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s'est formé ainsi de lui-même; les pluies et les vents l'ont détaché de la montagne; un orage très-violent l'a jeté tout droit sur ce piédestal, qui s'était préparé de lui-même dans cette place. C'est un Apollon parfait comme celui du Belvédère; c'est une Vénus qui égale celle de Médicis; c'est un ́ Hercule qui ressemble à celui de Farnèse. Vous croiriez, il est vrai, que cette figure marche, qu'elle pense, et qu'elle va parler mais elle ne doit rien à l'art, et c'est un coup aveugle du hasard qui l'a si bien finie et placée.

Si on avait devant les yeux un beau tableau qui représentât, par exemple, le passage de la mer Rouge, avec Moïse, à la ́ voix duquel les eaux se fendent et s'élèvent comme deux murs, pour faire passer les Israélites à pied sec au travers des abîmes, on verrait d'un côté cette multitude innombrable de peuples pleins de confiance et de joie, levant les mains au ciel; de l'autre côté, on apercevrait Pharaon avec les Égyptiens, pleins de trouble et d'effroi à la vue des vagues qui se rassembleraient pour les engloutir. En vérité, où serait l'homme qui osât dire qu'une servante barbouillant au hasard cette toile avec un balai, les couleurs se seraient rangées d'elles-mêmes pour former ce vif coloris, ces attitudes si variées, ces airs de tête si passionnés, cette belle ordonnance de figures en si grand nombre sans confusion, ces accommodements de draperies, ces distributions de lumière, ces dégradations de couleurs, cette exacte perspective; enfin tout ce que le plus beau génie d'un peintre peut rassembler?

Encore s'il n'était question que d'un peu d'écume à la bouche d'un cheval, j'avoue, suivant l'histoire qu'on en raconte, et que je suppose sans l'examiner, qu'un coup de pinceau jeté de dépit par le peintre pourrait, une seule fois dans la suite des siècles, la bien représenter. Mais au moins le peintre avait-il déjà choisi, avec dessein, les couleurs les plus propres à représenter cette écume, pour les préparer au bout du pinceau. Ainsi ce n'est qu'un peu de hasard qui a achevé ce que l'art avait déjà commencé. De plus, cet ouvrage de l'art et du hasard tout ensemble, n'était qu'un peu d'écume,

objet confus, et propre à faire honneur à un coup de hasard ; objet informe, qui ne demande qu'un peu de couleur blanchâtre échappée au pinceau, sans aucune figure précise, ni aucune correction de dessin. Quelle comparaison de cette écume avec tout un dessin d'histoire suivie, où l'imagination la plus féconde et le génie le plus hardi, étant soutenus par la science des règles, suffisent à peine pour exécuter ce qui compose un tableau excellent?

Je ne puis me résoudre à quitter ces exemples, sans prier le lecteur de remarquer que les hommes les plus sensés ont `naturellement une peine extrême à croire que les bêtes n'aient aucune connaissance, et qu'elles soient de pures machines. D'où vient cette répugnance invincible en tant de bons esprits? C'est qu'ils supposent avec raison que des mouvements si justes, et d'une si parfaite mécanique, ne peuvent se faire sans quelque industrie, et que la matière seule, sans art, ne peut faire ce qui marque tant de connaissance. On voit par là que la raison la plus droite conclut naturellement que la matière seule ne peut, ni par les lois simples du mouvement, ni par les coups capricieux du hasard, faire des animaux qui ne soient que de pures machines. Les philosophes mêmes qui n'attribuent aucune connaissance aux animaux ne peuvent éviter de reconnaître que ce qu'ils supposent aveugle et sans art, dans ces machines, est plein de sagesse et d'art dans le premier moteur qui en a fait les ressorts et qui en a réglé les mouvements. Ainsi les philosophes les plus opposés reconnaissent également que la matière et le hasard ne peuvent produire, sans art, tout ce qu'on voit dans les animaux.

CHAPITRE II.

Preuves de l'existence de Dieu, tirées de la considération des principales merveilles de la nature.

Après ces comparaisons, sur lesquelles je prie le lecteur de se consulter simplement soi-même, sans raisonner, je crois qu'il est temps d'entrer dans le détail de la nature. Je ne

prétends pas la pénétrer tout entière: qui le pourrait? Je ne prétends même entrer dans aucune discussion de physique : ces discussions supposeraient certaines connaissances approfondies que beaucoup de gens d'esprit n'ont jamais acquises; et je ne veux leur proposer que le simple coup d'œil de la face de la nature; je ne veux leur parler que de ce que tout le monde sait, et qui ne demande qu'un peu d'attention tran quille et sérieuse.

Arrêtons-nous d'abord au grand objet qui attire nos premiers regards, je veux dire la structure générale de l'univers. Jetons les yeux sur cette terre qui nous porte; regardons cette voûte immense des cieux qui nous couvre, ces abîmes d'air et d'eau qui nous environnent, et ces astres qui nous éclairent. Un homme qui vit sans réflexion ne pense qu'aux espaces qui sont auprès de lui, ou qui ont quelque rapport à ses besoins : il ne regarde la terre entière que comme le plaucher de sa chambre, et le soleil qui l'éclaire pendant le jour que comme la bougie qui l'éclaire pendant la nuit : ses pensées se renferment dans le lieu étroit qu'il habite. Au contraire, l'homme accoutumé à faire des réflexions étend ses regards plus loin, et considère avee curiosité les abîmes presque infinis dont il est environné de toutes parts. Un vaste royaume ne lui paraît alors qu'un petit coin de la terre; la terre ellemême n'est à ses yeux qu'un point dans la masse de l'univers ; et il admire de s'y voir placé, sans savoir comment il y a été mis.

