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rayonnement céleste, que ne peut supporter la vue des hommes, entoure les immortels, et ce rayonnement se communique parfois à ceux qu'ils protègent: tel Alexandre le Grand dans Plutarque : Τιναξαμένου δὲ τοῖς ὅπλοις ἔδοξαν οἱ Βάρβαροι σέλας τι καὶ φάσμα πρὸ τοῦ σώματος φέρεσθαι. Grimm a rapporté une tradition semblable sur Charlemagne et récemment encore un poète parlait d'un romancier anglais dont la tête paraissait, dit-on, entourée d'une auréole lumineuse 1.

Si donc l'Hécate de Ménestrate était une statue excellente, comme tout le fait supposer, les ciceroni ont dû répéter qu'elle semblait vivante, que c'était non pas une image d'Hécate, mais la déesse elle-même. Mais Hécate en personne devait, comme toutes les divinités, se révéler par la splendeur qui l'environnait, et malheur à ceux qui la regardaient trop fixement! Car ce qui est vrai, en principe, de toutes les divinités, doit l'être surtout d'une divinité terrible comme Hécate, la déesse des expiations et des cérémonies magiques. Dans le roman d'Achille Tatius, Ménélas, sur le point d'invoquer Hécate, dit à Clitophon de se voiler et le contexte prouve qu'en agissant ainsi il fallait se couvrir les yeux avec les mains; c'était donc pour la vue surtout que la présence d'Hécate était dangereuse. Ajoutez à cela que la tête d'une statue entièrement vêtue, émergeant dans la pénombre d'un temple, pouvait produire, par contraste, un effet lumineux propre à frapper les imaginations. On voit l'origine du propos, sans doute transmis de cicerone en cicerone, qui a fini par échouer, détourné de son sens, dans la compilation de Pline. Pour bien exprimer le saisissement que causait l'Hécate de Ménestrate, les ciceroni disaient aux visiteurs : « Prenez garde, c'est la déesse elle-même, voyez comme elle rayonne (μzpuzíper). Protégez vos yeux, car l'éclat qu'elle répand vous aveuglerait. » Ils disaient cela sans doute, en Grecs qu'ils étaient, d'une manière vive et spirituelle, dont le secret est perdu pour nous. Mais ils pouvaient le dire et se faire en

1. M. de Régnier, daus le Temps du 13 février 1896. Il s'agit d'Oscar Wilde. 2. Achill. Tat., ΙΙΙ, 18 : 'Αλλ' ἐπικάλυψαί σου τὸ πρόσωπον, καλῶ γὰρ τὴν Εκάτην ἐπὶ τὸ ἔργον... Ὅμως δ ̓ οὖν ἀπέστησα τῶν ὀφθαλμῶν τὰς χεῖρας.

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tendre alors même que la statue de Ménestrate était peinte à la façon des statues antiques et exposée ailleurs qu'au soleil. Pline n'a pas compris cela; mais il nous semble, après les considérations qui précèdent, que nous sommes autorisés à restituer ainsi le propos de cicerone qu'il a quelque peu dénaturé en le répétant.

Hermaphrodite

STATUETTE DE BRONZE DE LA COLLECTION DU MIS DE LUPPÉ1

J.-R. Perronet, qui fut l'architecte du pont de la Concorde, présida aussi, de 1774 à 1785, à la construction du magnifique pont à trois arches qui traverse l'Oise à Pont-Sainte-Maxence. D'autres ponts, établis au même endroit, avaient précédé celui-là, qui se trouve situé sur une voie très ancienne, remontant probablement à l'époque romaine. Un peu en aval, il y avait, à l'époque de Perronet, une petite île rapprochée de la rive gauche de l'Oise; cette île fut détruite, vers 1789, lors de travaux accomplis pour la canalisation de la rivière; mais elle figure encore, sous le nom d'Ile de la Plaine, sur une gravure à l'eau-forte de J.-F. Germain, représentant le nouveau pont de Perronet peu après l'achèvement de la construction.

