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LIVRE

VII.

Conféquences des différens princi

pes

des trois

gouvernemens,
, par

rapport aux Lois fomptuaires, au luxe, & à la condition des

femmes.

CHAPITRE PREMIER;

LE

Du luxe

E luxe eft toujours en proportion avec l'inégalité des fortunes. Si dans un état, les richeffes font également partagées, il n'y aura point de luxe; car il n'eft fondé que fur les commodités qu'on fe donne par le travail des autres. Pour que les richeffes reftent également partagées, il faut il faut que la loi ne donne à chacun que le néceffaire phyfique. Si l'on a au-delà, les uns dépenseront, les autres acquerront, & l'inéga lité s'établira.

Suppofant le néceffaire phyfique égal à une fomme donnée, le luxe de ceux. Tome I.

qui n'auront que le néceffaire, fera égar à zéro; celui qui aura le double, aura un luxe égal à un; celui qui aura le double du bien de ce dernier, aura un luxe égal à trois; quand on aura encore le double on aura un luxe égal à fept: de forte que le bien du particulier qui fuit étant toujours fuppofé double de celui du précédent, le luxe croîtra du double plus une unité, dans cette progreffion 0,1,3,7, 15, 31, 63, 127.

Dans la république de Platon (a), le luxe auroit pu fe calculer au jufte. Il y avoit quatre fortes de cens établis. Le premier étoit précisément le terme où finiffoit la pauvreté, le fecond étoit double, le troifieme triple, le quatrieme quadruple du premier. Dans le premier cens le luxe étoit égal à zéro; il étoit égal à un dans le fecond, à deux dans le troifieme, à trois dans le quatrieme; & il fuivoit ainfi la proportion arithmétique.

En confidérant le luxe des divers peuples, les uns à l'égard des autres, il eft dans chaque état en raifon composée de l'inégalité des fortunes qui eft entre

(a) Le premier cens étoit le fort héréditaire en terre & Platon ne vouloit pas qu'on pût avoir en autres effets plus du triple du fort héréditaire. Voyez ses Lois, liv. IV.

les citoyens, & de l'inégalité des richeffes des divers états. En Pologne, par exemple, les fortunes font d'une inégalité extrême; mais la pauvreté du total empêche qu'il n'y ait autant de luxe que dans un état plus riche.

Le luxe est encore en proportion avec la grandeur des villes, & fur tout de la capitale; enforte qu'il eft en raifon compofée des richeffes de l'état, de l'inéga lité des fortunes des particuliers, & du nombre d'hommes qu'on affemble dans de certains lieux.

Plus il y a d'hommes ensemble, plus ils font vains & fentent naître en eux l'envie de fe fignaler par de petites chofes (a). S'ils font en fi grand nombre, que la plupart foient inconnus les uns aux autres, l'envie de fe diftinguer redouble, parce qu'il y a plus d'efpérance de réuffir. Le luxe donne cette efpérance; chacun prend les marques de la condition qui précede la fienne. Mais à force de vouloir fe diftinguer, tout

(a) Dans une grande ville, dit l'auteur de la fable des abeilles, tom. I. p. 133. on s'habille au-deffus de fa qualité, pour être eftimé plus qu'on n'eft par la multitude. C'eft un plaifir pour un efprit foible, prefqu'auffi grand que celui de l'accompliffement de fes défirs.

devient égal, & on ne fe diftingue plus; comme tout le monde veut fe faire regar der, on ne remarque perfonne.

Il réfulte de tout cela une incommo

dité générale. Ceux qui excellent dans une profeffion mettent à leur art le prix qu'ils veulent; les plus petits talens fuivent cet exemple; il n'y a plus d'harmonie entre les befoins & les moyens. Lorfque je fuis forcé de plaider, il est nécessaire que je puiffe payer un avocat; lorfque je fuis malade, il faut que je puisse avoir un médecin.

Quelques gens ont pensé qu'en affemblant tant de peuple dans une capitale, on diminuoit le commerce, parce que les hommes ne font plus à une certaine diftance les uns des autres. Je ne le crois pas; on a plus de désirs, plus de besoins, plus de fantaifies quand on eft ensemble.

CHAPITRE II.

Des Lois fomptuaires dans la démocratie:

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E viens de dire que dans les républi ques, où les richeffes font également partagées, il ne peut point y avoir de luxe; & comme on a vu au livre cin

quieme (a), que cette égalité de diftris bution faifoit l'excellence d'une répu

blique, il fuit que moins il y a de luxe dans une république, plus elle eft parfaite. Il n'y en avoit point chez les prémiers Romains; il n'y en avoit point chez les Lacédémoniens; & dans les républiques où l'égalité n'eft pas tout-àfait perdue, l'efprit de commerce, de travail & de vertu, fait que chacun y peut & que chacun y veut vivre de fon propre bien, & que par conféquent il y a peu de luxe.

Les lois du nouveau partage des champs, demandées avec tant d'inftance dans quelques républiques, étoient falutaires par leur nature. Elles ne font dangereufes que comme action fubite, En ôtant tout-à-coup les richeffes aux uns, & augmentant de même celles des autres, elles font dans chaque famille une révolution, & en doivent produire une générale dans l'état.

A mefure que le luxe s'établit dans une république, l'efprit fe tourne vers l'intérêt particulier. A des gens à qui it ne faut rien que le néceffaire, il ne refte à défirer que la gloire de la patrie & la (a) Chap. III. & IV,

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