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(pl. biyéma) image, statue, représentation. Le mot eyèm a sa racine dans nlèm, le cœur, considéré par les Fân comme source de l'entendement, tandis que l'action repose dans le cerveau bo, d'ou ebo, faire, eba, sculpter, ebà, planter, ebi, planter, d'ou ebi, père, en méké.

Dans les villages de l'intérieur, on trouve très fréquemment dans les abène une quantité de petites statues d'animaux et d'oiseaux. Ces petites statues, confectionnées d'une façon grossière avec la moëlle du raphia, sont excessivement légères. On les suspend au toit de l'abène, et le vent, en passant, les fait balancer et semble leur donner une vie factice Nulle esthétique dans ces figurations, nul sentiment de la grandeur: un perroquet y sera plus grand qu'un éléphant, un tigre, de la taille d'un rat, et réciproquement. Il ne faudrait pas voir dans ces figurines, comme on serait peut-être tenté de le croire au premier abord, des vestiges de culte totémique. Ce sont simplement, soit des «ex-voto», pourrait-on dire, des preuves, de reconnaissance, ou encore de simples marques de désir, des souhaits. Avant de partir à la chasse, le Fân ne manquera pas de s'incliner devant son Biéri et tout au moins de le toucher, en manière d'offrande, de sacrifice aux ancêtres et aux mânes, leur demandant de faire une chasse heureuse. Tout au plus, pourrait-on voir également dans cette action un fait totémique, en ce sens que le chasseur demande aux ancêtres de ne pas tuer son animal protecteur, acte qui attirerait sur lui de grands malheurs. En revenant de la chasse, comme remerciments à son fétiche 1, et aussi peut-être pour apaiser la colère des esprits qui auraient pu résider dans l'animal qu'il a tué, le Fân lui assure une nouvelle demeure en en façonnant une grossière image.

Dans quelques villages de l'intérieur, on attribuait à ces représentations une grande valeur, nous interdisant strictement d'y toucher; dans d'autres, au contraire, on nous laissait toute latitude de les palper et de les prendre: Bivi bibône, nous disait-on, «ce sont jeux d'enfants».

Ce ne sont pas en tout cas, et c'était ici, le point essentiel

1 Fétiche de la chasse, et non fétiche protecteur individuel.

manifestations totémiques, tout au moins avec les restrictions des indiquées et les réserves nécessaires que nécessiteront d'autres études plus complètes 1.

f) Le sentiment populaire au sujet du totem.

Nous arrivons enfin à la cinquième et dernière source d'information au sujet de l'antiquité du totem fàn, le sentiment ou la croyance du peuple lui-même au sujet de cette antiquité.

Ici, nous n'avons besoin évidemment d'aucun développement, puisque ce sentiment ressort avec netteté de tout ce que nous avons dit jusqu'ici du totem. Chaque totem est aussi antique que le fondateur de la fraction à laquelle se rapporte ce totem, comme le prouve d'ailleurs ce qui se passe encore aujourd'hui. De là, les propositions suivantes:

Le totem particulier n'a qu'une existence éphémère et révocable, et ne peut remonter plus loin que son détenteur actuel. Le totem de clan remonte au fondateur du clan.

Le totem de tribu remonte au fondateur de tribu qui luimême l'aura emprunté à un totem familial antérieur.

Ce totem familial antique, devenu, jusqu'à un certain point, totem national pour disparaître ensuite en partie devant les totems locaux, aura également pour antiquité, l'antiquité elle-même de la nation. Nous avons vu plus haut quelle époque nous pouvions, dans une certaine mesure, lui asseigner. Par le même moyen, nous connaissons l'ancienneté du totem de clan et souvent de famille. Tous ces points nous paraissent donc d'accord et marchent d'un pas simultané vers un but commun.

L'antiquité du totem, particulier à la race, et non rite importé ou emprunté à d'autres peuples, semble établie.

Par là même que le rite est écarté comme d'importation, mais doit être attribué au fondateur de la race lui-même, nous en arrivons tout naturellement à rechercher l'origine du totem.

1 Dans certaines tribus du Centre-africain, ces biyéma, que l'on retrouve également, seraient bien totémiques. Ce serait alors, pour nos Fân, une rectifiIcation de détail à faire.

CHAPITRE IX.

L'ORIGINE DU TOTEM FÂN.

Comment étudier l'origine du totem fan.
ou tribal est à examiner.

§ 1. L'origine du totem d'après les Fan.
diverses questions à poser.

§ 2. L'origine du totem d'après leurs légendes. Légende de la séparation.

Le seul totem national

Procédé d'interrogation; les

Légende du Créateur.

Diverses causes qu'ils

Opinions de quelques Discussion de ces opinions.

§ 3. L'origine du totem d'après les auteurs. donnent au sujet de l'origine du totémisme. auteurs, tels ARCIN, REINACH, Mgr. LE ROY. Notre propre opinion sur l'origine du totem.

En abordant ce chapitre, nous devons tout d'abord faire une remarque essentielle: il est nécessaire d'envisager uniquement l'origine du totem national ou tribal, qui seul est ancien. Comme nous l'avons fait remarquer, les totems de famille, les totems individuels et les totems de société secrète surtout, ne sont que des «dérivations» de ce dernier.

