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mirable! après avoir défait trois cent mille Carthaginois, il exigeoit une condition qui n'étoit utile qu'à eux; ou plutôt, il stipuloit pour le genre humain.

Les Bactriens faisoient manger leurs pères vieux à de grands chiens : Alexandre le leur défendit (1); et ce fut un triomphe qu'il remporta sur la superstition.

CHAPITRE VI.

D'une république qui conquiert.

IL est contre la nature de la chose que, dans une constitution fédérative, un état confédéré conquière sur l'autre, comme nous avons vu de nos jours chez les Suisses (2). Dans les républifédératives mixtes, où l'association est entre de petites républiques et de petites monarchies, cela choque moins.

ques

Il est encore contre la nature de la chose qu'une république démocratique conquière des villes qui ne sauroient entrer dans la sphère de la démocratie. Il faut que le peuple conquis

(1) Strabon, liv. II.

(2) Pour le Tockembourg.

puisse jouir des priviléges de la souveraineté, comme les Romains l'établirent au commencement. On doit borner la conquête au nombre des citoyens que l'on fixera pour la démocratie.

Si une démocratie conquiert un peuple pour le gouverner comme sujet, elle exposera sa propre liberté, parce qu'elle confiera une trop grande puissance aux magistrats qu'elle enverra dans l'état conquis.

Dans quel danger n'eût pas été la république de Carthage, si Annibal avoit pris Rome? Que n'eût-il pas fait dans sa ville après la victoire, lui qui y causa tant de révolutions après sa défaite (1)?

si

Hannon n'auroit jamais pu persuader au sénat de ne point envoyer de secours à Annibal, s'il n'avoit fait parler que sa jalousie. Ce sénat, qu'Aristote nous dit avoir été si sage (chose que la prospérité de cette république nous prouve bien), ne pouvoit être déterminé que par des raisons sensées. Il auroit fallu être trop stupide pour ne pas voir qu'une armée, à trois cents lieues de là, faisoit des pertes nécessaires qui devoient être réparées.

Le parti d'Hannon vouloit qu'on livrât An

(1) Il étoit à la tête d'une faction.

nibal (1) aux Romains. On ne pouvoit pour lors craindre les Romains; on craignoit donc Annibal.

:

On ne pouvoit croire, dit-on, les succès d'Annibal mais comment en douter? Les Carthaginois, répandus par toute la terre, ignoroient-ils ce qui se passoit en Italie? C'est parce qu'ils ne l'ignoroient pas qu'on ne vouloit pas envoyer de secours à Annibal.

Hannon devient plus ferme après Trébie, après Trasimène, après Cannes: ce n'est point son incrédulité qui augmente, c'est sa crainte.

CHAPITRE VII.

Continuation du même sujet.

Il y a encore un inconvénient aux conquêtes IL faites par les démocraties. Leur gouvernement est toujours odieux aux états assujettis. Il est monarchique par la fiction; mais, dans la vérité, il est plus dur que le monarchique, comme l'expérience de tous les temps et de tous les pays

l'a fait voir.

(1) Hannon vouloit livrer Annibal aux Romains, comme Caton vouloit qu'on livrât César aux Gaulois.

Les peuples conquis y sont dans un état triste; ils ne jouissent ni des avantages de la républini de ceux de la monarchie.

que,

Ce que j'ai dit de l'état populaire se peut appliquer à l'aristocratie.

CHAPITRE VIII.

Continuation du même sujet.

AINSI, quand une république tient quelque peuple sous sa dépendance, il faut qu'elle cherche à réparer les inconvéniens qui naissent de la nature de la chose, en lui donnant un bon droit politique et de bonnes lois civiles.

Une république d'Italie tenoit des insulaires sous son obéissance : mais son droit politique et civil à leur égard étoit vicieux. On se souvient de cet acte (1) d'amnistie qui porte qu'on ne les condamneroit plus à des peines afflictives sur la conscience informée du gouverneur. On a vu

(1) Du 18 octobre 1738, imprimé à Gênes, chez Franchelli. Vietamo al nostro general-governatore in detta isola di condannare in avvenire solamente ex informatâ conscientiâ persona alcuna nazionale in pena afflittiva. Potrà ben si far arrestare ed incarcerare le persone che gli saranno sospette; salvo di rendere poi à noi sollecitamente. Article VI.

souvent des peuples demander des priviléges : ici le souverain accorde le droit de toutes les nations.

CHAPITRE IX.

D'une monarchie qui conquiert autour d'elle.

Si une monarchie peut agir long-temps avant que l'agrandissement l'ait affoiblie, elle deviendra redoutable, et sa force durera tout autant qu'elle sera pressée par les monarchies voisines.

Elle ne doit donc conquérir que pendant qu'elle reste dans les limites naturelles à son gouvernement. La prudence veut qu'elle s'arrête sitôt qu'elle passe ces limites.

Il faut dans cette sorte de conquête laisser les choses comme on les a trouvées; les mêmes tribunaux, les mêmes lois, les mêmes coutumes, les mêmes priviléges rien ne doit être changé l'armée et le nom du souverain.

que

:

Lorsque la monarchie a étendu ses limites par la conquête de quelques provinces voisines, il faut qu'elle les traite avec une grande douceur. Dans une monarchie qui a travaillé long-temps

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