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ARTICLE V.

Des termes Hé kou-t'eou (= Os noirs) et Pé kou-t'eou (= Os blancs), appliqués aux Lo-lo de Seu-tch'ouan.

Il nous reste encore à examiner les termes chinois de Hé kou-t'eou1 = Os noirs, et de Pé kou-t'eou? = Os blancs.

Ces deux termes ne sont usités qu'au Seu-tch'ouan, et au Yun-nan sur les frontières N. et N. O. N.

Je puis parler sûrement des Lo-lo du Seu-tchouan, quoique ne les ayant jamais fréquentés. Aussi, dois-je dire d'abord que tous mes renseignements à leur sujet me viennent du Père JOSEPHEUGÈNE MARTIN (né en 1853; du diocèse de Lyon, des MissionsEtrangères de Paris; parti pour le Seu-tch'ouan méridional en 1876). Le P. MARTIN, depuis 18 ans missionnaire chez les Lo-lo du Seutch'ouan, en connaît parfaitement et la langue et les mœurs. Ses cahiers, tant au point de vue linguistique que ethnographique, sont nombreux et on ne peut plus intéressants. Mais c'est un humble que ce bon Père! Il semble avoir horreur de la publicité. Nombre d'explorateurs, heureusement pour la science, ont pu puiser à ses sources; entre autres, BABER; et plus récemment, le Dr. LEGENDRE, M. BONS d'ANTY, et M. d'OLLONE.

Je ne désespère pas de voir le P. MARTIN nous donner luimême et sous peu une étude ethnographique et linguistique sur ces Indigènes si intéressants par eux-mêmes et que lui seul, jusqu’aujourd'hui, peut connaître sérieusement. Ce missionnaire réside actuellement à Gyé-lé o-ka (en chinois Lo-tse keou), à 60 ly de Tou-lin, rive droite du Tong-ho.

Disons d'abord qu'au Seu-tch'ouan, il y a 1o les Lo-lo indépendants, ou Man-tse: et 20 les Lo-lo soumis. Les premiers

occupent l'intérieur du Léang-chan; les seconds entourent le Léangchan sur ses quatre faces. Parmi ces derniers, nombreux sont ceux soumis seulement en apparence. Le gouvernement chinois à donné des globules à certains d'entre eux, qui répondent de l'ordre sur les frontières. Cette soumission est bien factice, mais elle contente l'orgueil chinois.

Disons ensuite que, tant parmi les Indépendants que parmi les Soumis, il y a trois castes, à savoir: 1o la caste des Hé-y, appelée communément «caste noble»: 2o la caste des Pé-y, que j'appellerai «caste moins-noble»; et 3o la caste des esclaves, d'origine purement chinoise.

Ceci posé, l'expression Hé kou-t'eou, me dit le P. MARTIN, est purement chinoise, et je n'en ai pas trouvé trace en langue lo-lo. Les Chinois s'en servent souvent pour désigner la caste noble, soit chez les Indépendants, soit chez les Soumis.

Dans ce cas, Pé kou-t'eou désigne la caste moins noble, et même la caste des esclaves.

Mais par vanité ou par mépris, ils donnent de préférence ce nom de Hé kou-t'eou aux seuls Lo-lo indépendants, sans distinction de castes. Régulièrement, dans ce sens, ils devraient dire Seu Lo-lo 3 Lo-lo crus, c'est-à-dire indépendants, par opposition à Chou Lo-lo Lo-lo cuits, c'est-à-dire soumis à la Chine: et de fait, ils disent souvent ainsi sans que ces termes atteignent la distinction de castes.

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4 =

C'est donc à tort que M. BONS d'ANTY* dit: «Chevelures brunes, traduction du nom ethnique particulier que se donnent les Lo-lo noirs» [nom inexactement rendu par BABER Sous l'appellation incompréhensible d'Os noirs!].

«Os noirs» désigne donc parfois dans une bouche chinoise les Lo-lo de caste noble, tant des Indépendants que des Soumis; alors, «Os blancs» désigne les autres Lo-lo de castes inférieures, également tant des Indépendants que des Soumis.

Mais plus généralement, «Os noirs» désigne tous les Indépendants, et «Os blancs», les Soumis à la Chine.

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Résumons ici brièvement le contenu de ces cinq premiers

articles:

1o L'expression Man-tse- fils de sauvages, fils de barbares grossiers, désigne les Lo-lo indépendants du Seu-tch'ouan, et quelques-uns du Yun-nan, au nord du Yong-pé t'in.

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nairement désignent tout ce qui n'est pas Chinois, sont spécialement réservés au Yun-nan pour désigner les Lo-lo.

