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sent qu'un seul vase du v° siècle, puisque la ville n'avait pas dix ans de date lorsque le v° siècle a pris fin.

En 1894, M. Milchhoefer, qui ne connaissait pas les deux hydries du Musée Britannique, insistait sur le fait que la ville de Rhodes, fondée en 408, n'avait encore fourni aucun vase attique à figures rouges'. Si on lui avait objecté le beau vase du Musée de Constantinople, il aurait sans doute répondu que l'exception confirmait la règle et que ce vase devait appartenir à la fin du v siècle. Nous ne disons pas autre chose et nous croyons que tout juge impartial admettra la vraisemblance de nos conclusions.

Si elles paraissent fondées, le vase que nous publions devient, pour l'histoire de la céramique, un document d'une importance considérable. Il faudra désormais en étudier minutieusement la technique et le style afin de classer, autour de ce monument à date presque fixe, les matériaux encore flottants de la céramique athénienne au v° siècle. Ce travail ne saurait être entrepris sur une aquarelle, quelque fidèle qu'elle soit; nous en laisserons donc le soin à ceux qui pourront étudier directement le vase et nous occuperons maintenant d'en interpréter les peintures.

II

On reconnaît, au premier abord, qu'il s'agit de la naissance d'un enfant, présenté, sur une corne d'abondance, à une déesse. Alentour figurent huit personnages, dont l'un est clairement désigné par ses attributs : c'est Triptolème, assis sur le char allégorique traîné par des serpents, tenant des épis et une patère.

De toutes les déesses, une seule est nue jusqu'à mi-corps: elle est placée dans le champ, à l'extrémité gauche du tableau. On peut l'appeler, sans recourir à d'autres raisons, Aphrodite. Au-dessous se tiennent, dans une attitude charmante, deux

1. Jahrbuch des Instituts, 1894, p. 78.

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déesses sévèrement drapées, dont l'une tient une torche dans chaque main. Pour cette dernière, le doute n'est pas possible, ou du moins on ne peut hésiter qu'entre Déméter et Koré.

Le personnage viril debout à l'extrême droite est dépourvu d'attributs; mais son attitude est celle que l'art du v° siècle prête très souvent à Hermès, témoin la statue que l'on appe

lait autrefois Cincinnatus ou Jason1.

Au-dessous d'Hermès, le jeune homme aux formes efféminées qui s'enfuit en tenant deux torches ne peut être que lacchos. Il est inutile de citer à nouveau les textes bien connus qui présentent lacchos sous les traits d'un «< jeune dadophore »; qu'il nous suffise d'insister sur le sexe du personnage, que l'on pourrait être tenté de considérer comme féminin. Dans toutes les figures de femmes de notre peinture, les seins sont nettement indiqués sous les draperies transparentes; ici, l'on n'en voit aucune trace. Cet argument suffit, je crois, à faire rejeter l'identification de cette figure avec Artémis ou Hécate; sur le célèbre vase de Cumes, aujourd'hui à l'Ermitage, où Stephani et Gerhard ont appelé Artémis une figure analogue, debout, court vêtue et tenant deux torches, il me semble que cette désignation devrait aussi être révisée'.

Si ce personnage est bien lacchos, alors la scène principale ne représente pas la naissance de Iacchos, comme la peinture du vase découvert en 1859 à Kertch3. Il faut chercher autre chose.

Sur le vase de Kertch, lacchos naissant est remis par une déesse à Hermès, en présence d'Athéna, de Déméter, de Zeus et d'autres divinités. Ici, la femme qui porte la corne d'abondance, sur laquelle est assis l'enfant, est plus grande que les autres personnages; c'est ainsi que l'on représente Gê, la

1. Clarac, Musée de sculpture, pl. 309, no 2046 (Louvre); cf. ibid., pl. 814, nos 2047, 2048, 2048 a (répliques du Vatican, de Munich et de la collection Lansdowne).

2. Gerhard, Akad. Abhandlungen, pl. LXXVIII, t. II, p. 450; Stephani, Vasensammlung der Ermitage, no 525.

3. Gerhard, ibid., pl. LXXVI, LXXVII; Compte-rendu de Saint-Pétersbourg pour 1859, pl. I, 2; Stephani, Vasensammlung der Ermitage, no 1792.

Terre, émergeant à moitié du sol, sur les vases où elle tend à Athéna le jeune Érichthonios'. Cet épisode offre des analogies frappantes avec celui qui nous occupe; mais, sur l'hydrie de Rhodes, il ne peut être question de la naissance d'Erichthonios, parce que la déesse à laquelle Gê montre l'enfant n'est pas Athéna et aussi la première raison suffirait seule parce que Triptolème n'a rien à voir dans l'histoire de la naissance mystérieuse d'Érichthonios.

