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son honneur et ses biens qu'après un long examen; on ne le prive de la vie que lorsque la patrie elle-même l'attaque; et elle ne l'attaque qu'en lui laissant tous les moyens possibles de la défendre (1).

Aussi, lorsqu'un homme se rend plus absolu (2), songe-t-il d'abord à simplifier les lois. On commence dans cet état à être plus frappé des inconvéniens particuliers que de la liberté des sujets, dont on ne se soucie point du tout.

que

On voit que dans les républiques il faut pour le moins autant de formalités dans les monarchies. Dans l'un et dans l'autre gouvernement, elles augmentent en raison du cas que l'on y fait de l'honneur, de la fortune, de la vie, de la liberté des citoyens.

Les hommes sont tous égaux dans le gouvernement républicain; ils sont égaux dans le gouvernement despotique : dans le premier, c'est parce qu'ils sont tout; dans le second, c'est parce qu'ils ne sont rien.

(1) Cela est-il vrai en France? H.
(2) César, Cromwell, et tant d'autres.

CHAPITRE III.

Dans quels gouvernemens et dans quels cas on doit juger selon un texte précis de la loi.

PLUS le gouvernement approche de la république, plus la manière de juger devient fixe; et c'étoit un vice de la république de Lacédémone que les éphores jugeassent arbitrairement (1), sans qu'il y eût des lois pour les diriger. A Rome, les premiers consuls jugèrent comme les éphores: on en sentit les inconvéniens, et l'on fit des lois précises.

:

Dans les états despotiques, il n'y a point de lois le juge est lui-même sa règle. Dans les états monarchiques, il y a une loi; et là où elle est précise, le juge la suit; là où elle ne l'est pas, il en cherche l'esprit. Dans le gouvernement républicain, il est de la nature de la constitution que les juges suivent la lettre de la loi. Il n'y a point de citoyen contre qui on puisse interpréter une loi, quand il s'agit de ses biens, de son honneur ou de sa vie.

(1) Cela s'explique mieux dans la nature des choses que dans un système à travers lequel Montesquieu voit tout. H.

A Rome, les juges prononçoient seulement que l'accusé étoit coupable d'un certain crime; et la peine se trouvoit dans la loi, comme on le voit dans diverses lois qui furent faites. De même, en Angleterre, les jurés décident si l'accusé est coupable ou non du fait qui a été porté devant eux (1); et, s'il est déclaré coupable, le juge prononce la peine que la loi inflige pour ce fait : et, pour cela, il ne lui faut que des yeux.

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CHAPITRE IV.

De la manière de former les jugemens.

DE là suivent les différentes manières de former les jugemens. Dans les monarchies, les juges prennent la manière des arbitres; ils délibèrent ensemble, ils se communiquent leurs pensées, ils se concilient; on modifie son avis pour le rendre conforme à celui d'un autre; les avis les moins nombreux sont rappelés aux deux plus grands. Cela n'est point de la nature de la république. A Rome, et dans les villes grecques, les juges ne se communiquoient point: chacun don

(1) Cette coutume devroit être partout. II.

j'ab

noit son avis d'une de ces trois manières, sous, je condamne, il ne me paroît pas (1): c'est que le peuple jugeoit ou étoit censé juger. Mais le peuple n'est pas jurisconsulte; toutes ces modifications et tempéramens des arbitres ne sont pas pour lui; il faut lui présenter un seul objet, un fait, et un seul fait; et qu'il n'ait qu'à voir s'il doit condamner, absoudre, ou remettre le jugement.

Les Romains, à l'exemple des Grecs, introduisirent des formules d'actions (2), et établirent la nécessité de diriger chaque affaire par l'action qui lui étoit propre. Cela étoit nécessaire dans leur manière de juger: il falloit fixer l'état de la question, pour que le peuple l'eût toujours devant les yeux. Autrement, dans le cours d'une grande affaire, cet état de la question changeroit continuellement, et on ne le reconnoîtroit plus.

De là il suivoit que les juges, chez les Romains, n'accordoient que la demande précise, sans rien augmenter, diminuer, ni modifier. Mais les préteurs imaginèrent d'autres formules d'actions, qu'on appela de bonne foi (3), où la ma

(1) Non liquet.

(2) Quas actiones ne populus, prout vellet, institueret, certas solemnesque esse voluerunt. Leg. 2, § 6. dig. de orig. jur.

(3) Dans lesquelles on mettoit ces mots: Ex bonâ fide.

nière de prononcer étoit plus dans la disposition du juge. Ceci étoit plus conforme à l'esprit de la monarchie. Aussi les jurisconsultes français disent-ils: « En France (1), toutes les ac>>tions sont de bonne foi. >>

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CHAPITRE V.

Dans quels gouvernemens le souverain peut être juge.

MACHIAVEL (2) attribue la perte de la liberté de Florence à ce que le peuple ne jugeoit pas en corps, comme à Rome, des crimes de lèse-majesté commis contre lui. Il y avoit pour cela huit juges établis : Mais, dit Machiavel, peu sont corrompus par peu. J'adopterois bien la maxime de ce grand homme mais comme dans ces cas l'intérêt politique force pour ainsi dire l'intérêt civil (car c'est toujours un inconvénient que le peuple juge lui-même ses offenses), il faut, pour y remédier, que les lois pourvoient, autant qu'il est en elles, à la sûreté des particuliers.

(1) On y condamne aux dépens celui-là même à qui on demande plus qu'il ne doit, s'il n'a offert et consigné ce qu'il doit.

(2) Discours sur la première décade de Tite-Live, liv. I, ch. vii.

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