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de peur de le mouiller, et afin qu'il leur serve comme de voile. Ils ont l'art de tourner ce plumage du côté du vent, et d'aller, comme les vaisseaux, à la bouline, quand le vent ne leur est pas favorable. Les oiseaux aquatiques, tels que les canards, ont aux pattes de grandes peaux qui s'étendent, et qui font des raquettes à leurs pieds, pour les empêcher d'enfoncer dans les bords marécageux des rivières.

Parmi ces animaux, les bêtes féroces, telles que les lions, sont celles qui ont les muscles les plus gros aux épaules, aux cuisses et aux jambes : aussi ces animaux sont-ils souples, agiles, nerveux, et prompts à s'élancer. Les os de leurs måchoires sont prodigieux, à proportion du reste de leur corps. Ils ont des dents et des griffes, qui leur servent d'armes terribles pour déchirer et pour dévorer les autres animaux.

Par la même raison, les oiseaux de proie, comme les aigles, ont un bec et des ongles qui percent tout. Les muscles de leurs ailes sont d'une extrême grandeur, et d'une chair trèsdure, afin que leurs ailes aient un mouvement plus fort et plus rapide. Aussi ces animaux, quoique assez pesants, s'élèvent-ils sans peine jusque dans les nues, d'où ils s'élancent comme la foudre sur toute proie qui peut les nourrir.

D'autres animaux ont des cornes : leur plus grande force est dans les reins et dans le cou. D'autres ne peuvent que ruer. Chaque espèce a ses armes offensives ou défensives. Leurs chasses sont des espèces de guerres qu'ils font les uns contre les autres, pour les besoins de la vie.

Ils ont aussi leurs règles et leur police. L'un porte, comme la tortue, sa maison dans laquelle il est né; l'autre bâtit la sienne, comme l'oiseau, sur les plus hautes branches des arbres, pour préserver ses petits de l'insulte des animaux qui ne sont point ailés. Il pose même son nid dans les feuillages les plus épais, pour le cacher à ses ennemis. Un autre, comme le castor, va bâtir jusqu'au fond des eaux d'un étang l'asile qu'il se prépare, et sait élever des digues pour le rendre inaccessible par l'inondation. Un autre, comme la taupe, naît avec un museau si pointu et si aiguisé, qu'il perce en un

moment le terrain le plus dur, pour se faire une retraite souterraine. Le renard sait creuser un terrier avec deux issues, pour n'être point surpris, et pour éluder les piéges du chas

seur.

Les animaux reptiles sont d'une autre fabrique. Ils se plient, ils se replient; par les évolutions de leurs muscles, ils gravissent, ils embrassent, ils serrent, ils accrochent les corps qu'ils rencontrent; ils se glissent subtilement partout. Leurs organes sont presque indépendants les uns des autres : aussi vivent-ils encore après qu'on les a coupés.

Les oiseaux, dit Cicéron', qui ont les jambes longues, ont aussi le cou long à proportion, pour pouvoir abaisser leur bec jusqu'à terre, et y prendre leurs aliments. Le chameau est de même. L'éléphant, dont le cou serait trop pesant par sa grosseur, s'il était aussi long que celui du chameau, a été pourvu d'une trompe, qui est un tissu de nerfs et de muscles, qu'il allonge, qu'il retire, qu'il replie en tous sens, pour saisir les corps, pour les enlever et pour les repousser aussi les Latins ont-ils appelé cette trompe une main.

Certains animaux paraissent faits pour l'homme. Le chien est né pour le caresser, pour se dresser comme il lui plaît, pour lui donner une image agréable de société, d'amitié, de fidélité et de tendresse, pour garder tout ce qu'on lui confie, pour prendre à la course beaucoup d'autres bêtes avec ardeur, et pour les laisser ensuite à l'homme, sans en rien retenir. Le cheval et les autres animaux semblables se trouvent sous la main de l'homme, pour le soulager dans son travail, et pour se charger de mille fardeaux. Ils sont nés pour porter, pour marcher, pour soulager l'homme dans sa faiblesse, et pour obéir à tous ses mouvements. Les bœufs ont la force et la patience en partage, pour traîner la charrue et pour labourer. Les vaches donnent des ruisseaux de lait. Les moutons ont, dans leur toison, un superflu qui n'est pas pour eux, et qui se renouvelle pour inviter l'homme à les tondre toutes les années. Les chèvres même fournissent un crin long, De Nat. Deor., lib. II, no 47.

qui leur est inutile, et dont l'homme fait des étoffes pour se couvrir. Les peaux des animaux fournissent à l'homme les plus belles fourrures dans les pays les plus éloignés du soleil. Ainsi l'auteur de la nature a vêtu ces bêtes selon leur besoin : et leurs dépouilles servent encore ensuite d'habits aux hommes, pour les réchauffer dans ces climats glacés.

Les animaux qui n'ont presque point de poil ont une peau très-épaisse et très-dure comme des écailles: d'autres ont des écailles mêmes, qui se couvrent les unes les autres comme les tuiles d'un toit, et qui s'entr'ouvrent ou se resserrent,suivant qu'il convient à l'animal de se dilater ou de se resserrer. Ces peaux et ces écailles servent aux besoins des hommes.