30 Au Seu-tch'ouan, les Hé-y 8 = Barbares noirs, sont les Lo-lo de caste noble, appelés aussi Hé Lo-lo". Et les Pé-y 10 = Barbares blancs, sont les Lo-lo de caste moins noble, appelés aussi Pé Lo-lo 11. Mais la caste des esclaves, Wa-tse 12, est confondue avec la caste moins noble, sous les mêmes noms de Pé-y ou Pé Lo-lo.

4o Au Yun-nan, les He-y sont également les Lo-lo de caste noble, ou Hé Lo-lo.

Les Pé-y sont les esclaves des nobles, ou même, toutes les autres tribus lo-lo. Pé-y équivaut à Pé Lo-lo.

Ajoutons cependant qu'au Yun-nan, sous la rubrique de Hé Lo-lo et de Pé Lo-lo, les Chinois semblent s'être embrouillés passablement.

Comme on peut le constater, les termes chinois ne peuvent guère nous aider dans l'étude des problèmes ethnographiques. Si j'en juge par ce que j'ai lu des relations des voyageurs, ces termes chinois presque uniquement employés par eux, ne font qu'embrouiller les choses.

I importe du reste de toujours bien distinguer dans ces questions, si l'on emploie des termes chinois, ou des termes indigènes. La confusion, sous ce rapport, peut faire supposer des choses absurdes par les savants.

BABER, par exemple *, nous parle «d'une troisième classe formée de Wa-tze ou esclaves»; et DEVERIA de conclure que ce nom Wa-tze est peut-être l'équivalent ou une corruption de Oua-hé, appliqué aux Ho-nhi! Evidemment, DEVERIA n'eût pas fait cette supposition s'il avait su que Wa-tze est non pas un

DEVERIA, 7. c. p. 147.

mot lo-lo, mais le mot chinois Oua-tse 13 esclaves chez les Barbares; qui ne peut avoir aucune relation avec Oua-hé 11, autres mots chinois qui signifient «noir de tuile».

On ne saurait trop non plus se défier des dires chinois, quand il s'agit des peuples voisins; même des dires des Chinois, ayant vécu en captivité chez les Man-tse. C'est précisément pour s'être trop fié à ces dires que BABER* a pu annoncer en Europe que chez les Lo-lo, on lave le nouveau-né dans l'eau froide et on lui met sur le front, en manière de baptême, de la bouse de vache . . .! ou bien que la naissance des filles est généralement regardée avec plus de satisfaction que celle des garçons ...; ou bien qu'un chef épouse trois femmes, un souschef, deux, et le commun des Lo-lo, une seule! ou bien que les Lo-lo font usage de couteaux et de fourchettes . . .; ou bien encore, qu'il faut trois hommes pour tendre leurs arcs etc.!

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ARTICLE VI.

Origine du mot Lo-lo.

Après avoir examiné les dénominations données aux Lo-lo par les Chinois, il est beaucoup plus important, je crois, de nous occuper des dénominations dont les Lo-lo eux-mêmes se gratifient. Et d'abord examinons le mot Lo-lo lui-même.

1o Les Lo-lo, disent les Historiens chinois *, sont les barbares Ts'ouan, descendants de Lou-lou. C'est de ce dernier nom Lou-lou que, par corruption, est venu le mot Lo-lo.

2o Le mot Lo-lo, dit BABER **, est une injure d'origine chinoise dont on ne pourrait pas faire usage en leur présence, bien qu'ils l'excusent et l'emploient même quelquefois par complaisance, lorsqu'ils ont affaires à des étrangers ignorants.

3o Le nom Lo-lo, dit L. METCHNIKOV, n'a pas de sens en langue chinoise, à moins que cette syllabe redoublée n'indique, comme la désignation grecque de «barbares», des «bredouilleurs», qui ne savent pas s'exprimer en langage policé.

4 Le mot Lo-lo, dit le P. VIAL ***, pourrait bien venir du mot No redoublé par euphonie; no, étant le terme générique dont se servent les Man-tse du Seu-tch'ouan pour se désigner. 5o Le C BONIFACY† semble croire que Lo-lo pourrait bien venir de La, un des préfixes les plus employés dans les anciennes langues du Haut-Tonkin et de la Chine méridionale pour les noms de peuple. La aurait donné La-la, et serait devenu plus tard Lo et Lo-lo.

6o DEVERIA †† écrit: «Ce nom prend au XIIe siècle une nouvelle forme... Lo-lo-sse ... Les annales annamites nous disent qu'en

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