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PRÉFACE.

Ces quelques lignes, qui me sont demandées pour figurer en tête de la présente Etude, n'ont pas pour but de la signaler à l'attention bienveillante du public, d'en montrer l'intérêt, d'en faire l'éloge: les travaux de ce genre ne peuvent se recommander que d'eux-mêmes à ceux, de plus en plus nombreux, qui s'attachent à la recherche des organisations sociales ou religieuses des «populations de culture inférieure».

Tout le mérite de ces essais, consacrés à l'un ou à l'autre des nombreux problèmes de l'éthnologie, consiste à fournir de surs éléments d'information, basés sur des matériaux de première main, à d'autres travaux d'ensemble. Leur valeur dépend de leur importance, de leur exactitude, de leur étendue, de leur sincérité toutes qualités, d'ailleurs, qui supposent la compétence et la probité de l'auteur.

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Mais, précisément, les missionaires, parce qu'ils sont missionnaires, peuvent-ils, en ces matières, présenter toutes les garanties qu'on est en droit d'exiger d'un informateur? Envoyés pour convertir à leur propre foi les peuples sauvages, ne seront-ils pas portés soit à trouver abominable tout ce qui est «payen», soit à l'interpréter au mieux de leurs intérêts, à le tourner à leur profit, à y rechercher des données apologétiques, et, dans l'un comme dans l'autre cas, à déformer ce qu'ils touchent?

Ceux qui ont ces préventions inquiètes supposent évidemment au préalable qu'un missionnaire est nécessairement un fanatique aveuglé par sa foi, peut-être un malhonnête homme, à tout le moins un imbécile ou un impuissant, prisonnier dans son dogme...

Que, de fait, parmi ceux qui traitent les questions religieuses, il y ait des hommes à qui ces épithètes conviennent assez bien, c'est possible! Mais est-il absolument nécessaire que ces hommes soient missionnaires? Il semblerait suffisant, en effet, que, docteurs infaillibles et parlant au nom de la Science, ils aient un système à soutenir, système dont ils sont les auteurs ou les interprètes, et qu'il leur faut défendre, propager, populariser, imposer, en vue d'un but déterminé qui les attire et qu'on me pardonne! les fanatise!

Le missionnaire digne de ce nom n'est pas de ceux-là. D'abord, il connaît l'indigène dont il parle, il s'entretient avec lui dans sa langue, il en est l'ami et le confident, souvent le protecteur, quelquefois le protégé, presque toujours l'allié. Il s'intéresse à la tribu, au milieu de laquelle il doit vivre et qui, parfois, l'a adopté comme l'un des siens. Sans doute, il veut son bien matériel et moral, il travaille à son amélioration, laquelle ne va pas sans quelque changement, il cherche même sa conversion. Mais il sait que ces résultats ne seront obtenus qu'à certaines conditions: la connaissance et le respect des traditions locales, la confiance, la libre discussion, la persuasion, et surtout qu'il y faudra cet élément essentiel qui lui est étranger et qui s'appelle la Grâce de Dieu... Sa curiosité ne peut être que bienveillante; son témoignage sera sincère.

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Le missionnaire, néanmoins, comme tout homme, porte avec lui son caractère, son tempérament, ses défauts, ses imperfections diverses. Il n'est pas toujours au courant - et il peut difficilement. l'être des études qu'il aborde dans ce domaine nouveau, il est peut-être mal doué pour l'observation patiente et attentive, il ne contrôlera pas toujours assez ses premières impressions, il jugera, interprétera, expliquera, généralisera trop tôt et trop vite... Et en cela, encore une fois, il sera semblable à quelques autres, qui ne sont ni missionnaires ni chrétiens au contraire! mais qui ont la même préoccupation de gagner à leurs conceptions, c'est-à-dire à leur foi, ceux qui les écoutent et ceux qui les lisent.

Sous ce rapport, la situation est donc pareille. Mais il reste à l'avantage des missionnaires que, du moins, ils connaissent par

une pratique personnelle et généralement assez longue les populations dont ils relatent ou interprètent les croyances.

Qu'est-ce à dire sinon que, en ces matières, il convient de se contenter avant tout d'exposer loyalement ce qu'on a vu et entendu, et que cela seul compte véritablement? Quant au reste, si les explications, interprétations et comparaisons ne peuvent être défendues à personne, elles n'ont plus la valeur du fait observé. Chacun en prendra ce qu'il en voudra prendre, en se rangeant aux conclusions qui lui sont suggérées ou en gardant les

siennes propres.