Qui est-ce qui suspendu ce globe de la terre, qui est immobile? qui est-ce qui en a posé les fondements? Rien n'est, ce semble, plus vil qu'elle; les plus malheureux la foulent aux pieds. Mais c'est pourtant pour la posséder qu'on donne tous les plus grands trésors. Si elle était plus dure, l'homme ne pourrait en ouvrir le sein pour la cultiver; si elle était moins dure, elle ne pourrait le porter; il enfoncerait partout, comme il enfonce dans le sable ou dans un bourbier. C'est du sein inépuisable de la terre que sort tout ce qu'il y a de plus précieux. Cette masse informe, vile et grossière, prend toutes

les formes les plus diverses, et elle seule devient tour à tour tous les biens que nous lui demandons : cette boue si sale se transforme en mille beaux objets qui nous charment les yeux; en une seule année, elle devient branches, boutons, feuilles, fleurs, fruits et semences, pour renouveler ses libéralités en faveur des hommes. Rien ne l'épuise : plus on déchire ses entrailles, plus elle est libérale. Après tant de siècles, pendant lesquels tout est sorti d'elle, elle n'est point encore usée : elle ne ressent aucune vieillesse; ses entrailles sont encore pleines des mêmes trésors. Mille générations ont passé dans son sein: tout vieillit, excepté elle seule; elle se rajeunit chaque année au printemps. Elle ne manque jamais aux hommes mais les hommes insensés se manquent à euxmêmes en négligeant de la cultiver ; c'est par leur paresse et par leurs désordres qu'ils laissent croître les ronces et les épines en la place des vendanges et des moissons: ils se disputent un bien qu'ils laissent perdre. Les conquérants laissent en friche la terre pour la possession de laquelle ils ont fait périr tant de milliers d'hommes, et ont passé leur vie dans une si terrible agitation. Les hommes ont devant eux des terres immenses qui sont vides et incultes; et ils renversent le genre humain pour un coin de cette terre si négligée.

La terre, si elle était bien cultivée, nourrirait cent fois plus d'hommes qu'elle n'en nourrit. L'inégalité même des terroirs, qui paraît d'abord un défaut, se tourne en ornement et en utilité. Les montagnes se sont élevées, et les vallons sont descendus en la place que le Seigneur leur a marquée. Ces diverses terres, suivant les divers aspects du soleil, ont leurs avantages. Dans ces profondes vallées on voit croître l'herbe fraîche pour nourrir les troupeaux auprès d'elles s'ouvrent de vastes campagnes, revêtues de riches moissons. Ici des coteaux s'élèvent comme en amphithéâtre, et sont couronnés de vignobles et d'arbres fruitiers : là de hautes montagnes vont porter leur front glacé jusque dans les nues, et les torrents qui en tombent sont les sources des rivières. Les rochers, qui montrent leur cime escarpée, soutiennent

la terre des montagnes, comme les os du corps humain en soutiennent les chairs. Cette variété fait le charme des paysa ges, et en même temps elle satisfait aux divers besoins des peuples.

Il n'y a point de terroir si ingrat qui n'ait quelque propriété. Non-seulement les terres noires et fertiles, mais encore les argileuses et les graveleuses, récompensent l'homme de ses peines les marais désséchés deviennent fertiles: les sables ne couvrent d'ordinaire que la surface de la terre; et quand le laboureur a la patience d'enfoncer, il trouve un terroir neuf, qui se fertilise à mesure qu'on le remue et qu'on l'expose aux rayons du soleil. Il n'y a presque point de terre entièrement ingrate, si l'homme ne se lasse point de la remuer pour l'exposer au soleil, et s'il ne lui demande que ce qu'elle est propre à porter. Au milieu des pierres et des rochers on trouve d'excellents pâturages; il y a, dans leurs cavités, des veines que les rayons du soleil pénètrent, et qui fournissent aux plantes, pour nourrir les troupeaux, des sucs très-savoureux. Les côtes mêmes qui paraissent les plus stériles et les plus sauvages offrent souvent des fruits délicieux, ou des remèdes très-salutaires, qui manquent dans les plus fertiles pays.

D'ailleurs, c'est par un effet de la Providence divine que nulle terre ne porte tout ce qui sert à la vie humaine; car le besoin invite les hommes au commerce, pour se donner mutuellement ce qui leur manque, et ce besoin est le lien naturel de la société entre les nations: autrement tous les peuples du monde seraient réduits à une seule sorte d'habits et d'aliments; rien ne les inviterait à se connaître et à s'entrevoir.

Tout ce que la terre produit, se corrompant, rentre dans son sein, et devient le germe d'une nouvelle fécondité. Ainsi elle reprend tout ce qu'elle a donné, pour le rendre encore. Ainsi la corruption des plantes, et les excréments des animaux qu'elle nourrit, la nourrissent elle-même et perpétuent sa fertilité. Ainsi, plus elle donne, plus elle reprend ; et elle XENOPII., Econom.

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