Page images
PDF
EPUB

Et, livrant Rosamonde à sa rage inhumaine.
Ce qui servit l'amour fait triompher la haine.

Ah! malheureux objet et de haine et d'amour,
Tu n'es plus ; mais ton ombre habite ce séjour :
Chacun vient t'y chercher de tous les coins du monde ;
Chacun grossit de pleurs le puits de Rosamonde;
Ton nom remplit encor ce bosquet enchanté;
Et, pour comble de gloire, Addison t'a chanté.
Mais ces tendres amours et ce récit antique,
Qu'ont-ils de comparable au vœu patriotique
Qui, gravé sur l'airain par un don glorieux,,
Acquitta de Malbrough les faits victorieux ?

Adieu, Bleinheim: Chambord à son tour me rappelle, Chambord qu'obtint, pour prix de sa palme immortelle, Ce Saxon, ce héros adopté par mon roi, Par qui Bleinheim peut-être envia Fontenoi. Là ne s'élèvent point des tours si magnifiques, D'aussi riches palais, d'aussi vastes portiques : Mais sa gloire l'y suit; mais à de feints combats Lui-même, en se jouant, conduit ses vieux soldats. Tels, au bord du Léthé, les héros du vieil âge De la guerre, dit-on, aiment toujours l'image; Et dans ces lieux de paix trouvant les champs de Mars, Dardent encor la lance et font voler des chars.

CHANT II.

Oh! si j'avais ce luth dont le charme autrefois
Entraînait sur l'Hémus les rochers et les bois,
Je le ferais parler; et sur les paysages

Les arbres tout à coup déploieraient leurs ombrages;
Le chêne, le tilleul, le cèdre et l'oranger,

En cadence viendraient dans mes champs se ranger. ·
Mais l'antique harmonie a perdu ses merveilles:
La lyre est sans pouvoir, les rochers sans oreilles
L'arbre reste immobile aux sons les plus flatteurs,
Et l'art et le travail sont les seuls enchanteurs.

Apprenez donc de l'art quel soin et quelle adresse
Prête aux arbres divers la grâce ou la richesse.

Par ses fruits, par ses fleurs, par son beau vêtement, L'arbre est de nos jardins le plus bel ornement:

Pour mieux plaire à nos yeux combien il prend de formes ! Là s'étendent ses bras, pompeusement informes;

Sa tige ailleurs s'élance avec légèreté;

Ici j'aime sa grâce, et là sa majesté ;

Il tremble au moindre souffle, ou contre la tempête
Roidit son tronc noueux et sa robuste tête;

Rude ou poli, baissant ou dressant ses rameaux,
Véritable Protée entre les végétaux,

Il change incessamment, pour orner la nature,
Sa taille, sa couleur, ses fruits et sa verdure.
Ces effets variés sont les trésors de l'art,
Que le goût lui défend d'employer au hasard,
Des divers plants encor la forme et l'étendue
Sous des aspects divers viennent charmer la vue.
Tantôt un bois profond, sauvage, ténébreux,

Épanche une ombre immense ; et tantôt, moins nombreux,

Un plant d'arbres choisis forme un riant bocage.
Plus loin, distribués dans un frais paysage,
Des groupes élégants frappent l'œil enchanté ;
Ailleurs, se confiant à sa propre beauté,

Un arbre seul se montre, et seul orne la terre.
Tels, si la paix des champs peut rappeler la guerre,
Une nombreuse armée étale à nos regards
Des bataillons épais, des pelotons épars;
Et là, fier de sa force et de sa renommée,
Un héros seul avance, et vaut seul un armée.
Tous ces plants différents suivent diverses lois.
Dans les jardins de l'art notre luxe autrefois
Des arbres isolés dédaignait la parure :
Ils plaisent aujourd'hui dans ceux de la nature.
Par un caprice heureux, par de savants hasards,
Leurs plants désordonnés charmeront nos regards.
Qu'ils diffèrent d'aspect, de forme, de distance;
Que toujours la grandeur, ou du moins l'élégance,
Distingue chaque tige, ou que l'arbre honteux
Se cache dans la foule et disparaisse aux yeux.
Mais lorsqu'un chêne antique, ou lorsqu'un vieil érable,
Patriarche des bois, lève un front vénérable,

Que toute sa tribu, se rangeant alentour,
S'écarte avec respect, et compose sa cour;
Ainsi l'arbre isolé plaît aux champs qu'il décore.
Avec bien plus de choix et plus de goût encore

Les groupes offriront mille tableaux heureux.

