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CHAPITRE V.

Dans quel cas les Lois fomptuaires font utiles dans une monarchie.

E fut dans l'efprit de la république, ou dans quelques cas particuliers, qu'au milieu du treizieme fiecle on fit en Arragon des lois fomptuaires. Jacques I ordonna que le roini aucun de fes fujets ne pourroient manger plus de deux fortes de viandes à chaque repas, & que chacune ne feroit préparée que d'une feule maniere, à moins que ce ne fût du gibier qu'on eût tué foi-même (a).

On a fait auffi de nos jours, en Suede, des lois fomptuaires; mais elles ont un objet différent de celles d'Arragon.

Un état peut faire des lois fomptuaires dans l'objet d'une frugalité abfolue; c'eft l'efprit des lois fomptuaires des républiques; & la nature de la chofe fait voir que ce fut l'objet de celles d'Arragon.

Les lois fomptuaires peuvent avoir auffi pour objet une frugalité relative; lorfqu'un état, fentant que des marchandifes étrangeres d'un trop haut prix (a) Conftitution de Jacques 1. de l'an 1234, art. 6. dans Marca Hifpanica, p. 1429.

demanderoient un telle exportation des fiennes, qu'il fe priveroit plus de fes befoins par celles-ci qu'il n'en fatisferoit par celles-là, en défend absolument l'entrée: & c'eft l'efprit des lois que l'on a faites de nos jours en Suede (a). Ce font les feules lois fomptuaires qui conviennent aux monarchies.

En général, plus un état eft pauvre plus il eft ruiné par fon luxe relatif; & plus par conféquent il faut de lois lui fomptuaires relatives. Plus un état eft riche, plus fon luxe relatif l'enrichit, & il faut bien fe garder d'y faire des lois fomptuaires relatives. Nous expliquerons mieux ceci dans le livre fur le commerce (b). Il n'eft ici queftion que du luxe abfolu

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CHAPITRE VI

Du luxe à la Chine.

ES lois particulieres demandent des lois fomptuaires dans quelques états. Le peuple, par la force du climat,

(a) On y a défendu les vins exquis, & autres marchandifes précieufes..

(4) Voyez tom. II, liv, XX, chap. xx

peut devenir fi nombreux, & d'un autre côté les moyens de le faire fubfifter peu, vent être fi incertains, qu'il eft bon de l'appliquer tout entier à la culture des terres. Dans ces états le luxe eft dange reux, & les lois fomptuaires y doivent être rigoureuses. Ainft pour favoir s'il faut encourager le luxe ou le profcrire, on doit d'abord jeter les yeux fur le rapport qu'il y a entre le nombre du peuple, & la facilité de le faire vivre, En Angleterre, le fol produit beaucoup plus de grains qu'il ne faut pour nourrir -ceux qui cultivent les terres, & ceux qui procurent les vêtemens: il peut donc y ayoir des arts frivoles, & par conféquent du luxe. En France il croît affez de blé pour la nourriture des laboureurs & de ceux qui font employés aux manufactures. De plus, le commerce avec les étrangers peut rendre pour des chofes frivoles tant de chofes néceffaires, qu'on n'y doit guère craindre le luxe.

Ala Chine, au contraire, les femmes font fi fécondes, & l'efpece humaines'y multiplie à un tel point, que les terres, quelque cultivées qu'elles foient, fuffifent à peine pour la nourriture des habitans, Le luxe y eft donc pernicieux, &

l'efprit de travail & d'économie y eft auffi requis que dans quelques républiques que ce foit (a). Il faut qu'on s'attache aux arts i éceffaires; & qu'on fuie ceux de la volupté.

: Voilà l'efprit des belles ordonnances des empereurs Chinois. «Nos anciens, dit un empereur de la famille des Tang (b), tenoient pour maxime, que » s'il y avoit un homme qui ne labourât »point, une femme qui ne s'occupât

point à filer, quelqu'un fouffroit le » froid ou la faim dans l'empire »...... Epfur ce principe il fit détruire une infinité de monafteres de bonzes.

Le troifieme empereur de la vingtunieme dynastie (c), à qui on apporta des pierres précieufes trouvées dans une mine, la fit fermer, ne voulant pas fatiguer fon peuple à travailler pour une chofe qui ne pouvoit ni le nourrir ni le vêtir.

» Notre luxe eft fi grand, dit Kiay➜venti (d), que le peuple orne de broderies les fouliers des jeunes garçons (a) Le luxe y a toujours été arrêté.

(b) Dans une ordonnance rapportée par le P. du Halde, tom. II. p. 497.

(c) Hift. de la Chine, vingt-unieme dynastie, dans J'ouvrage du P. du Halde, tom. I.

(d) Dans un difcours rapporté par le P. du Halde, tom. III. p. 418

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& des filles, qu'il eft obligé de ven»dre ». Tant d'hommes étant occupés à faire des habits pour un feul, le moyen qu'il n'y ait bien des gens qui manquent d'habits? Il y a dix hommes qui mangent le revenu des terres

contre un

laboureur : le moyen qu'il n'y ait bien des gens qui manquent d'alimens?

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Fatale conféquence du luxe à la Chine.

N voit dans l'hiftoire de la Chine, qu'elle a eu vingt-deux dynafties qui fe font fuccédées, c'est-à-dire, qu'elle a éprouvé vingt-deux révolu tions générales, fans compter une infinité de particulieres. Les trois premieres dynasties durerent affez long-temps, parce qu'elles furent fagement gouvernées, & que l'empire étoit moins étendu qu'il ne le fut depuis. Mais on peut dire en général que toutes ces dynafties commencerent affez bien. La vertu, l'attention, la vigilance font néceffaires à la Chine; elles y étoient dans le commencement des dynafties, & elles manquoient à la fin, En effet, il étoit naturel

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