que chante Apollon *; il égale, que dis-je? il surpasse Hésiode; et paraît de force à porter le sceptre d'Homère. Aussi, à la nouvelle d'un second poème de Virgile, au bruit d'une épopée sur la ruine de Troie et la fondation de l'Empire Romain, que d'espérances! Quelle joie! tous en parlent; tous veulent paraìtre en avoir ouï parler; on s'attend à quelque mer-veille; d'autant mieux que les confidens de l'Énéide, Editui (35), les élus de la littérature dynastique, ceux qui ont eu la faveur de lectures privilégiées, s'en vont faisant du nouveau chef-d'œuvre les plus magnifiques récits. L'un d'eux n'hésite pas à publier que, cette fois, poètes grecs et poètes romains ont trouvé leur maître; et qu'il va naître quelque chose de plus grand que l'Iliade: « Cedite Romani scriptores, cedite Graii; Dans les annonces, il y a toujours de l'exagération. La critique, aujourd'hui, peut dire si << Tu canis Ascræi veteris præcepta poetæ, Propert., loc. cit. Propert., lib. II, 34.... l'œuvre latine ne fut pas un peu trop exaltée, aux dépens du poète grec. Car enfin, quelque beau, quelque admirable que soit ce chef-d'œuvre ; on ne peut, comme le dit bien Montaigne, « oublier que c'est principalement d'Homère que Virgile <tient sa suffisance; que c'est son guide et maistre d'eschole; et qu'un seul traict de l'Iliade a fourny << de corps et de matière à cette grande et divine « Enéide *. » Mais quand l'Énéide parut dans tout l'éclat de sa première jeunesse, elle fit tourner la tête aux Romains; qui, naturellement, trouvaient la fille de I'lliade encore plus belle que sa mère. L'enchanteresse avait si bien le désir de plaire! Elle souriait à tous; tenait à tous d'agréables propos; leur parlant d'eux, ou de leurs pères, du grand empire de Priam, tombé, mais, après sa chute, relevé plus grand en Italie; de cela, puis d'autres choses encore, pleines d'un intérêt pour eux tout particulier; de manière, toujours, à flatter leur amour-propre. Suivant l'Énéide, les Romains sont le peuple par excellence, le peuple élu des Dieux, destiné de longue main à devenir maître du monde. C'est ainsi que l'entendent, que l'ont toujours entendu les Par ques*. Dans le temps, lorsque Enée poursuivi par la haine de Junon courait sur mer les plus grands périls, Vénus, sa mère, tout éplorée, mais de ses pleurs encore plus belle, vint trouver Jupiter et lui adresser ce discours **: « Souverain des Dieux et des hommes, qui tiens en main la foudre et les rênes du monde, qu'a donc fait mon Enée, et qu'ont fait les Troyens pour encourir ainsi ta disgrâce? Après tant de désastres, et tant de résignation, se peut-il que, pour les éloigner de l'Italie, le monde entier leur soit fermé? Cependant, disiez-vous, par la suite des âges les Romains doivent un jour naître des Troyens; pour, à la tête des nations, continuer la race de Teucer, assujettir la terre et l'onde. Vous me l'aviez pro Progeniem sed enim Trojano a sanguine duci Hinc populum late regem, belloque superbum, << Tristior, et lacrimis oculos suffusa nitentes, Quid meus Æneas in te committere tantum, mis, mon père! qui vous a fait changer? Cette promesse faisait ma consolation : la chute de Troie, sa ruine, me semblaient moins amères; à l'idée d'un avenir qui compenserait le passé. Mais, hélas! voici que des braves tant de fois éprouvés ont à lutter encore contre la mauvaise fortune. Grand roi! quand mettrez-vous un terme à ces pénibles épreuves? Anténor, échappé à la fureur des Grecs, a pu, lui, pénétrer au sein de l'Illyrie, au cœur du royaume des Liburniens; il a pu du Timave franchir les torrens, sain et sauf! puis, dans ces mêmes contrées, fonder, pour les enfans de Teucer, la ville de Padoue, à tous les siens donner des terres, planter en lieu sûr les enseignes de Troie; bref, Qui mare, qui terras omni ditione tenerent, Nunc eadem fortuna viros tot casibus actos maintenant, établi, parfaitement bien établi, Anténor règne en paix. Et nous, vos enfans, qui, de votre agrément, devons prendre place dans l'olympe; nous, par la seule inimitié de Junon, nous sommes, je rougis de le dire, privés de nos vaisseaux, et rejetés loin du La um! Est-ce là le prix de la piété? Est-ce ainsi que vous nous remettez sur le trône? » Jupiter sourit; laisse voir sur son visage cet air. serein qui calme les tempêtes; aux lèvres de Cypris il cueille un doux baiser; et, tranquillement, répond : « Ne crains rien, ma fille; immuables sont les destinées de tes chers Troyens. Tu verras cette ville et ces murs de Lavinium que je t'ai promis; tu les verras; et tu conduiras aux cieux le magnanime Enée dans mes décrets rien n'est changé. Nos, tua progenies, cœli quibus annuis arcem, << Parce metu, Cytherea. Manent immota tuorum |