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Vers ce rivage ami les dieux l'ont amenée :
Qu'ainsi puisse nous joindre un heureux hyménée ! »
Il dit : la mère pleure et le père consent,
Et la belle Égérie accepte en rougissant.
Et cependant il veut que cette île si chère
Reprenne sa parure et sa forme première :
Un pont joint à ses bords ce fortuné séjour,
Sacré par le malheur, plus sacré par l'amour ;
Mais son art l'affermit, et l'onde mugissante
Vient briser sur ses bords sa colère impuissante.
Ainsi cette île errante eut un frein dans les flots,
Le bonheur un asile, et l'amour sa Délos.

CHANT III.

Que j'aime le mortel, noble dans ses penchants,
Qui cultive à la fois son esprit et ses champs!
Lui seul jouit de tout. Dans sa triste ignorance
Le vulgaire voit tout avec indifférence :

Des desseins du grand Être atteignant la hauteur,
Il ne sait point monter de l'ouvrage à l'auteur.
Non, ce n'est pas pour lui qu'en ses tableaux si vastes
Le grand peintre forma d'harmonieux contrastes :
Il ne sait pas comment, dans ses secrets canaux,
De la racine au tronc, du tronc jusqu'aux rameaux,
Des rameaux au feuillage, accourt la séve errante;
Comment naît des cristaux la masse transparente,
L'union, les reflets et le jeu des couleurs :
Étranger à ses bois, étranger à ses fleurs,

Il ne sait point leurs noms, leurs vertus, leur famille :
D'une grossière main il prend dans la charmille

Ses fils au rossignol, au printemps ses concerts.

Le sage seul, instruit des lois de l'univers,

Sait goûter dans les champs une volupté pure :
C'est pour l'ami des arts qu'existe la nature.

Vous donc, quand des travaux ou des soins importants
Du bonheur domestique ont rempli les instants,
Cherchez autour de vous de riches connaissances
Qui, charmant vos loisirs, doublent vos jouissances.
Trois règnes à vos yeux étalent leurs secrets.
Un maître doit toujours connaître ses sujets :
Observez les trésors que la nature assemble.
Venez; marchons, voyons, et jouissons ensemble.
Dans ces aspects divers que de variété !
Là tout est élégance, harmonie et beauté.
C'est la molle épaisseur de la fraîche verdure,
C'est de mille ruisseaux le caressant murmure,
Des coteaux arrondis, des bois majestueux,
Et des antres riants l'abri voluptueux;
Ici d'affreux débris, des crevasses affreuses,
Des ravages du temps empreintes désastreuses,
Un sable infructueux aux vents abandonné;
Des rebelles torrents le cours désordonné ;
La ronce, la bruyère, et la mousse sauvage,
Et d'un sol dévasté l'épouvantable image.

Partout des biens, des maux, des fléaux, des bienfaits! Pour en interpréter les causes, les effets,

Vous n'aurez point recours à ce double génie

Dont l'un veut le désordre, et l'autre l'harmonie :
Pour vous développer ces mystères profonds,
Venez, le vrai génie est celui des Buffons.

Autrefois, disent-ils, un terrible déluge,
Laissant l'onde sans frein et l'homme sans refuge,
Répandit, confondit en une vaste mer

Et les eaux de la terre et les torrents de l'air;
Où s'élevaient des monts étendit des campagnes,
Où furent des vallons éleva des montagnes,

Joignit deux continents dans les mêmes tombeaux,
Du globe déchiré dispersa les lambeaux,
Lança l'eau sur la terre et la terre dans l'onde,
Et roula le chaos sur les débris du monde.
De là ces grands amas dans la terre enfermés,
Ces bois, noirs aliments des volcans enflammés,
Et ces énormes lits, ces couches intestines,
Qui d'un monde sur l'autre entassent les ruines.
Ailleurs d'autres dépôts se présentent à vous,
Formés plus lentement par des moyens plus doux.
Les fleuves, nous dit-on, dans leurs errantes courses,
En apportant aux mers les tributs de leurs sources
Entraînèrent des corps l'un à l'autre étrangers,
Quelques-uns plus pesants, les autres plus légers :
Les uns au fond de l'eau tout à coup se plongèrent;
Quelque temps suspendus, les autres surnagèrent;
De là, précipités dans l'humide séjour,
Sur ces premiers dépôts s'assirent à leur tour :
Des couches de limon sur eux se répandirent,
Sur ces lits étendus d'autres lits s'étendirent;
Des arbustes sur eux gravèrent leurs rameaux,
Non brisés par des chocs, non dissous par les eaux,
Mais dans leur forme pure. En vain leurs caractères
Semblent offrir aux yeux des plantes étrangères,
Que des fleuves, des lacs, et des mers en courroux,
Le roulement affreux apporta parmi nous :
Leurs traits inaltérés, les couches plus profondes
Des lits que de la mer ont arrêtés les ondes ;
Souvent de minces lits, léger travail des eaux,
L'un sur l'autre sculptés par les mêmes rameaux,
Tout d'une cause lente annonce aux yeux l'ouvrage.
Ainsi, sans recourir à tout ce grand ravage,
Le sage ne voit plus que des effets constants,
Le cours de la nature et la marche du temps.