D'arbres plus ou moins forts, et plus ou moins nombreux, Formez leur masse épaisse ou leurs touffes légères :

De loin l'œil aime à voir tout ce peuple de frères.

C'est par eux que l'on peut varier ses dessins,
Rapprocher et tantôt repousser les lointains,
Réunir, séparer, et sur les paysages
Étendre ou replier le rideau des ombrages.

Vos groupes sont formés : il est temps que ma voix A connaître un peu d'art accoutume les bois.

Bois augustes, salut! Vos voûtes poétiques
N'entendent plus le barde et ses affreux cantiques;
Un délire plus doux habite vos déserts;

Et vos antres encor nous instruisent en vers.
Vous inspirez les miens, ombres majestueuses!
Souffrez donc qu'aujourd'hui mes mains respectueuses
Viennent vous embellir, mais sans vous profaner;
C'est de vous que je veux apprendre à vous orner.
Les bois peuvent s'offrir sous des aspects sans nombre,
Ici des troncs pressés rembruniront leur ombre;
Là, de quelques rayons égayant ce séjour,
Formez un doux combat de la nuit et du jour ;
Plus loin, marquant le sol de leurs feuilles légères,
Quelques arbres épars joueront dans les clairières,
Et, flottant l'un vers l'autre et n'osant se toucher,
Paraîtront à la fois se fuir et se chercher.
Ainsi, le bois par vous perd sa rudesse austère;
Mais n'en détruisez pas le grave caractère :
De détails trop fréquents, d'objets minutieux,
N'allez pas découper son ensemble à nos yeux;
Qu'il soit un, simple et grand, et que votre art lui laisse,
Avec toute sa pompe, un peu de sa rudesse.

Montrez ces troncs brisés; je veux des noirs torrents
Dans les creux des ravins suivre les flots errants.

Du temps, des eaux, de l'air, n'effacez point la trace ;
De ces rochers pendants respectez la menace;

Et qu'enfin dans ces lieux empreints de majesté

Tout respire une mâle et sauvage beauté.

Mais tel est des humains l'instinct involontaire ;

Le désert les effraye. En ce bois solitaire
Placez donc, s'il se peut, pour consoler le cœur,
L'asile du travail ou celui du malheur.

Il est des temps affreux, où des champs de leurs pères 1
Des proscrits sont jetés aux terres étrangères :
Ah! plaignez leur destin, mais félicitez-vous;
De vos riches tableaux le tableau le plus doux,
A ces infortunés vous le devrez peut-être !
Que dans l'immensité de votre enclos champêtre
Un coin leur soit gardé; donnez à leurs débris,
Au fond de vos forêts, de tranquilles abris ;
A vos palais pompeux opposez leurs cabanes :
Peuplés par eux, vos bois ne seront plus profanes,
Et leur touchant aspect consacrera ces lieux,
Mais surtout si l'exil de leur cloître pieux 2

A banni ces reclus qui sous des lois austères
Dérobent aux humains leurs tourments volontaires,
Ces enfants de Bruno, ces enfants de Rancé,
Qui tous, morts au présent, expiant le passé,
Entre le repentir et la douce espérance,

Vers un monde à venir prennent leur vol immense,
Accueillez leur malheur, et que sous d'humbles toits,
Paisible colonie, ils habitent vos bois.

A peine on aura su le sort qui les exile,

Vos soins hospitaliers, et leur modeste asile,

Des hameaux d'alentour femmes, enfants, vieillards,
Vers ces hôtes sacrés courront de toutes parts:
La richesse y viendra visiter l'indigence;
L'orgueil, l'humilité; le plaisir, la souffrance:
Vous-même, abandonnant pour leurs âpres forêts
Et vos salons dorés et vos ombrages frais,
Viendrez au milieu d'eux dans une paix profonde
Désenchanter vos cœurs des voluptés du monde,
Loin de ce monde, où règne un air contagieux,
Vous aimerez ce bois sombre et religieux,
Ses pâles habitants, leur rigide abstinence,
Leur saint recueillement, leur éternel silence,

« PreviousContinue »