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tenné en malinké, tana en bamana, namo en baga, woda en fula, kosé en soninké etc. Sous l'influence de l'islamisme, ces dogmes ou croyances commencent à disparaître 1.

Retenons de cet exposé deux conséquences assez curieuses. La première, c'est que pour les peuples guinéens, le totem ou ntèné est non pas l'ancêtre ou le parent fait de même substance que le père du clan, mais simplement l'animal éponyme de l'ancêtre du clan, l'un homme, l'autre animal, unis entre eux par un lien à la fois mystique et physique lorsqu'il y a eu, par exemple, échange de sang, mais non descendance directe, comme l'ont dit LORET et plusieurs auteurs. ARCIN et BINGER, qui ont eu l'avantage de parler d'après enquête faite sur place, partagent donc notre avis.

1 Cf. Colonel BINGER, Du Niger au Golfe de Guinée T. II: «Ils conviennent à Kong que ceux qui ont imaginé les Tenné, étaient des gens bien simples, voir même des malins, disent-ils, car on ne trouve jamais comme tenné, le bœuf, le mouton, ou autre animal comestible, à moins qu'il ne soit d'une rareté telle qu'il soit introuvable [nous verrons plus tard que cette assertion est erronée], comme un bœuf absolument noir, n'ayant pas un poil blanc! Quelle douce privation, en effet, de se passer de la fantaisie de manger ou de toucher

Un merle métallique.

Un vautour Urubus.

Un petit sénégalais (oiseau).

Un boa.

Un trigonocéphale.

Un lion.

Une sorte de légume sauvage qui ne rentre jamais dans l'alimentation

courante.

l'oubli.»

Du lait de fauve!

Une sorte de mouche.

Les Dioulas l'ont si bien compris qu'ils ont laissé tomber les tenné dans

Cette liste a du moins l'avantage de nous montrer les ntèné en usage au Golfe de Guinée (ntèné qui ressemblent fort aux ntèn fân). Nous ne regretterons qu'une chose: l'oubli que les Dioulas font de leurs ntèné pour passer à l'islamisme. Progrès, dit plus loin le Colonel BINGER, qui considère l'islamisme comme un progrès nécessaire et il n'est malheureusement pas le seul progrès même supérieur au catholicisme, l'un relevant le niveau moral du Noir parce que à sa portée, l'autre pouvant le relever, mais de fait ne le faisant pas, parce que hors de sa portée. On nous permettra, à nous qui nous nous sommes voués au relèvement moral et social du Noir et considérons que seul, le Christianisme peut y arriver, de ne pas être du même avis.

Le mot ntèné nous paraît également digne d'attention. Sans en apporter d'ailleurs de preuves, ARCIN croit pouvoir lui donner la signification de sœur aînée de l'ancêtre». Soit, mais n'est-ce pas un sens dérivé? Nous aurons l'occasion de le redire en parlant du totem emblème, marque ethnique; les Fân désignent ce totem par un mot presque équivalent à ntèné, c'est le mot ntèn, qui désignera tout à la fois et le totem emblème qui est un signe ethnique et mieux d'après son sens propre, toute espèce d'écrit, de marque dessinée ou peinte. La «marque incisée», taillée, gravée, le tatouage par exemple, aura un tout autre mot pour la désigner.

Donc, en somme, si ntèné désigne «la sœur aînée de l'ancêtre», le ntén fân, lui aussi, désigne: «la marque, le symbole représentatif, l'emblème ethnique, la figuration de l'ancêtre éponyme», et ces deux sens nous paraissent bien rapprochés.

Quelle en est la racine? Peut-être pourrait-on la chercher au pays d'où le tótémisme fân aussi bien que le totémisme guinéen peuvent avoir trouvé leur source, et en égyptien, nous trouvons précisément: ten couper, diviser, séparer, marquer. Le Fan1 a conservé le même mot tèn avec une signification équivalente, marquer, séparer par des traits, diviser, d'où actuellement nous avons fait tén, écrire, ntèn écrit, car pour le Fan, l'écriture, qu'il ignore ou plutôt qu'il a oubliée (ce n'est pas le moment de le démontrer), est un dessin et tout nten, toute écriture, est bien pour lui un simple dessin. Coincidence fortuite, diront quelques-uns peut-être. Signalons donc dans le même ordre d'idées:

En égyptien

sèn, couper,

d'où sèbe circoncire

sèfe couteau

En fân

sèle, circoncire, nsèla2 circoncis, fa, mfe, mfor, sabre, couteau

(avec un préfixe m).

Non seulement les Fân, mais les Bantous, d'une façon générale, ont conservé la racine téna couper, inciser etc.