Mais j'aperçois d'ici les débris d'un village :
D'un désastre fameux tout annonce l'image.
Quels malheurs l'ont produit? Avançons, consultons
Les lieux et les vieillards de ces tristes cantons.
Dans les concavités de ces roches profondes,
Où des fleuves futurs l'air déposait les ondes,
L'eau, parmi les rochers se filtrant lentement,
De ces grands réservoirs mina le fondement :
Les voûtes, tout à coup à grand bruit écroulées,
Remplirent ces bassins; et les eaux refoulées,
Se soulevant en masse et brisant leurs remparts,
Avec les bois, les rocs, et leurs débris épars,
Des hameaux, des cités traînèrent les ruines;
Leur cours se lit encore au creux de ces ravines,
Et l'ermite du lieu, sur un décombre assis,

'En fait aux voyageurs d'effroyables récits.

Ailleurs ces noirs sommets dans le fond des campagnes Versèrent tout à coup leurs liquides montagnes, Et le débordement de leurs bruyantes eaux Forma de nouveaux lacs et des courants nouveaux. Voyez-vous ce mont chauve et dépouillé de terre, A qui fait l'aquilon une éternelle guerre? L'Olympe pluvieux, de son front escarpé Détachant le limon par ses eaux détrempé, L'emporta dans les champs, et de sa cime nue Laissa les noirs sommets se perdre dans la nue : L'œil s'afflige à l'aspect de ces rochers hideux.

:

Poursuivons descendons de ces sauvages lieux,
Des terrains variés marquons la différence.
Voyons comment le sol, dont la simple substance
Sur les monts primitifs où les dieux l'ont jeté,
Conserve, vierge encor, toute sa pureté,
S'altère en descendant des montagnes aux plaines.
De nuance en nuance et de veines en veines

L'observateur le suit d'un regard curieux 1.

Tantôt de l'ouragan c'est le cours furieux; Terrible, il prend son vol, et dans des flots de poudre Part, conduisant la nuit, la tempête et la foudre; Balaye, en se jouant, et forêt et cité;

Refoule dans son lit le fleuve épouvanté,

Jusqu'au sommet des monts lance la mer profonde, Et tourmente en courant les airs, la terre et l'onde; De là sous d'autres champs ces champs ensevelis, Ces monts changeant de place, et ces fleuves de lits; Et la terre sans fruits, sans fleurs et sans verdure, Pleure en habit de deuil sa riante parure.

Non moins impétueux et non moins dévorants, Les feux ont leur tempête et l'Etna ses torrents. La terre dans son sein, épouvantable gouffre, Nourrit de noirs amas de bitume et de soufre, Enflamme l'air et l'onde, et de ses propres flancs Sur ses fruits et ses fleurs vomit des flots bouillants: Emblème trop frappant des ardeurs turbulentes Dans le volcan de l'âme incessamment brûlantes, Et qui, sortant soudain de l'abîme des cœurs, Dévorent de la vie et les fruits et les fleurs! Ces rocs tout calcinés, cette terre noirâtre, Tout d'un grand incendie annonce le théâtre. Là grondait un volcan : ses feux sont assoupis'; Flore y donne des fleurs et Cérès des épis. Sur l'un de ses côtés son désastre s'efface; Mais la pente opposée en garde encor la trace: C'est ici que la lave en longs torrents coula; Voici le lit profond où le fleuve roula, Et plus loin à longs flots sa masse répandue Se refroidit soudain et resta suspendue. Dans ce désastre affreux quels fleuves ont tari! Quels sommets ont croulé, quels peuples ont péri!

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