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par rapport à l'enfant né ou à naître, à l'enfant lui-même. Ces éki ont déjà été étudiés dans l'ouvrage du R. P. MARTROU signalé plus haut1.

Ce sont les seuls éki totémiques. Outre ceux qui ont été cités par le P. MARTROU, il existe encore un certain nombre de défenses générales totémiques, telles que: boire toute l'eau gardée dans une case: on doit toujours en laisser. Cette eau doit être répandue le matin.

Si l'on ne prend qu'un poisson, il faut le rejeter à l'eau.

Le père n'a pas le droit d'entrer dans la maison de sa belle-fille.

Il est défendu d'entrer dans la case d'un Pygmée, de boire ou de manger avec lui, dans sa case ou en voyage, de se servir de ses ustensiles.

Avant d'occuper une nouvelle maison, le féticheur doit en chasser les mauvais esprits, et suspendre lui-même au dessus de la porte le fétiche ékure.

Par rapport aux cultures, il est interdit d'abattre le fétiche ngôn qui protège chaque champ. Par rapport aux plantations, défense de manger le premier fruit, graine etc. On doit les offrir aux esprits. Par rapport aux morts, interdiction de finir un travail commencé par eux de leur vivant, tel que case, canot, plantation, dont doit être abandonné.

Les arbres, par eux plantés, doivent être abattus et brûlés.

III° Eki par rapport aux différentes situations sexuelles ou sociales.

Un premier éki totémique est général et concerne tous les individus, sans aucune exception, quelque soit leur sexe, leur âge ou leur rang. C'est celui qui concerne le totem lui-même. Tout totem a droit au respect absolu. Sauf dans les cas que nous avons

Nous avons également jadis effleuré ce sujet en parlant de la Religion chez les Fâu, du Nagualisme et du Culte des Animaux (cf. Missions catholiques: Les Fân 1897-1898). ALLEGRET, dans son article sur la Religion des Fân, a également touché ce sujet. (Revue des Religions, 25ème année.)

Les nombreux articles ou ouvrages, publiés sur les Pahouins, et dont on pourra voir la nomenclature assez longue dans VIVIEN de St MARTIN et dans les Annales de Géographie (Bibliographie annuelle) n'en parlent même pas.

signalés plus haut, il est interdit de le blesser, de le tuer et surtout de s'en nourrir. Toute contravention entraîne faute et expiation.

Par rapport à elle-même, la femme a défense sur tout ce qui touche au domaine religieux et guerrier: d'où interdiction d'assister aux palabres de guerre, aux sacrifices, quelqu'ils soient, d'y prendre part à n'importe quel titre, d'en préparer le bois ou l'eau, de toucher aux vases qui contiendront le sang.

Défense de préparer ou de manger la viande humaine, de prendre part aux danses d'akoma, de sacrifice.

Elle a le droit de voir les danses funéraires, mais sans y participer.

Par rapport à la tribu, la femme a défense d'en porter les signes, les tatouages, de dire à un étranger la tribu où elle est née. Par rapport à son mari, il lui est défendu de cohabiter avec lui le premier jour des noces.

Par rapport à l'enfant né ou à naître, il est défendu à la mère de manger du cochon, de l'antilope noire, du serpent, de l'antilope mye, de l'antilope cheval, viandes qui donneraient des convulsions à l'enfant, de l'antilope vyôn et du rat ntori qui lui causeraient la diarrhée. Etant enceinte, il lui est strictement interdit de cohabiter avec un homme, de manger de la viande, des haricots, des patates ou du sel. Comme on le voit, ces prescriptions rentrent dans les ordonnances utilitaires et ont dû être portées dans l'intérêt de l'enfant.

Si la mère voit mourir son enfant, on en recherche immédiatement la cause. Le féticheur attribue-t-il la mort à un éki violé par la mère ou même le père, cette mort doit être payée aux beauxparents. Ceux-ci peuvent même réclamer leur fille et la reprendre sans rendre la dot.

Après la mort du père, la femme et les enfants doivent s'abstenir de sel pendant trente jours, jusqu'à la danse funéraire ou fanki. Pour les enfants, les principaux éki sont les suivants: Défense de blesser, tuer ou manger le totem.

Défense de manger de l'antilope ou du sanglier avant les épreuves d'initiation.

Pour les jeunes gens, défense de se servir d'un fusil ou d'une arme qui n'a pas été voué. Défense d'épouser une jeune fille avant

d'avoir subi les épreuves des guerriers. Défense d'enlever une jeune fille en vue du mariage. Défense également de manger certains poissons.

Pour les jumeaux.

Défense pour la mère d'en nourrir plus d'un: le second est recueilli par une voisine ou une parente du mari. Défense de regarder l'arc-en-ciel: si, par hasard, un des jumeaux l'a regardé, il lui faut se raser les sourcils, s'en peindre un de rouge avec de la poudre baza (Santal) et l'autre en noir avec le charbon d'étan (Musantha Smithonii). Défense pour eux de manger de tout animal rayé ou zébré, de poisson à écailles, de crocodile, d'iguane (varan). Défense de manger le martin-pêcheur.

Pour l'homme et la femme mariés.

Quand la femme est enceinte, défense de toucher un mori, d'assister aux obsèques, de creuser la fosse, de pleurer le mort, de manger du gibier trouvé mort dans le chemin ou dans une fosse, de manger du serpent, de tout animal qui se nourrit habituellement du totem.

