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Cette opinion nous paraît d'autant plus digne d'être prise en trèssérieuse considération que le fait se reproduit encore de nos jours chez les Fân. Nous l'avons constaté, par exemple, en parlant du clan actuel des Abè.

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Nous n'avons pas entrepris de discuter ici les autres opinions si diverses données de l'origine du totémisme. Disons seulement. rapidement que pour HERBERT SPENCER, qui a intimement lié le culte totémique au culte des ancêtres, c'est le résultat d'une simple méprise. - D'après ROBERTSON SMITH, le culte a d'abord été familial, et par l'animisme, le dieu considéré comme ancêtre a été identifié à un animal, puis à une espèce, devenant protectrice du clan, quand celui-ci se développe. JEVONS Suppose que l'animisme seul a inspiré le culte des animaux: la fusion des clans et des totems donne naissance au polythéisme; les totems individuels sont des imitations des totems de clans et leur sont postérieurs. Mr. S. REINACH admet le contrat comme essentiel. Pour FRAZER, le lien entre totem et clan consiste dans un échange d'âmes. Pour Mr. l'abbé BROS enfin, le totémisme suppose l'animisme: c'est une idée religieuse ayant un fondement social. Nous avons déjà exposé et discuté plus haut la théorie de Mgr. LE ROY; nous n'y reviendrons donc pas ici.

Pour notre part, nous nous sommes efforcés plutôt de faire l'exposé impartial des faits que de présenter des théories plus ou moins hasardées et qui, d'ailleurs, vraies pour une tribu, peuvent, par suite de circonstances multiples, être fausses pour une autre. La seule remarque que nous nous permettons en finissant est celle-ci. A très peu d'exceptions près 1, tous les auteurs 2 qui

1 Par exemple Mgr. LE ROY, qui a vécu plus de vingt ans au milieu des tribus africaines.

On consultera avec fruit pour ce chapitre ce que Mr. l'abbé BROS dit du totémisme dans le chapitre de son ouvrage consacré à ce sujet, et peut-être mieux encore l'article de MARILLIER: La place du totémisme dans l'évolution religieuse, dans la Revue de l'Histoire des Religions, t. XXXVI, p. 234 et ss. (1897). L'auteur y analyse surtout les idées de ROBERTSON SMITH.

Voir également DURKHEIM, Année sociologique 1910, t. V, p. 82 et ss. Mr. DURKHEIM base toutefois ses déductions sur un certain nombre de faits rapportés par des voyageurs peu instruits ou assez mal documentés. On peut en dire tout autant des opinions de Mr. S. REINACH.

ont jusqu'ici traité du totémisme l'ont fait d'après des documents plus ou moins certains, et plutôt en interprétant des phénomènes rapportés de façon généralement peu exacte, par des voyageurs ou écrivains assez peu au courant de la langue, des mœurs et de la religion indigène. Dans l'exposé du totémisme fân, nous avons eu le double avantage de pouvoir tout d'abord connaître les ouvrages de ces auteurs, et en second lieu, de pouvoir vérifier et étudier sur place pendant longues années un peuple dont nous connaissions intimement la langue et les habitudes. Nous avons déjà montré fréquemment, au cours de cette Etude, et montrerons encore des causes multiples d'erreurs inévitables pour nos devanciers. Nous ne voulons en aucune manière nous prétendre plus sages qu'eux tous: nous espérons, grâce seulement à un favorable concours de circonstances, avoir été plus heureux, ou tout au moins apporter notre contingent de faits certains et intéressants. C'est plus que ce que nous aurions espéré jadis.

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Ayant ainsi donné notre idée sur l'origine, sinon probable, du moins possible du totémisme, nous revenons au totem actuel, tel qu'il existe aujourd'hui dans la tribu, et à sa «concrétisation matérielle représentée par l'akaméyôn. Nous en avions déjà dit quelques mots: il importe maintenant de l'étudier à fond.

CHAPITRE X.

LE TOTEM «PRÉSENT ET TANGIBLE»

ET L'AKAMÉYÔN.

I. LE TOTEM PRÉSENT ET TANGIBLE.

§ 1. Nécessité du culte.

Le culte matériel est nécessaire au Noir: il concrétise mais ne spiritualise pas.

§ 2. Quel sera l'objet du culte totémique?

Les fragments choisis seront ceux qui répondent le mieux à l'idée cherchée. Sous sa forme matérielle, cette idée est cependant toute spirituelle. § 3. Qui recueillera le totem?

Ce rôle est réservé, non au féticheur, chef du culte officiel, mais au chef de la famille, chef du culte familial en même temps que primitif. § 4. Dans quelles conditions le totem sera-t-il pris?

Les conditions ne sont pas indifférentes, mais déterminées par la loi. Le totem n'est valable que pour le possesseur. Peu d'importance de la vente d'un totem. Les conditions du choix: A) Se procurer l'animal désigné. B) Les cérémonies rituelles. Le chant de présentation. Rôle du féticheur et du chef de famille. Cérémonies semblables dans l'Unyoro.