Ailleurs ékèle, et son dérivé nkèla. Tous les dérivés fân qui expriment une action de couper, de partager, tels que ekix couper, eka partager, eko faire une portion, aka morceau, eken, raser, ebex inciser, se retrouvent également en égyptien sous la même forme.

Et beaucoup de coïncidences pareilles pourraient être de nature à rapprocher le fan de l'égyptien, à une époque fort éloignée; elles indiqueraient aussi, avec toutes les réserves voulues, que le totémisme fân n'est point un fait isolé à la tribu, mais qu'il s'étend à toutes les tribus bantoues, les dépasse pour se retrouver avec les mêmes caractères chez les peuples guinéens, et se rattache par des mots identiques et des coutumes pareilles, à l'antique totémisme de la Terre de Ur, par conséquent aux âges primitifs du monde 1.

1 Au Loango (et la même constatation est vraie du pays fân) sur les bâtons, les habits des demeures ainsi que sur des colliers ou des ceintures rituels, il y a des tribus qui figurent des signes où l'on peut reconnaître une véritable écriture hiéroglyphique. Cf. R. E. DENNETT, op. cit. p. 71.

CHAPITRE IV.

LE TOTEM FÂN.

§ 1. Définition et formes diverses, totem réel et totem symbole. § 2. Le totem réel, Le totem en lui-même, être réel et tutélaire. a) Le nom générique. · Ce que c'est l'étotore. Comment on devient étotore. b) Les différents noms du totem d'après les différentes formes de totémisme: tableau des formations totémiques.

§ 3. Le totem matérialisé sous une forme tangible et effective. § 4. Résumé de ce chapitre. Tableau des différents totems.

de quelques idées erronées. Nos propositions.

Réfutation

§ 1. Définition et formes diverses.

Nous avons affirmé l'existence du totémisme chez les Fân. Nous allons maintenant donner l'exposé des faits qui nous permettront de la justifier.

La question de l'existence même du totem fân se pose tout d'abord: s'il existe, s'il a un nom: quel est ce nom, quelle est sa signification? Or, nous nous trouvons en face d'une première difficulté: la notion de totem embrasse tout un ensemble de phénomènes. En effet, nous avons vu précédemment, au Chapitre IIIe de cette Etude, les diverses définitions du totem.

Parmi celles que nous avons données, retenons, avec les réserves déjà faites, la définition de LORET 1 en la complétant par celle de DÉCHELETTE 2; elle nous permettra d'étudier successivement les diverses parties du totémisme intégral chez nos Fan.

'L'Egypte au temps du Totémisme. Paris 1906, p. 17.

' Manuel d'Archéologie préhistorique. Paris 1896, au mot <totémisme».

Le totem est donc, dit Mr. LORET, avant tout:

1o un attribut ethnique, l'enseigne d'un clan,

2o le nom matérialisé du clan,

et de là, par un pas que tous les groupements totémiques ont franchi, 3o l'ancêtre ou le parent (fait de la même substance qu'eux-mêmes).

Nous mettons entre parenthèse cette dernière partie qui nous paraît fausse pour les clans bantous.

Le totem, ajoute DÉCHELETTE, c'est l'être ancestral et tutélaire dont il faut se réserver les faveurs. Cet animal devient par la suite l'objet d'un culte constant, et parmi les superstitions antiques des peuples civilisés, un grand nombre, plus ou moins déformées au cours des âges, ont leur racine profonde dans ce culte totémique.

Le totem embrasse donc un ensemble de phénomènes distincts les uns des autres et que ces différents auteurs ne séparent peut-être pas assez. Afin de mettre plus de clarté dans un sujet fort difficile, nous essaierons d'étudier, en deux parties distinctes:

1o Le totem réel,
IIo Le totem symbole.

Le totem réel comprendra

Le totem symbole comprendra

1o Le totem en lui-même, être réel et tutélaire,
2o Le totem concrétisé, matérialisé sous une forme
tangible.

1o Le totem, attribut ethnique, enseigne du clan,
ou matérialisé sous une forme figurative,
2o Le totem, nom matérialisé du clan.

Après avoir étudié le totem réel et avant d'étudier le totem symbole, nous devrons, dans un chapitre à part, nous préoccuper du nom du totem réel, d'où ressortiront d'importantes conclusions, puis du culte, du ministre, des lois etc.

Ces divers chapitres nous paraissent absolument nécessaires et répondent à autant d'idées distinctes qui doivent être étudiées successivement sous peine d'inextricables confusions. Prenons en effet le § 1, le totem en lui-même, être réel et tutélaire. Quel est cet être tutélaire? Cet animal» devient par la suite, nous dit DÉCHELETTE, l'objet d'un culte constant. Tout d'abord, notons que souvent il ne s'agit pas d'un animal; comme le note l'abbé BROS 1, 1 Religion des peuples non civilisés, p. 219.

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