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Il y a beaucoup à gagner, en fait de mœurs à garder les coutumes anciennes. Comme les peuples corrompus -font rarement de grandes chofes, qu'ils n'ont guere établi de fociétés, fondé de villes, donné de lois ; & qu'au contraire, ceux qui avoient des mœurs fimples & aufteres, ont fait la plupart des établiffeméns; rappeller les hommes aux maximes anciennes, c'est ordinairement les ramener à la vertu.

De plus, s'il y a eu quelque révolution, & que l'on ait donné à l'état une forme nouvelle, cela n'a guere pu fe faire qu'avec des peines & des travaux infinis, & rarement avec l'oifiveté & des moeurs corrompues. Ceux. mêmes qui ont fait la révolution ont voulu la faire goûter, & ils n'ont guere pu y réuffir que par de bonnes lois. Les inftitutions anciennes font donc ordinairement des corrections, & les nouvelles des abus. Dans le cours d'un long gouvernement, on va au mal par une pente infenfible, & on ne remonte au bien que par un effort.

On a douté fi les membres du fénat dont nous parlons, doivent être à vie, ou choifis pour un temps. Sans doute qu'ils doivent être choifis pour la vie,

comme cela fe pratiquoit à Rome (a), à Lacédémone (b) & à Athenes même. Car il ne faut pas confondre ce qu'on appelloit le fénat à Athenes, qui étoit un corps qui changeoit tous les trois mois, avec l'aréopage, dont les membres étoient établis pour la vie, comme des modeles perpétuels.

Maxime générale : Dans un fénat fait pour être la regle, & pour ainfi dire le dépôt des mœurs, les fénateurs doivent être élus pour la vie; dans un fénat fait pour préparer les affaires, les fénateurs peuvent changer.

L'efprit, dit Ariftote, vieillit comme le corps. Cette réflexion n'e bonne qu'à l'égard d'un magiftrat unique, & ne peut être appliquée à une affemblée de fénateurs.

Outre l'aréopage, il y avoit à Athenes des gardiens des moeurs & des gardiens des lois (c). A Lacédémone, tous les

(a) Les magiftrats y étoient annuels, & les fénateurs pour la vie.

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(b) Lycurgue, dit Xénophon, de republ. Lacedæm. voulut qu'on élût les fénateurs parmi les vieillards, » pour qu'ils ne se négligeaffent pas même à la fin » de la vie; & en les établiffant Juges du courage "des jeunes gens, il a rendu la vieilleffe de ceux-là.. » plus honorable que la force de ceux-ci. »

(c) L'aréopage lui-même étoit foumis à la cenfure.

vieillards étoient cenfeurs. A Rome deux magiftrats particuliers avoient la cenfure. Comme le fénat veille fur

le peuple, il faut que des cenfeurs ayent les yeux fur le peuple & fur le fenat. Il faut qu'ils rétabliffent dans la république tout ce qui a été corrompu, qu'ils notent la tiédeur, jugent les négligences, & corrigent les fautes, comme les lois puniffent les cri

mes.

La loi Romaine qui vouloit que l'accufation de l'adultere fût publique, étoit admirable pour maintenir la pureté des moeurs; elle intimidoit les femmes, elle intimidoit auffi ceux qui devoient veiller fur elles.

Rien ne maintient plus les mœurs qu'une extrême fubordination des jeunes gens envers les vieillards. Les uns & les autres feront contenus; ceux-là par le refpect qu'ils auront pour les vieillards, & ceux ci par le refpe& qu'ils auront pour eux-mêmes.

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Rien ne donne plus de force aux lois, que la fubordination extrême des citoyens aux magiftrats. « La grande » différence que Lycurgue a mife entre Lacédémone & les autres cités, dit

Xenophon (a), confifte en ce qu'il a »fur-tout fait que les citoyens obéiffent » aux lois; ils courent lorfque le magif»trat les appelle. Mais à Athenes un » homme riche feroit au défefpoir que > l'on crût qu'il dépendît du magiftrat ».

L'autorité paternelle eft encore trèsutile pour maintenir les moeurs. Nous avons déjà dit que dans une république il n'y a pas une force fi réprimante que dans les autres gouvernemens. II faut donc que les lois cherchent à y fuppléer elles le font par l'autorité paternelle.

A Rome, les peres avoient droit de vie & de mort fur leurs enfans (b). A Lacédémone, chaque pere avoit droit de corriger l'enfant d'un autre.

La puiffance paternelle fe perdit à Rome avec la république. Dans les monarchies où l'on n'a que faire de moeurs fi pures, on veut que chacun vive fous la puiffance des magiftrats.

(a) Répub. de Lacédémone. ·{ ́ ́

(b) On peut voir dans l'hiftoire Romaine, avec quel avantage pour la république on fe fervit de cette puiflance. Je ne parlerai que du temps de la plus grande corruption. Aulus Fulvius s'étoit, mis en chemin pour aller trouver Catilina; fon pere le rappella, & le fit mourir. Sallufte, de bello Catil. Plufieurs autres citoyens firent de même. Dion, liv. XXXVII.

Les lois de Rome qui avoient accoutumé les jeunes gens à la dépen dance, établirent une longue minorité. Peut-être avons-nous eu tort de prendre cet ufage dans une monarchie, on n'a pas befoin de tant de contrainte. Cette même fubordination dans la république, y pourroit demander que le pere reftât pendant fa vie le maître des biens de fes enfans, comme il fut réglé à Rome Mais cela n'est pas de l'efprit de la monarchie.

CHAPITRE

VIIL

Comment les lois doivent fe rapporter au principe du gouvernement dans l'arifto

cratie.

Svertueux, dans l'ariftocratie le peuple eft vertueux, on y jouira à peu près du bonheur du gouvernement populaire, & l'état deviendra puiffant. Mais comme il eft rare que là où les fortunes des hommes font inégales, il y ait beaucoup de vertu; il faut que les lois tendent à donner autant qu'elles peuvent un efprit de modération, & cherchent à rétablir cette égalité que la conftitu tion de l'état ôte néceffairement.

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