En tout temps, défense de manger le totem ou tout animal qui attaque le totem ou s'en nourrit.

Pour le chef.

Défense de quitter sans sacrifice préalable le territoire de sa tribu, d'omettre les sacrifices ordonnés.

Toutes ces défenses sont toujours portées dans l'intérêt de l'individu, de la famille on de la race.

Mais la principale défense totémique portée dans l'intérêt de la tribu est la loi d'exogamie dont l'importance nécessite une étude spéciale.

§ 3. La loi d'exogamie.

1 Nature de l'exogamie.

La loi d'exogamie est une simple loi rituelle, un interdit, ou un éki, dérivé des lois totémiques. Toutefois, elle en est indépendante: il peut y avoir exogamie sans totémisme, mais quand il y a totémisme, il y a exogamie!

Bibliothèque Anthropos. 1/4: Trilles, Le Totémisme chez les Fân,

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Tel est le sentiment de Mgr. LE ROY 1, auquel nous nous associons pleinement en ce qui concerne les Fân, et d'une façon générale, les tribus bantoues. Aussi, n'admettons-nous guère le sentiment de Mr. REINACH: Il est peu scientifique de dire que l'exogamie soit un caractère du totémisme» 2.

L'exogamie est la règle qui oblige à prendre femme en dehors de son clan. Elle est très stricte dans la tribu fân. Ainsi un homme ne peut jamais épouser une femme, non-seulement de son clan, mais même de sa tribu. Il ne peut davantage épouser une femme d'une tribu ou d'un clan allié au sien. La tribu Esingi, par exemple, s'est partagée, depuis 25 générations au moins, en trois tribus distinctes, les Yengi, les Esingi et les Esisis, qui, à leur tour, se sont fractionnés en clans.

Les Esikwon, pour ne citer que ceux-là, forment un clan esisis, séparé lui-même de cette branche mère depuis 20 générations environ. Or, un Esikwôn ne peut pas plus épouser une fille esikwôn, ce qui serait considéré comme inceste, qu'une fille esisis, ye-ngi ou esingi. Cette deuxième loi ne souffre pas d'exception.

Non seulement l'homme ne peut épouser une fille d'une tribu alliée: il ne peut davantage épouser une femme dans la tribu de sa mère. Cette règle est inviolable.

Si sa femme ou une de ses femmes vient à mourir, il ne peut épouser une seconde femme de la même tribu. Cette loi souffre aujourd'hui quelques exceptions, surtout quant il s'agit de chefs puissants.

Enfin, si après la mort d'un homme, un héritier se voit adjuger quelques-unes des femmes du défunt, bien qu'elles soient considérées comme simples concubines, il ne peut non plus prendre une nouvelle femme dans leurs tribus. Cette loi commence à tomber en désuétude dans les tribus qui se rapprochent de la côte.

Toute infraction à ces lois entraîne par le fait même la nullité du mariage, la perte de la dot qui reste acquise aux beaux parents, la reddition de la femme et le rachat des enfants qui seraient nés du mariage. Une double amende égale au prix de la femme, payable

à chaque tribu, tribu de l'homme, tribu de la femme également lésées,

1

1 op. cit., p. 106.

2 L'Anthropologie, 1899, p. 65.

le sacrifice d'un mouton et parfois bien davantage, au totem protecteur de la tribu, punissent également cette infraction.

Dans l'opinion du Fân, en effet, d'accord avec les théories

des savants européens, c'est bien le totem qui est lésé.

La loi d'exogamie est donc des plus strictes, et elle est toujours strictement observée.

II" Origine et but de l'exogamie.

Quel est l'origine et le but de la loi d'exogamie?

DURKHEIM 1, REINACH et beaucoup d'autres auteurs admettent que le totémisme est caractérisé par deux faits essentiels. C'est d'abord le respect de la vie du totem; on se garde bien de le blesser ou de le tuer, et on ne mange jamais sa chair, sinon dans certaines circonstances exceptionnelles, fêtes religieuses où les assistants communient à la victime totémique pour s'imprégner de sa puissance et de sa vie, et renouveler l'alliance antique. Le second caractère essentiel est ensuite, d'après ces auteurs, la loi d'exogamie, c'est-à-dire la défense pour tout individu mâle d'épouser une fille ou une femme ayant avec lui communauté d'origine ou d'alliance clanique.

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Définir avec Mgr. LE ROY l'exogamie comme la règle qui oblige à prendre femme en dehors de son clan ou, plus généralement, de sa parenté» n'est vrai qu'à condition de l'entendre dans un sens très étendu et encore avec certaines restrictions. En effet, dans de nombreuses tribus bantoues, et en particulier chez les Fân, non-seulement il est interdit de prendre femme dans son propre clan, ce qui constitue ce que l'on pourrait appeler l'exogamie stricte ou restreinte, mais encore dans tout l'ensemble de la tribu, quelque soit le nombre de clans et l'éloignement de la souche commune.

La loi, nous l'avons, vu, va plus loin encore, et c'est à cause de cette extension que nous préférons aux mots de sa parenté» ceux d'alliance clanique». En effet, le Fân ne pourra prendre femme ni dans sa propre tribu, ni dans la tribu où sa mère a été épousée. Cette dernière clause confirme bien ce que nous avons

1

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1 E. DURKHEIM, Sur le Totémisme, Année sociologique, Paris, Alean 1902,

t. V, p. 82-121.

2 S. REINACH, L'Anthropologie, 1899, p. 65.

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