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ART. XVI. Propriété particuliere au

Gouvernement de la Chine.

Les Législateurs de la Chine firent plus [a]; its confondirent la Religion, les Loix, les mœurs & les manieres, tout cela fut la morale, tout cela fut la vertu. Les préceptes qui regardent ces quatre points furent ce que l'on appella les rites. Ce fut dans l'obfervation exacte de ces rites que le Gouvernement Chinois triompha. On paffa toute fa jeunesse à les apprendre, toute fa vie à les pratiquer. Les Lettres les enfeignerent, les Magiftrats les prêcherent; & comme ils enveloppoient toutes les petites actions de la vie, lorfqu'on trouva le moyen de les faire ob ferver exactement, la Chine fut bien gou. vernée.

Deux chofes ont pu aifément graver les rites dans le coeur & l'efprit des Chinois; l'une la difficulté de l'écriture, qui a fait que pendant une très-grande partie de la vie l'efprit en a été uniquement [6] occupé, parce qu'il a falu apprendre à lire dans les livres & pour les livres qui les contenoient; l'autre que les préceptes

[a] Voyez les Livres Claffiques, dont le Pere Duhalde, nous a donné de fi beaux morceaux.

[b] C'eft ce qui a établi l'émulation, la fuite de l'oifiveté & l'eftime pour le sçavoir.

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des rites n'ayant rien de fpirituel, mais fimplement des régles d'une pratique commune, il eft plus aifé d'en convaincre & d'en frapper les efprits que d'une chofe intellectuelle.

Les Princes qui, au lieu de gouverner par les rites, gouvernerent par la force des fupplices, voulurent faire faire aux fupplices ce qui n'eft pas dans leur voir, qui eft de donner des mœurs.

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Les fupplices retrancheront bien de la fociété un Citoyen qui, ayant perdu fes mœurs viole les Loix; mais fi tout le monde a perdu fes moeurs, les rétabliront-ils Les fupplices arrêteront bien plufieurs conféquences du mal général, mais il ne corrigeront pas ce mal. Auffi quand on abandonna les principes du Gouvernement Chinois, quand la morale y fut perduë, l'Etat tomba dans l'Anarchie, & l'on vit des révolutions.

Il réfulte delà que la Chine ne perd point fes Loix par la conquête. Les manieres, les mœurs, les Loix, la Religion y étant la même chofe, on ne peut changer tout cela à la fois ; & comme il faut que le vainqueur ou le vaincu changent, il a toujours fallu à la Chine que ce fût le vainqueur. Car fes mœurs n'é- tant point ses manieres, fes manieres, les Tome II.

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Loix, fes Loix fa Religion, il a été plus sifé qu'il fe pliât peu à peu au peuple vaincu, que le peuple vaincu à lui.

Il fuit encore delà une chose bien trifte; c'est qu'il n'eft prefque pas poffible que le Chriftianisme s'établisse jamais à la [a] Chine. Les vœux de virginité, les affemblées des femmes dans les Eglifes, leur communication nécessaire avec les Miniftres de la Religion, leur participation aux Sacremens, la Confeffion auriculaire, l'Extrême-Onction, le Mariage d'une feule femme, tout cela renverse les mœurs & les manieres du pays, & frappe encore du même coup fur la Religion & fur les Loix.

La Religion Chrétienne par l'établiffement de la charité, par un culte public, par la participation aux mêmes Sacremens, femble demander que tout s'unifle; les rites des Chinois femblent ordonner que tout fe fépare.

ART. XVII. Union de la Religion, des Loix, des mœurs & des manieres chez les Chinois,

Les Légiflateurs de la Chine eurent

[a] Voyez les raisons données par les Magiftrats Chinois dans les Décrets par lefquels ils profcrivent la Religion Chrétienne, Lettres Edif. 17 Resucil.

pour principal objet du Gouvernement la tranquillité de l'Empire. La fubordination leur parut le moyen le plus propre à la maintenir. Dans cette idée ils crurent devoit infpirer le refpect pour les peres, & ils ramafferent toutes leurs forces pour cela. Ils établirent une infinité de rites & de cérémonies, pour les honorer pendant leur vie & après leur mort. Il étoit impoffible de tant honorer les peres morts, fans être porté à les honorer vivans. Les cérémonies pour les peres morts avoient plus de rapport à la Religion; celles pour les peres vivans avoient plus de rapport aux Loix, aux mœurs & aux manieres ; mais ce n'étoit que les parties d'un même code, & ce code étoit très-étendu.

Le refpect pour les peres étoit nécef-. fairement lié avec tout ce qui repréfentoit les peres, les vieillards, les maîtres les Magiftrats, l'Empereur. Ce refpect pour les peres fuppofoit un retour d'amour pour les enfans, & par conféquent le même retour des vieillards aux jeunes gens, des Magiftrats à ceux qui leur étoient foumis, de l'Empereur à fes fujets. Tout cela formoit les rites, & ces rites l'efprit général de la Nation.

On va fentir le rapport que peuvent avoir, avec la constitution fondamentale

de la Chine, les chofes qui paroiffent fes plus indifférentes. Cet Empire eft formé fur l'idée du Gouvernement d'une famille. Si vous diminuez l'autorité paternelle, ou même fi vous retranchez les cérémonies qui expriment le refpect que l'on a pour elle, vous affoibliffez le respect pour les Magiftrats qu'on regarde comme des peres; les Magiftrats n'auront plus le même foin pour les peuples qu'ils doivent confidérer comme des enfans; ce rapport d'amour qui eft entre le Prince & les fujets, fe perdra auffi peu à peu. Retranchez une de fes pratiques, & vous ébranlez l'Etat. Il est fort indifférent en · foi que tous les matins une belle-fille se leve pour rendre tels & tels devoirs à la belle-mere; mais fi l'on fait attention que ces pratiques extérieures rappellent fans ceffe à un fentiment qu'il est nécesfaire d'imprimer dans tous les cœurs, & qui va de tous les cœurs former l'efprit qui gouverne l'Empire, l'on verra qu'il eft néceffaire qu'une telle ou une telle action particuliere fe faffe.

ART. XVIII. Explication d'un paradoxe fur les Chinois.

Ce qu'il y a de fingulier, c'eft que les Chinois, dont la vie eft entiérement diri

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