C'est à l'endroit où se trouvait autrefois cette île qu'un marinier, M. H. Legrand, découvrit, au printemps de 1893, l'importante statuette de bronze qui fait le sujet de cet article. M. le Mis de Luppé, possesseur du château de Beaurepaire près de Pont-Sainte-Maxence, acheta la trouvaille de M. Legrand, le 29 mai 1893; il manquait encore le socle et les deux bras. Le bras droit et le socle furent acquis ensuite par lui au mois de juillet 1893, d'un dragueur, qui lui vendit en même temps deux pointes de lance en fer longues de 0,33. Une cuiller à pot en bronze, tirée de l'eau par le même dragueur, est aujourd'hui chez M. Richard, notaire à Pont.

M. le Mis de Luppé transporta d'abord sa statuette à Paris,

1. [Revue archéologique, 1898, I, p. 321-336; 1898, II, p. 302.]

où M. le Mis de Nadaillac, correspondant de l'Institut, eut l'obligeance de me la faire voir. J'obtins que M. Morel, restaurateur des antiques du Musée du Louvre, la fixât sur son socle et rajustât le bras droit, ce qui put se faire sans rien ajouter, la cassure du bras droit, étant très nette et probablement récente M. le Mis de Luppé voulut bien permettre qu'on photographiât la statuette sous trois aspects et la transféra ensuite à Beaurepaire, où j'ai eu l'occasion de l'étudier à nouveau au mois d'août 1896.

La statuette, sans le piédestal, a exactement 0,60 de haut et 0,22 de largeur maxima, dimensions qu'atteignent bien rarement les figures de bronze découvertes sur le sol de la Gaule. Le socle, endommagé sur la gauche par la drague, a 0.065 de haut et 0,23 de large. Sur le devant sont ménagées deux marches, détail que l'on constate quelquefois dans les petits bronzes représentant Vénus au moment de descendre dans l'eau. A la surface du socle, sur les parties saillantes, à droite et à gauche des marches ainsi qu'entre les pieds des personnages, sont gravées en creux trois rosaces à huit pétales, dont quatre plus grands séparés par quatre plus petits. Les grands pétales piriformes sont entaillés et paraissent avoir été remplis avec de l'argent ou de l'émail. Le socle reposait sur quatre pieds de lion, dont il ne subsiste qu'un seul, par derrière à gauche. La tête, haute de 0,11, est d'un travail particulièrement soigné. L'œil gauche est aujourd'hui creux, mais l'œil droit est encore rempli d'un émail blane, au milieu duquel est pratiquée, pour le cristallin, une cavité circulaire qui contenait sans doute un émail bleu. En haut de la tête, près de la naissance de la touffe qui surmonte la chevelure, existe un petit trou qui servait à l'insertion d'un ornement, probablement en or. Les deux oreilles sont percées pour recevoir des pendeloques. Le dos présente une gaine propre à l'insertion d'une tige qui était vraisemblablement la hampe d'un candélabre'. Les seins sont nettement féminins

1. Même disposition dans la statuette d'Héraclès en bronze découverte à Zazenhausen et conservée au Musée de Stuttgart (Répertoire de la statuaire, 11, 795, 8).

et fortement accusés, mais les bouts des mamelles ne sont pas indiqués du tout. La partie moyenne du corps offre des particularités assez singulières. La patine a presque entièrement

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Fig. 1.

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Hermaphrodite (statuette découverte dans l'Oise). disparu, le marinier ayant gratté la surface du bronze avec un couteau; ce qui en reste est de couleur vert foncé.

Dans l'ensemble, la figure est plutôt lourde et disgracieuse. 1. Les dimensions des organes sont extrêmement faibles; il y a une petite cavité à base triangulaire qui s'arrête au-dessus du bord inférieur des opуets, ita ut xtevós imaginem praebeat. Je ne me souviens pas d'avoir constaté ce détail ailleurs. On a cependant signalé récemment, mais sans la figurer, une statuette en marbre « panthée », conservée dans les jardins de l'ambassade russe à Thérapia sur le Bosphore, qui présenterait une monstruosité analogue (Arndt-Amelung, Einzelaufn., texte du n° 739, p. 30).

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