Page images
PDF
EPUB

sance égale. La république des Lyciens (1) étoit une association de vingt-trois villes : les grandes avoient trois voix dans le conseil commun; les médiocres, deux; les petites, une. La république de Hollande est composée de sept provinces, grandes ou petites, qui ont chacune une voix.

Les villes de Lycie (2) payoient les charges selon la proportion des suffrages. Les provinces de Hollande ne peuvent suivre cette proportion; il faut qu'elles suivent celle de leur puissance.

En Lycie (3), les juges et les magistrats des villes étoient élus par le conseil commun, et selon la proportion que nous avons dite. Dans la république de Hollande, ils ne sont point élus par le conseil commun, et chaque ville nomme ses magistrats. S'il falloit donner un modèle d'une belle république fédérative, je prendrois la république de Lycie.

(1) Strabon, liv. XIV.

(2) Ibid.

(3) Ibid.

CHAPITRE IV.

Comment les états despotiques pourvoient à leur sûreté.

COMME les républiques pourvoient à leur sûreté en s'unissant, les états despotiques le font en se séparant, et en se tenant, pour ainsi dire, seuls. Ils sacrifient une partie du pays, ravagent les frontières, et les rendent désertes; le corps de l'empire devient inaccessible.

Il est reçu en géométrie que, plus les corps ont d'étendue, plus leur circonférence est relativement petite. Cette pratique de dévaster les frontières est donc plus tolérable dans les grands états que dans les médiocres.

Cet état fait contre lui-même tout le mal que pourroit faire un cruel ennemi, mais un ennemi qu'on ne pourroit arrêter.

L'état despotique se conserve par une autre sorte de séparation, qui se fait en mettant les provinces éloignées entre les mains d'un prince qui en soit feudataire. Le Mogol, la Perse, les empereurs de la Chine, ont leurs feudataires; et les Turcs se sont très-bien trouvés d'avoir mis entre leurs ennemis et eux les Tartares, les

Moldaves, les Valaques, et autrefois les Tran

silvains.

CHAPITRE V.

Comment la monarchie pourvoit à sa sûreté.

LA monarchie ne se détruit pas elle-même comme l'état despotique: mais un état d'une grandeur médiocre pourroit être d'abord envahi. Elle a donc des places fortes qui défendent ses frontières, et des armées pour défendre ses places fortes. Le plus petit terrain s'y dispute avec art, avec courage, avec opiniâtreté. Les états despotiques font entre eux des invasions; il n'y a que les monarchies qui fassent la guerre.

Les places fortes appartiennent aux monarchies; les états despotiques craignent d'en avoir. Ils n'osent les confier à personne; car personne n'y aime l'état et le prince.

་་་་་་་་་

CHAPITRE VI.

De la force défensive des états en général.

POUR qu'un état soit dans sa force, il faut que sa grandeur soit telle qu'il y ait un rapport de la vitesse avec laquelle on peut exécuter contre lui quelque entreprise, et la promptitude qu'il peut employer pour la rendre vaine. Comme celui qui attaque peut d'abord paroître partout, il faut que celui qui défend puisse se montrer partout aussi; et, par conséquent, que l'étendue de l'état soit médiocre, afin qu'elle soit proportionnée au degré de vitesse que la nature a donné aux hommes pour se transporter d'un lieu à un autre.

La France et l'Espagne sont précisément de la grandeur requise. Les forces se communiquent si bien, qu'elles se portent d'abord là où l'on veut ; les armées s'y joignent, et passent rapidement d'une frontière à l'autre ; et l'on n'y craint aucune des choses qui ont besoin d'un certain temps pour être exécutées.

En France, par un bonheur admirable, la capitale se trouve plus près des différentes fron

tières, justement à proportion de leur foiblesse ; et le prince y voit mieux chaque partie de son pays, à mesure qu'elle est plus exposée.

Mais, lorsqu'un vaste état, tel que la Perse, est attaqué, il faut plusieurs mois pour que les troupes dispersées puissent s'assembler; et on ne force pas leur marche pendant tant de temps, comme on fait pendant quinze jours. Si l'armée qui est sur la frontière est battue, elle est sûrement dispersée, parce que ses retraites ne sont pas prochaines l'armée victorieuse, qui ne trouve pas de résistance, s'avance à grandes journées, paroît devant la capitale, et en forme le siége, lorsqu'à peine les gouverneurs des provinces peuvent être avertis d'envoyer du secours. Ceux qui jugent la révolution prochaine la hâtent, en n'obéissant pas. Car des gens, fidèles uniquement parce que la punition est proche, ne le sont plus dès qu'elle est éloignée ; ils travaillent à leurs intérêts particuliers. L'empire se dissout, la capitale est prise, et le conquérant dispute les provinces avec les gouver

neurs.

La vraie puissance d'un prince ne consiste pas tant dans la facilité qu'il y a à conquérir que dans la difficulté qu'il y a à l'attaquer, et, si j'ose parler ainsi, dans l'immutabilité de sa condition.

« PreviousContinue »