Ainsi, dans la nature, non-seulement les plantes, mais encore les animaux, sont faits pour notre usage. Les bêtes farouches même s'apprivoisent, ou du moins craignent l'homme. Si tous les pays étaient peuplés et policés comme ils devraient l'être, il n'y en aurait point où les bêtes attaquassent les hommes; on ne trouverait plus d'animaux féroces que dans les forêts reculées; et on les réserverait pour exercer la hardiesse, la force et l'adresse du genre humain, par un jeu qui représenterait la guerre, sans qu'on eût jamais besoin de guerre véritable entre les nations.

Mais observez que les animaux nuisibles à l'homme sont les moins féconds, et que les plus utiles sont ceux qui se multiplient davantage. On tue incomparablement plus de boeufs et de moutons qu'on ne tue d'ours et de loups : il y a néanmoins incomparablement moins d'ours et de loups que de bœufs et de moutons sur la terre. Remarquez encore, avec Cicéron, que les femelles de chaque espèce ont des mamelles dont le nombre est proportionné à celui des petits qu'elles portent ordinairement. Plus elles portent de petits, plus la nature leur a fourni de sources de lait pour les allaiter.

Pendant que les moutons font croître leur laine pour nous, les vers à soie nous filent, à l'envi, de riches étoffes, et se consument pour nous les donner. Ils se font de leurs coques une espèce de tombeau, où ils se renferment dans leur propre

ouvrage; et ils renaissent sous une figure étrangère, pour se perpétuer.

D'un autre côté, les abeilles vont recueillir avec soin le suc des fleurs odoriférantes pour en composer leur miel', et elles le rangent avec un ordre qui nous peut servir de modèle. Beaucoup d'insectes se transforment, tantôt en mouches, et tantôt en vers. Si on les trouve inutiles, on doit considérer que ce qui fait partie du grand spectacle de la nature, et qui contribue à sa variété, n'est point sans usage pour les hommes tranquilles et attentifs.

Qu'y a-t-il de plus beau et de plus magnifique que ce grand nombre de républiques d'animaux si bien policées, et dont chaque espèce est d'une construction différente des autres? Tout montre combien la façon de l'ouvrier surpasse la vile matière qu'il a mise en œuvre tout m'étonne, jusqu'aux moindres moucherons. Si on les trouve incommodes, on doit remarquer que l'homme a besoin de quelques peines mêlées avec ses commodités. Il s'amollirait et il s'oublierait luimême, s'il n'avait rien qui modérât ses plaisirs, et qui exerçât sa patience.

Considérons maintenant les merveilles qui éclatent également dans les plus grands corps et dans les plus petits. D'un côté je vois le soleil, tant de milliers de fois plus grand que la terre ; je le vois qui circule dans des espaces en comparaison desquels il n'est lui-même qu'un atome brillant. Je vois d'autres astres, peut-être encore plus grands que lui, qui roulent dans d'autres espaces encore plus éloignés de nous. Au delà de tous ces espaces, qui échappent déjà à toute mesure, j'aperçois encore confusément d'autres astres qu'on ne peut plus compter ni distinguer. La terre où je suis n'est qu'un point, par proportion à ce tout où l'on ne trouve jamais aucune borne. Ce tout est si bien arrangé, qu'on n'y pourrait déplacer un seul atome sans déconcerter toute cette immense machine; et elle se meut avec un si bel ordre, que ce mouvement même en perpétue la variété et la perfection. Il faut qu'une main à qui rien ne coûte ne se lasse point de con

duire cet ouvrage depuis tant de siècles, et que ses doigts se jouent de l'univers, pour parler comme l'Écriture1.

D'un autre côté, l'ouvrage n'est pas moins admirable en petit qu'en grand. Je ne trouve pas moins en petit une espèce d'infini qui m'étonne et qui me surmonte. Trouver dans un ciron, comme dans un éléphant ou dans une baleine, des membres parfaitement organisés; y trouver une tête, un corps, des jambes, des pieds formés comme ceux des plus grands animaux ! Il y a, dans chaque partie de ces atomes vivants, des muscles, des nerfs, des veines, des artères, du sang; dans ce sang, des esprits, des parties rameuses et des humeurs ; dans ces humeurs, des gouttes composées elles-mêmes de diverses parties, sans qu'on puisse jamais s'arrêter dans cette composition infinie d'un tout si fini.

Le microscope nous découvre, dans chaque objet connu, mille objets qui ont échappé à notre connaissance. Combien y a-t-il, en chaque objet découvert par le microscope, d'autres objets que le microscope lui-même ne peut découvrir! Que ne verrions-nous pas si nous pouvions subtiliser toujours de plus en plus les instruments qui viennent au secours de notre vue, trop faible et trop grossière? Mais suppléons par l'imagination à ce qui nous manque du côté des yeux ; et que notre imagination elle-même soit une espèce de microscope qui nous représente en chaque atome mille mondes nouveaux et invisibles. Elle ne pourra pas nous figurer sans cesse de nouvelles découvertes dans les petits corps : elle se lassera; il faudra qu'elle s'arrête, qu'elle succombe, et qu'elle laisse enfin dans le plus petit organe d'un ciron mille merveilles inconnues.

Renfermons-nous dans la machine de l'animal : elle a trois choses qui ne peuvent être trop admirées : 1o elle a en ellemême de quoi se défendre contre ceux qui l'attaquent pour la détruire; 2o elle a de quoi se renouveler par la nourriture ; 3o elle a de quoi perpétuer son espèce par la génération. Examinons un peu ces trois choses.

1o Les animaux ont ce qu'on nomme un instinct, pour Ludens in orbe terrarum. Prov., VIII, 31.

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