de Plantius qui attenta contre la pudicité de Veturius; Valere-Maxime, Liv. VI. Art. 1x. On ne doit point confondre ces deux évenemens; ce ne font ni les mêmes perfonnes, ai les mêmes temps.

[c] Voyez un Fragment de Denis d'Halicarnasse dans l'Extrait des Vertus & des Vices; l'Epitome de TiteLive, Liv. XI. & Freinshemius, Liv. XII.

Le Prince tire fi peu d'utilité des Commiffaires, qu'il ne vaut pas la peine qu'il change l'ordre des chofes pour cela. Il eft moralement fûr qu'il a plus l'efprit de probité & de juftice que fes Commiffaires, qui fe croyent toujours affez juftifiés par fes ordres, par un obfcur interêt de l'Etat, par le choix qu'on a fait d'eux, & par leurs craintes mêmes.

Sous Henri VIII. lorfqu'on faifoit le procès à un Pair, on le faifoit juger par des Commiffaires tirés de la chambre des Pairs; avec cette methode on fit mourir tous les Pairs qu'on voulut.

ART. XX. Espions dans la Monarchie.

Faut-il des efpions dans la Monarchie? ce n'eft pas la pratique ordinaire des bons Princes. Quand un homme eft fidele aux Loix, il a fatisfait à ce qu'il doit au Prince. Il faut au moins qu'il ait fa maison pour afyle, & le refte de fa conduite en fûreté. L'efpionage feroit peut-être tolérable, s'il pouvoit être exercé par d'honnêtes gens; mais l'infamie néceffaire de la perfonne peut faire juger de l'infamie de la chofe. Un Prince doit agir avec fes Sujets avec candeur, avec franchise avec confiance. celui qui a tant d'inquiétudes, de foupçons & de craintes, eff

un acteur qui eft embarraffé à jouer fon rôle. Quand il voit qu'en général les Loix font dans leur force & qu'elles font refpectées, il peut fe juger en fûreté. L'allure générale lui répond de celle de tous les particuliers. Qu'il n'ait aucune crainte, il ne fçauroit croire combien on eft porté à l'aimer hé pourquoi ne l'aimeroit-on pas? il eft la fource de prefque tout le bien qui fe fait; & quafi toutes les punitions font fur le compte des Loix. Il ne fe montre jamais au Peuple qu'avec un vifage ferein; fa gloire même fe commu nique à nous, & fa puiffance nous foùtient. Une preuve qu'on l'aime, c'est que l'on a de la confiance en lui, & que lorfqu'un Miniftre refufe, on s'imagine toujours que le Prince auroit accordé; même dans les calamités publiques on n'accuse point fa perfonnne, on fe plaint de ce qu'il ignore, ou de ce qu'il eft obfédé par des gens corrompus: fi le Prince fçavoit, dit le Peuple, ces paroles font une efpece d'invocation & une preuve de la. confiance qu'on a en lui.

ART. XXI. Lettres anonymes.

Les Tartares font obligés de mettre leur nom fur leurs fléches, afin que l'on connoiffe la main dont elles partent. Phi

lippe de Macédoine ayant été bleffé au fiége d'une Ville, on trouva fur le javelot, After a porté ce coup mortel à Philippe [a]. Si ceux qui accufent un homme le faifoient en vuë du bien public, ils ne l'accuferoient pas devant le Prince, qui peut être aisément prévenu, mais devant les Magiftrats, qui ont des régles qui ne font formidables qu'aux calomniateurs. Que s'ils ne veulent pas laiffer les Loix entr'eux & l'accufé, c'eft une preuve qu'ils ont fujet de les craindre; & là moindre peine qu'on puiffe leur infliger, c'est de ne point les croire. On ne peut y faire d'attention que dans les cas qui ne fçauroient fouffrir les lenteurs de la Juftice ordinaire, & où il s'agit du falut duPrince. Pour lors on peut croire que celui qui accufe a fait un effort qui a délié fa langue, & l'a fait parler. Mais dans les autres cas il faut dire avec l'Empereur Conftance: » Nous ne fçaurions foupçonner celui à » qui il a manqué un accufateur, lorf» qu'il ne lui manquoit pas un ennemi.[b]» ART. XXII. Maniere de gouverner dans la Monarchie.

L'autorité Royale eft un grand reffort, { [a] Plutarque, Œuvres Morales, Collat. de quelques Hift. Romaines & Gréques, Tom. II. p. 487. [b] Leg. VI. Cod. Theod. de Famtof. Libellis.

qui doit le mouvoir aifément & fans bruit. Les Chinois vantent un de leurs Empereurs qui gouverna, difent-ils, comme le Ciel, c'eft-à-dire, par fon exemple.

II y a des cas où la puiffance doit agir dans toute fon étenduë; il y en a où elle doit agir par fes limites. Le fublime de l'adminiftration, eft de bien connoître quelle eft la partie du pouvoir, grande ou petite, que l'on doit employer dans les diverfes circonstances.

Dans nos Monarchies toute la félicité confifte dans l'opinion que le Peuple a de la douceur du Gouvernement. Un Miniftre mal-habile veut toujours vous avertir que vous êtes efclaves. Mais fi cela étoit, il devroit chercher à le faire ignorer. Il ne fçait vous dire ou vous écrire fi ce n'eft que le Prince eft fâché, qu'il eft furpris, qu'il mettra ordre. Il y a une certaine facilité dans le commandement; il faut que le Prince encourage, & que ce foient les Loix qui menacent [a].

'ART. XXIII. Dans la Monarchie le Prince doit être acceffible.

Cela fe fentira beaucoup mieux par les contrastes. « Le Czar Pierre I, dit le

[a]. Nerva, dit Tacite, augmenta la facilité de 'Empire.

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