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ferez excellemment, si c'est votre cœur qui la fait. Eh! comment est-ce qu'on parle aux gens qu'on aime? Un demi-quart d'heure est-il si long avec un bon ami? Le voilà l'ami fidèle qui ne se lasse point de vos rebuts, pendant que tous les autres amis vous négligent, à cause que vous ne pouvez plus être avec eux en commerce de plaisir. Dites-lui tout; écoutezle sur tout; rentrez souvent au dedans de vous-même pour l'y trouver. Le royaume de Dieu est au dedans de vous, dit Jésus-Christ. Il ne faut pas l'aller chercher bien loin, puisqu'il est aussi près de nous que nous-mêmes. Il s'accommodera de tout: il ne veut que votre cœur; il n'a que faire de vos compliments, ni de vos protestations étudiées avec effort. Si votre imagination s'égare, revenez doucement à la présence de Dieu : ne vous gênez point; ne faites point de la prière une contention d'esprit; ne regardez point Dieu comme un maître qu'on n'aborde qu'en se composant avec cérémonie et embarras. La liberté et la familiarité de l'amour ne diminueront jamais le vrai respect et l'obéissance. Votre prière ne sera parfaite que quand vous serez plus large avec le vrai ami du cœur qu'avec tous les amis imparfaits du monde. Vous me demanderez quelle pénitence vous devez faire de tous vos péchés je vous réponds comme Jésus-Christ à la femme adultère: Je ne vous condamnerai point; gardez-vous de pécher encore. Votre grande pénitence sera de supporter patiemment vos maux, d'être attaché sur la croix avec JésusChrist, de vous détacher de la vie dans un état triste et pénible où elle devient si fragile, et d'en faire le sacrifice, avec un humble courage, à Dieu, s'il le faut. Oh! la bonne pénitence que celle de se tenir sous la main de Dieu entre la vie et la mort! N'est-ce pas réparer toutes les fautes de la vie, que d'être patient dans les douleurs, et prêt à perdre, quand il plaira à Dieu, cette vie dont on a fait un si mauvais usage? Voilà, monsieur, les principales choses qui me viennent au cœur pour vous recevez-les, je vous supplie, comme les

1 Luc., xvii, 21. 2 Joan., VIII, 41.

marques de mon zèle. Dieu sait avec quel attachement et quel respect je vous suis dévoué. Plus j'ai l'honneur de vous voir, plus je suis pénétré des sentiments qui vous sont dus. Je prie Dieu tous les jours, afin qu'il vous donne l'esprit de prière, qui est l'esprit de vie. Que ne ferais-je point pour attirer sur vous les miséricordes de Dieu, pour vous procurer les solides consolations, et pour vous tourner entièrement vers votre salut!

'La suite de cette lettre manque dans toutes les éditions précédentes. Nous la publions d'après le manuscrit original. (Édit. de Vers.)

FIN DES LETTRES SUR LA RELIGION.

DIALOGUES

SUR L'ÉLOQUENCE.

PREMIER DIALOGUE .

Contre l'affectation du bel esprit dans les sermons. Le but de l'éloquence est d'instruire les hommes, et de les rendre meilleurs : l'orateur n'atteindra pas ce but, s'il n'est désintéressé.

4. Eh bien! monsieur, vous venez donc d'entendre le sermon où vous vouliez me mener tantôt? Pour moi, je me suis contenté du prédicateur de notre paroisse.

B. Je suis charmé du mien; vous avez bien perdu, monsieur, de n'y être pas. J'ai arrêté une place, pour ne manquer aucun sermon du carême. C'est un homme admirable : si vous l'aviez une fois entendu, il vous dégoûterait de tous les autres.

A. Je me garderai donc bien de l'aller entendre, car je ne veux point qu'un prédicateur me dégoûte des autres; au contraire, je cherche un homme qui me donne un tel goût et une telle estime pour la parole de Dieu, que j'en sois plus disposé à l'écouter partout ailleurs. Mais puisque j'ai tant perdu, et que vous êtes plein de ce beau sermon, vous pouvez, monsieur, me dédommager: de grâce, dites-nous quelque chose de ce que vous avez retenu.

B. Je défigurerais ce sermon par mon récit : ce sont cent beautés qui échappent; il faudrait être le prédicateur même pour vous dire....

A. Mais encore? Son dessein, ses preuves, sa morale, les principales vérités qui ont fait le corps de son discours? Ne vous reste-t-il rien dans l'esprit est-ce que vous n'étiez pas attentif?

Les interlocuteurs sont désignés par les lettres A, B, C.

B. Pardonnez-moi, jamais je ne l'ai été davantage.
C. Quoi done! vous vouliez vous faire prier?

B. Non; mais c'est que ce sont des pensées si délicates, et qui dépendent tellement du tour et de la finesse de l'expression, qu'après avoir charmé dans le moment, elles ne se retrouvent pas aisément dans la suite. Quand même vous les retrouveriez, dites-les dans d'autres termes; ce n'est plus la même chose; elles perdent leur grâce et leur force.

A. Ce sont donc, monsieur, des beautés bien fragiles; en les voulant toucher, on les fait disparaître. J'aimerais bien mieux un discours qui eût plus de corps et moins d'esprit ; il ferait une forte impression; on retiendrait mieux les choses. Pourquoi parle-t-on, sinon pour persuader, pour instruire, et pour faire en sorte que l'auditeur retienne?

C. Vous voilà, monsieur, engagé à parler.

B. Eh bien! disons donc ce que j'ai retenu. Voici le texte : Cinerem tanquam panem manducabam, « Je mangeais la cendre comme mon pain. » Peut-on trouver un texte plus ingénieux pour le jour des Cendres? Il a montré que, selon ce passage, la cendre doit être aujourd'hui la nourriture de nos âmes; puis ila enchâssé dans son avant-propos, le plus agréablement du monde, l'histoire d'Artémise sur les cendres de son époux. Sa chute à son Ave, Maria, a été pleine d'art. Sa division était heureuse; vous en jugerez. Cette cendre, dit-il, quoiqu'elle soit un signe de pénitence, est un principe de félicité; quoiqu'elle semble nous humilier, elle est une source de gloire; quoiqu'elle représente la mort, elle est un remède qui donne l'immortalité. Il a repris cette division en plusieurs manières, et chaque fois il donnait un nouveau lustre à ses antithèses. Le reste du discours n'était ni moins poli, ni moins brillant la diction était pure, les pensées nouvelles, les périodes nombreuses; chacune finissait par quelque trait surpre nant. Il nous a fait des peintures morales, où chacun se trou vait : il a fait une anatomie des passions du cœur humain, qui égale les maximes de M. de la Rochefoucauld. Enfin, selon moi, c'était un ouvrage achevé. Mais vous, monsieur, qu'en pensez-vous?

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