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§ 4. Résumé de ce chapitre.

Une observation très importante ne doit pas être perdue de vue: c'est que, dans la grande majorité des cas, et à moins d'avoir besoin d'une désignation précise et expressse, le Fân désignera toujours son totem par le nom matérialisé (akamayôn ou mvame).

De plus, il faut ajouter que ce totem matérialisé renferme, outre le fragment de totem réel qui en forme toujours la partie principale, un certain nombre d'autres objets, fétiches ou autres, destinés à en augmenter la force et la puissance. Tout Noir, comme on l'a constaté bien des fois, se fie avant tout au nombre. Plus il aura de gris-gris», plus sa confiance augmentera! Au secours du totem ancestral ou familial, le Fân appellera donc d'autres esprits, leur fera les sacrifices nécessaires, et dans un sachet d'étoffe, conservera soigneusement le souvenir et la trace de ce sacrifice: ce sachet d'étoffe ira ensuite voisiner le totem matérialisé qui, à ses yeux, ne saurait en recevoir qu'un accroissement de puissance.

D'après tout ce que nous venons de dire, il est facile de voir combien se rangeront désormais sous un ordre parfaitement logique, et d'ailleurs nécessaire, les diverses fonctions du totem. Et ainsi se trouveront justifiées les propositions que nous donnions plus haut, d'après les définitions de LORET et de DÉCHELETTE.

Le totem est bien:

1o un attribut ethnique,

2o le nom matérialisé du clan,

3o l'ancêtre ou le parent,

4o l'être tutélaire dont il faut se réserver les faveurs. Mais au lieu de constituer quatre propositions distinctes et indépendantes entre elles, nous venons de voir comment elles naissent, au contraire, les unes des autres et sont liées par une étroite connexité.

Le tableau qui suit fera à la fois mieux ressortir et mieux comprendre les distinctions qui viennent d'être établies.

TOTEM: nom générique: étotore; nom spécifique suivant chaque totem.

Totem être tutélaire réel.

Totem national mvamayôn

(n'existe plus qu'à l'état de vestiges). Totem tribal mvamayôn.

Totem de clan

ou

mvamayum suivant l'impor-
tance du clan.
muamayin |

Totem de village mvamedzal

(ordinairement le même que le totem de tribu).

Totem de groupe ou phratrie mvamayum.

Totem de famille mvamendzân

ou souvent mu-mvame.

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Totem être tutélaire matérialisé. En fait, la nation n'existant pas comme corps constitué, mais chaque tribu ayant sa vie propre et indépendante, le totem national n'a aucune matérialisation. akameyôn.

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De ce qui précède, ressort également pourquoi il nous semble difficile d'adopter le sentiment de certains auteurs qui rangent tous les objets totems sous un même titre, sans aucune distinction. Par exemple, dans sa Religion des peuples non civilisés Mr. BROS écrit 1:

Les objets totems sont fort divers: toutefois les plus fréquents sont des animaux ou des plantes. Ainsi, chez les Iroquois, c'est la tortue, l'ours, le loup . . . etc. En certaines contrées, les divers membres d'un animal eux-mêmes sont totems. Ainsi, l'oreille au Bengale, les yeux de poisson à Samoa etc.>>

Il nous semble bien y avoir plutôt là, soit une défense totémique: chez les Fân, le cœur de l'animal tué est le morceau réservé au chasseur avec la jambe droite, tandisque la gauche appartient au chef, et la cervelle, les poumons et parties molles aux vieillards etc.), ou bien encore la partie totémique représentant le tout.

Outre les animaux et les plantes, d'autres objets peuvent être considérés comme totems. En divers endroits d'Australie, le tonnerre, la pluie, une étoile, le vent chaud, le soleil, le miel, l'averse, l'éclair sont des totems. En Amérique, la glace, le tonnerre, la terre, l'eau, le vent, le soleil, la neige, la mer, le sable et la pluie. ont le même privilège. En Afrique, on trouve le soleil et la pluie comme totems, dans l'Inde, une constellation et l'écume de la rivière, à Samoa, l'arc-en-ciel et l'étoile filante.>>

Ces totems se retrouvent également, sinon tous, du moins une bonne partie, en pays fân, mais alors on ne peut en aucune manière, et nous le verrons plus loin, les ranger sous le même titre que les autres totems. En effet, le clan du tigre, par exemple, se considérera bien comme relié par une double parenté, mystique et réelle, au tigre animal, mais jamais il ne viendra à l'esprit d'un Noir du clan de la pluie de se considérer comme lié par une parenté quelconque, mystique ou réelle, à la pluie qui tombe. Ces totems ne sont en réalité que la «matérialisation» du totem réel que l'on ne saurait atteindre autrement, des «matériali

1

Religion des peuples non civilisés. Chap. VIII: Totémisme, p. 218-219.

sations» d'un esprit supérieur qui est alors le véritable protecteur et allié du clan, tel par exemple l'esprit des eaux, de la pluie, du tonnerre etc.

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«Il existe même des totems couleurs; le rouge est totem chez les Omahas... Ou trouve des totems plus singuliers encore, le filet par exemple, en Bengali, la tente chez les Kaws etc. . . .» Là encore, nous estimons qu'il y a confusion entre le totem lui-même et les couleurs» ou les objets qui lui sont consacrés, mais qui ne sont en aucune façon le totem lui-même. Ainsi, à la côte de Guinée, chaque dieu a sa couleur qui est exclusivement réservée, à lui et à ses prêtres, sans qu'on puisse voir là un totem. De même, au Congo, le bleu» est la couleur réservée au vêtement de deuil, le «blanc» aux funérailles, ce sont des couleurs réservées», mais non des totems 1.

«

De l'énumération de tous ces objets, il ressort que tout être vivant ou inanimé a pu être regardé comme totem par les Sauvages.>>

Pour nous, au contraire, nous croyons que pour les Fân, et aussi pour tous les Bantous, cette conclusion, prise d'une façon aussi générale, ne saurait être admise, et en regard, nous formulerions volontiers les propositions suivantes, qui d'ailleurs résumeront tout ce chapitre:

1o Le totem est toujours un être vivant et tutélaire.

II° Cet être tutélaire se matérialise en un objet afin de pouvoir manifester sa protection.

III Cet être tutélaire est ordinairement un animal, plus rarement une plante, plus rarement encore un minéral, auquel d'ailleurs est attribué une vie particulière.

IV Lorsque le totem est un esprit, il se matérialise ou se concrétise soit dans un phénomène naturel, p. e. le tonnerre, soit dans une manifestation quelconque qui le symbolisera.

Vo Le phénomène naturel, par ex. le tonnerre, la foudre, l'arc-en-ciel, se matérialiseront à leur tour, soit par un objet ayant un rapport immédiat avec eux-mêmes, par ex. le mica pour le

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tonnerre, certaines pierres du ciel pour la foudre et l'éclair, soit par un objet déterminé par le féticheur, vg. certaines pierres tachées de façon déterminée.

Comme on le voit, la confusion entre les différents totems, et l'attribution de cette qualité à toute espèce d'objet, animé ou inanimé, a été surtout déterminée faute de distinguer

1o entre totem réel, et sa matérialisation,

2o entre la matérialisation de l'être vivant et celle de l'esprit qui est pour ainsi dire double.

Nous espérons avoir contribué à mettre un peu de clarté dans cet aperçu général.

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