Deux divinités, l'une tenant deux torches et l'autre un sceptre rehaussé de dorures, se font pendant. Pour tout Grec qui regardait ce tableau, comme pour nous qui l'interprétons, ces déesses ne pouvaient être que Déméter et Koré. On donnera naturellement le nom de Koré à celle qui semble la plus jeune et dont la parure convient le mieux à une jeune fille, c'est-à-dire à la femme debout vers la gauche. Donc, celle à laquelle on présente l'enfant ne peut être que Déméter qui paraît, ici comme ailleurs, accompagnée de Iacchos, le génie familier de la Grande Déesse, τῆς Δήμητρος δαίμων. Avant de revenir à la scène principale, disons qu'il n'y a pas moyen de dénommer avec certitude les deux temmes sans attributs dont nous n'avons pas encore parlé. On peut appeler Peitho celle qui est debout à côté de Kora, sous Aphrodite, et voir Hécate, Kalligencia ou une personnification locale dans celle qui est assise près d'Hermès. Cette dernière paraît tenir un objet doré dont il est difficile de préciser la nature'. L'embarras qu'on éprouve à désigner les personnages secondaires, dans les scènes éleusiniennes, est aussi ancien que l'étude de ces scènes; l'exégèse actuelle n'est pas plus avancée, à cet égard, que celle de Millin, mais elle est plus disposée à confesser son ignorance et à en prendre résolument son parti.

Sur les vases où figure la naissance d'Erichthonios, l'enfant est présenté à Athéna parce qu'elle est sa mère, ou du moins parce qu'elle a inspiré à Héphaestos la passion que l'on sait, d'où est résulté Erichtonios. Par analogie, nous devons con

1. Par exemple Elite ceramographique, t. I, pl. LXXXV, LXXXVI.

2. Strabon, X, p. 402 (Didot).

3. Cf. Millin-Reinach, Peintures de vases, II, 31, p. 61.

clure ici que l'enfant présenté à la Grande Déesse est bien le fils de Déméter.

Cet enfant ne peut être autre que Ploutos, fils de Déméter et de Iasion, que des légendes très anciennes associent également à la Terre nourricière, à Gê.

Dans l'Odyssée', Calypso raconte que Déméter s'unit d'amour à lasion dans les sillons d'un champ fertile, vet vi pó. Hésiode est le premier à nous dire que le produit de cette union fut Ploutos*:

Δημήτηρ μὲν Πλοῦτον ἐφείνατο, δια θεάων,
Ἰασίῳ ἥρωϊ μιγεῖς ἑρατῇ φιλότητι,

νείῳ ἔνι τριπόλῳ Κρήτης ἐν πίονι δήμῳ.

La scène de la faiblesse de Déméter est ainsi d'abord localisée en Crète; mais le mythe passa également dans la religion attique, comme en témoigne cette prière dans les Thesmophoriazousai d'Aristophane':

Εὐφημία 'στω, εὐφημία 'στω. Εὔχεσθε ταῖν θεσμοφόροιν

τῇ Δήμητρι καὶ τῇ Κόρῃ καὶ τῷ Πλούτῳ καὶ τῇ Καλλι
γενείᾳ καὶ τῇ Κουροτρόφῳ τῇ Γῇ κ.τ.λ.

Ici donc nous trouvons, comme sur un vase attique, Gê Kourotrophos associée aux Grandes Déesses et à Ploutos.

A Eleusis même, Ploutos n'est pas un inconnu. Déjà, dans l'hymne homérique à Déméter, il est dit que les Grandes Déesses, cevaitaidotai te, envoient Ploutos auprès des hommes qu'elles aiment :

Πλοῦτον, ὃς ἀνθρώποις ἄφενος θνητοῖσι δίδωσιν.

Sur le vase de Kertch, Ploutos enfant, tenant une corne d'abondance, est debout à côté de Déméter. Rien n'est plus rationnel et d'un symbolisme plus transparent que la réunion, dans une même légende, de Déméter, Ploutos et Gé. Démé

1. Odyssée, V, 125.

2. Hésiode, Théog., 969.

3. Aristoph., Thesmoph., 295. Cf. Stephani, Compte-rendu de Saint-Pétersbourg pour 1859, p. 105.

4. Hom., in Cer., 488.

3. Gerhard, Akad. Abhandl., pl. LXXVII.

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