§ 5. Vertu du fragment choisi.

Conditions requises pour la valeur du choix.

§ 6. Où conserve-t-on le totem?

Le Nkô. L'Etotore. Le Biéri.

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L' Akaméyôn.

II. L'AKAMÉYÔŇ.

Nature de l'Akaméyôn.

Ce qui le constitue.

faire partie essentielle.

Les différents objets qui s'y rapportent sans en

I. LE TOTEM PRÉSENT ET TANGIBLE.

§ 1. Nécessité du culte.

Nous avons passé en revue dans un chapitre précédent les divers totems et constaté que suivant la diversité des familles, des clans et des tribus, ces totems ressortissaient des trois règnes de la nature. Ils donnent toutefois une place très prépondérante au règne animal. Cette constatation, loin d'être particulière aux Fân, est au contraire universelle: nous en avons cité plus haut de nombreux exemples. L'origine du totem nous fournira un peu plus loin les raisons de ce choix.

Ici se pose d'abord à l'égard du totem une question de fait. Les totems que nous avons examinés démontraient simplementl'existence de l'institution. Mais, pour pouvoir subsister, l'institution totémique, comme toutes les autres institutions religieuses, requiert nécessairement le culte. Or, ce culte ne peut, en réalité, être adressé d'une manière précise et toujours actuelle au totem, tel que nous venons de le voir. L'objet du culte, en effet, doit parler aux yeux, ou, si l'on préfère, revêtir une forme tangible et tomber dans le domaine des sens. Ainsi, même dans les religions chrétiennes, entièrement spiritualistes par leur objet, et où le culte et la prière s'adressent à un Etre invisible et immatériel, il a fallu nécessairement recourir à des symboles figuratifs, à des images, à des tableaux qui mettent, pour ainsi dire, la chose spirituelle sous les yeux et sous les sens. Ils la matérialisent, pour pouvoir de là reprendre la pensée, et l'élever à l'idée et au culte spirituel.

Pour le Noir, les raisons sont les mêmes. Elles sont plus fortes encore avec une race qui vit surtout par les sens, et à laquelle les idées uniquement spéculatives échappent en grande partie.

Son totem, il est vrai, est purement matériel, sauf quelques exceptions dont nous nous préoccuperons ensuite, mais ce totem ne peut toujours non plus être sous sa main, sous ses yeux, à sa portée, quand il en a besoin. Il a un totem, surtout pour recourir à lui dans les cas de danger, car ce totem est en somme, au point de vue pratique, une alliance: c'est une force à son service. Il

faudrait donc qu'il l'eût à sa portée immédiate toutes les fois qu'il est nécessaire. Pour certains totems, ce sera possible: pour d'autres, au contraire, ce ne le sera en aucune façon. Et si cette impossibilité est fréquente pour le totem de clan ou de tribu, elle l'est encore beaucoup plus pour le totem particulier. Il est évident, et nous ne nous attarderons pas sur ce sujet, que le Noir ne peut se faire accompagner partout de son totem. Si c'est un végétal, un arbre par exemple, c'est lui, au contraire, qui devra aller le trouver; si c'est un animal, un tigre par exemple, le spectacle, dans ce cas, serait assez singulier. De plus, le Fân aurait souvent fort à faire pour prémunir son totem contre les convoitises ou les craintes des autres guerriers pour lesquels ce totem n'est rien, sinon une proie, un gibier, ou un ennemi. Il lui serait tout aussi difficile de garder les autres contre les appétits de son totem, ce qui reviendrait pour lui au même point: la mort nécessaire de son protecteur.

Mais si le Fân, comme on le conçoit aisément, ne peut se faire suivre de son totem pour y recourir toutes les fois qu'il en aura besoin, un moyen bien simple semble s'offrir à lui: l'invocation, la prière, la simple pensée, l'appel mental. Ainsi, en cas de besoin, recourons-nous nous-mêmes au secours divin. Cette réflexion est très vraie pour le Blanc; elle ne l'est nullement pour le Noir qui a besoin de concrétiser, de matérialiser pour ainsi dire sa pensée et l'objet de son culte: il ne saurait s'adresser à un être immatériel qui ne tombe en aucune façon sous ses sens, et comme le Créateur, par exemple, est pour lui dans ce cas, il ne lui demande aucun concours, il ne lui rendra non plus aucun culte. Que fera-t-il donc avec son totem? La réponse est bien simple, il le concrétisera de manière sensible et tangible; pour cela, il aura recours au moyen le plus facile, et qui répond d'ailleurs à toutes ses idées religieuses sur l'animisme, idées que nous ne pouvons développer ici, mais qui sont suffisamment connues: il prendra avec lui et gardera soigneusement un fragment» de son totem.

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Nous devons tout d'abord noter ici qu'il s'agit ici seulement du totem réel, existant et vivant: ce fragment en est la réalité tangible. Le totem symbole et emblème sera ensuite examiné.

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