C'est dans ces dispositions qu'on lira les pages qui suivent. Le sujet qu'elles traitent, intéressant en lui-même, gagne ici être observé dans tous ses détails et en une tribu déterminée. De cette étude on sera reconnaissant au P. H. TRILLES, et il est à souhaiter qu'il ait de nombreux imitateurs —, dussent-ils être missionnaires! Sous nos yeux, les masses jadis profondes des populations sauvages» sont pénétrées de toutes parts par une invasion qui les découverte. Pressé par un besoin d'expansion qui ne fut peut-être jamais égalé et en tous cas jamais mieux servi, l'homme blanc a fait de la terre entière sa propre colonie, il a rapproché les distances, il a soumis les peuples de couleur à sa puissance ou il les enveloppe de sa civilisation: il est grand temps de recueillir ce qui reste d'original en chaque pays et en chaque groupement. noir, rouge ou jaune. Le P. TRILLES a voulu le faire pour le Gabon, les Fân et le Totémisme: qu'il en soit félicité et remercié.

A. Le Roy,

Ev. d'Alinda, Sup. Gén. C. S. Sp.

QUELQUES MOTS D'INTRODUCTION.

§ 1. Nécessité de cette Etude.

§ 2. Evolution des idées. Pourquoi beaucoup d'auteurs n'ont pas connu le totémisme fân. Rapports entre certaines croyances fâu et égyptiennes. – Un moyen de pénétrer dans l'intimité noire: le mébara.

pense du Blanc à propos de ses croyances.

Ce que le Noir

§ 3. Premières recherches sur le Totémisme. Mgr. LE ROY et la Religion des Primitifs.

§ 1. Nécessité de cette Etude.

En 1893, voilà tantôt vingt ans, nous arrivions jeune missionnaire chez les Fân; dès qu'il nous fut donné d'assister à leurs cérémonies cultuelles et surtout d'en pénétrer le sens, un phénomène attira notre attention. A côté du culte officiel, du fétichisme proprement dit, et de ses innombrables manifestations, s'en dressait un autre, tout aussi important, mais dont on parlait beaucoup moins, peut-être tant il semblait naturel. Ancré au plus profond des institutions rituelles, il semblait faire corps avec elles, tout en conservant son individualité distincte.

C'était le culte de l'animal protecteur, identifié souvent avec le génie de la tribu, animal protecteur du clan, mais aussi de la famille, de l'individu.

En vain, j'interrogeai les missionnaires, mes ainés. Plus absorbés par les préoccupations d'un apostolat difficile, venus aussi, il faut l'avouer, à une époque où ces sortes de recherches étaient absolument laissées de côté, et même plus que cela, considérées comme inutiles, nul ne s'en était occupé et nul ne sut me répondre.

Bibliothèque Anthropos. 14: Trilles, Le Totemisme chez les Fån

1

§ 2. Evolution des idées.

Mais depuis cette époque, peu à peu les choses ont changé de face, et grâce à de puissantes impulsions, desquelles il n'est peut-être pas inutile de faire remarquer que Mgr. LE ROY fut un des principaux promoteurs, et l'«Anthropos» un savant et vaillant initiateur, on a compris que le missionnaire devait, lui aussi, s'initier à ces études, et ne pas en laisser le monopole aux divers explorateurs, pour s'occuper exclusivement de prosélytisme.

Catéchiser et moraliser le sauvage, c'était bien, mais le catéchiser et le moraliser au nom d'une morale supérieure en la lui imposant tout d'un bloc, sans se plier aux contingences nécessaires du lieu, du climat, des hommes et surtout de l'atavisme, c'était peut-être moins bien; c'était surtout marcher à un insuccès relatif, s'exposer à des difficultés sans cesse renaissantes cesse renaissantes et qui expliquent bien des défaites. Loin de nous encore, répétons-le, l'idée d'attaquer qui que ce soit! Mais nous sommes heureusement sortis, ou à peu près, du temps où l'on traitait de «singeries» et de «sottises» toute manifestation rituelle du culte noir!

Si les missionnaires, connaissant la langue et les coutumes du pays, n'étaient pas arrivés à saisir l'importance du totémisme, il ne faut pas s'étonner que d'autres, voyageurs et fonctionnaires, n'y soient pas parvenus non plus. Ainsi, on fait légitimement cette constatation générale: les auteurs qui jusqu'ici se sont occupés des Fân, tantôt ont laissé cette question complètement sous silence 1, tantôt l'ont à peine effleurée 2, tantôt l'ont simplement considérée

instruit.

1 GUIRAL, Le Congo français. 1889. Observateur consciencieux mais peu
A cette époque, on ne soupçonnait guère le totémisme.

JULES ROCHE, Au pays des Pahouins. 1902.
Dr. VOULGRE, Le Congo français. 1897.
ALEXIS (M. G.), Le Congo français. 1900.

A. GUILLEMOT, Le Congo français. 1900.

A. ROUGET, L'expansion coloniale au Congo français. 1902.

2 NASSAU, Fetichism in West Africa. London 1904.

DU CHAILLU, Voyages. 1880.

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