Nous avons essayé, dans le chapitre précédent, d'établir la haute antiquité des phénomènes totémiques, et de montrer qu'ils remontaient aux origines de la race. Le fait du totem étant ainsi posé comme fait «original», comment peut-on expliquer, ou à quelles influences peut-on attribuer, ce phénomène religieux? Telle est la question que nous avons à résoudre dans ce chapitre.

Le totémisme est un phénomène religieux que l'on retrouve dans la plupart des tribus africaines. Aussi a-t-il été étudié à ce point de vue de l'origine par quelques rares auteurs dont nous exposerons l'opinion, en tant qu'elle peut être applicable à nos Fân.

Ces auteurs peuvent se ranger sous deux catégories distinctes d'après le sujet qu'ils ont traité:

a) les peuples africains actuels,

b) les peuples africains du passé.

Nous les verrons donc successivement. Mais tout d'abord, nous envisagerons l'origine du totem animal, dont l'explication est plus facile et plus rationelle, pour atteindre ensuite les totems végétaux et minéraux.

Continuant le procédé que nous avons déjà employé pour l'antiquité du totem, nous demanderons d'abord aux Fan euxmêmes leurs données sur l'origine du totem; puis, passant de là aux autres peuples africains totémiques, nous suivrons la même marche, en donnant toutefois seulement ce qui peut convenir aux Fan; enfin, toujours avec les mêmes réserves, nous étudierons les auteurs dont nous venons de parler, tels Mgr. LE ROY, ARCIN, REINACH etc.

§ 1. L'origine du totem d'après les Fan.

On ne saurait, en cette matière, trouver meilleurs informateurs que les Fan eux-mêmes; pour arriver à identifier l'origine de leur totem, c'est à eux que nous nous adresserons en première ligne, en recourant, comme nous avons fait précédemment pour l'antiquité» du totem, à leurs légendes religieuses et à l'interrogation directe. Nous nous efforçons de gagner leur confiance, chose difficile en pareille matière qui est d'un éki1 absolu avec les non initiés, et d'une réserve très grande avec les initiés eux-mêmes. Mes meilleurs renseignements ont toujours été obtenus lorsque nous étions seuls à seuls, que nulle oreille indiscrète, pas même celle de nos enfants, n'était là pour recueillir des paroles dont le secret trahi (bien peu de chose souvent) eût pu néanmoins attirer de sérieux désagréments sur les contempteurs d'un sévère éki totémique.

Nous nous occuperons d'abord du totem tribal, car c'est en somme le plus important, puisque, de la façon que nous avons indiquée, découlent de lui les autres totems, et que l'origine de l'un expliquée, les autres en découlent tout naturellement.

1 Défense rituelle.

L'interrogation directe.

Avant de passer aux légendes de la race, recourons à l'interrogation directe. Pour plus sûrs renseignements, entrons dans une tribu qui réunisse bien tous les caractères totémiques requis par les auteurs, c'est-à-dire portant le nom d'un animal, le reconnaissant comme ancêtre éponyme, et lui rendant un culte.

Nous sommes chez les Békwé, puissante tribu dont les ramifications et clans s'étendent fort loin; leurs principaux villages sont aux environs du noeud orographique d'où partent, dans quatre directions opposées, autant de grandes rivières, l'une, vers le nord, l'autre, vers l'ouest et l'Oubanghi, la troisième directement à la mer avec le Ntèm, la dernière enfin vers l'Ogowé avec l'Aïna, son principal affluent. De ce poste élevé, retranchés dans leurs montagnes, les Békwé semblent prêts à se jeter de l'un ou l'autre côté, suivant leur inspiration capricieuse, le gré de leurs fétiches, l'espoir d'un gain problématique, ou une occasion qui leur semble favorable.

Comme nous l'avons fait dans plusieurs villages 1, conversons avec les chefs, puis résumons leurs réponses, d'ailleurs identiques aux mêmes questions, sans aucunement les discuter. Interrogeons-les d'abord, comme si nous ignorions complètement le totem.

«Quelle est votre race, le nom des hommes de votre tribu?

Tu le sais, puisque tu demeures depuis plusieurs jours dans

nos villages; nous sommes les Békwé 2.

singes».

Que veut dire ce mot?

Rien. Cela veut dire: «Békwé» 3, c'est-à-dire: «Nous. >>
Mais ce nom dans votre langue, signifie également les

Cela est vrai: ce nom signifie également «les singes».

1 Villages d'Akurenzam, Elibéngon, Afurengon, Oyômetan etc. (Ht Ivindo).

2 Békwé, corruption du mot: Ebikué, comme dans les autres tribus méké. Ce nom signifie également, suivant l'accent, colimaçon. Le kwé est un gros colimaçon dont les femmes emploient la coquille entière comme fétiche protecteur des récoltes. On le pique alors au bout d'une perche placée à l'orée du champ, et malheur au violateur.

On emploie également la coquille du kwé pour faire de jolies cuillers nacrées.

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