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qu'il avoit trop avili les ordres de l'état, a recours, pour le soutenir, aux vertus du prince et de ses ministres (1); et il exige d'eux tant de choses, qu'en vérité il n'y a qu'un ange qui puisse avoir tant d'attention, tant de lumières, tant de fermeté, tant de connoissances; et on peut à peine se flatter d'ici à la dissolution des monarchies, il puisse y avoir un prince et des ministres pareils.

que,

Comme les peuples qui vivent sous une bonne police sont plus heureux que ceux qui, sans règle et sans chefs, errent dans les forêts; aussi les monarques qui vivent sous les lois fondamentales de leur état sont-ils plus heureux (2) que les princes despotiques qui n'ont rien qui puisse régler le cœur de leurs peuples, ni le leur.

CHAPITRE XII.

Continuation du même sujet.

QU'ON n'aille point chercher de la magnanimité dans les états despotiques; le prince n'y

(1) Testament politique.

(2) Ils sont moins tentés d'abuser de leur pouvoir? H.

donneroit point une grandeur qu'il n'a pas luimême : chez lui il n'y a pas de gloire (1).

C'est dans les monarchies que l'on verra autour du prince les sujets recevoir ses rayons; c'est là que chacun, tenant, pour ainsi dire, un plus grand espace, peut exercer ces vertus qui donnent à l'âme, non pas de l'indépendance, mais de la grandeur (2).

CHAPITRE XIII.

Idée du despotisme.

QUAND les sauvages de la Louisiane veulent avoir du fruit, ils coupent l'arbre au pied (3), et cueillent le fruit (4). Voilà le gouvernement despotique.

(1) Pourquoi pas, s'il avoit des lumières ? H.

(2) Je n'entends rien de tout cela. Qu'est-ce que de la grandeur sans indépendance? H.

(3) Comparaison brillante, mais peu juste; l'arbre meurt, on n'y recueille plus rien, rien du tout. H.

(4) Lettres édifiantes, recueil II, page 315.

CHAPITRE XIV.

Comment les lois sont relatives au principe du gouvernement despotique.

Le gouvernement despotique a pour principe la crainte mais, à des peuples timides, ignorans, abattus, il ne faut pas beaucoup de lois (1).

Tout y doit rouler sur deux ou trois idées : il n'en faut donc pas de nouvelles. Quand vous instruisez une bête, vous vous donnez bien de garde de lui faire changer de maître, de leçons, et d'allure; vous frappez son cerveau par deux ou trois mouvemens, et pas davantage.

Lorsque le prince est enfermé, il ne peut sortir du séjour de la volupté sans désoler tous ceux qui l'y retiennent. Ils ne peuvent souffrir que sa personne et son pouvoir passent en d'autres mains. Il fait donc rarement la guerre en personne, et il n'ose guère la faire par ses lieu

tenans.

Un prince pareil, accoutumé, dans son palais, à ne trouver aucune résistance, s'indigne de

(1) Qu'importent les lois d'un pareil gouvernement? H.

celle qu'on lui fait les armes à la main : il est donc ordinairement conduit par la colère ou par la vengeance. D'ailleurs, il ne peut avoir d'idée de la vraie gloire. Les guerres doivent donc s'y faire dans toute leur fureur naturelle, et le droit des gens y avoir moins d'étendue qu'ailleurs.

Un tel prince a tant de défauts qu'il faudroit craindre d'exposer au grand jour sa stupidité naturelle. Il est caché, et l'on ignore l'état où il se trouve. Par bonheur, les hommes sont tels dans ce pays, qu'ils n'ont besoin que d'un nom qui les gouverne.

Charles XII étant à Bender, trouvant quelque résistance dans le sénat de Suède, écrivit qu'il leur enverroit une de ses bottes pour commander. Cette botte auroit commandé comme un roi despotique.

Si le prince est prisonnier, il est censé être mort; et un autre monte sur le trône. Les traités que fait le prisonnier sont nuls; son successeur ne les ratifieroit pas. En effet, comme il est les lois, l'état, et le prince, et que, sitôt qu'il n'est plus le prince, il n'est rien, s'il n'étoit pas censé mort, l'état seroit détruit.

Une des choses qui détermina le plus les Turcs à faire leur paix séparée avec Pierre I, fut

que les Moscovites dirent au visir qu'en Suède on avoit mis un autre roi sur le trône (1).

La conservation de l'état n'est que la conservation du prince, ou plutôt du palais où il est enfermé. Tout ce qui ne menace pas directement ce palais ou la ville capitale (2), capitale (2), ne fait point d'impression sur des esprits ignorans, orgueilleux, et prévenus; et, quant à l'enchaînement des événemens, ils ne peuvent le suivre, le prévoir, y penser même. La politique, ses ressorts et ses lois, y doivent être très-bornés; et le gouvernement politique y est aussi simple que le gouvernement civil (3).

Tout se réduit à concilier le gouvernement politique et civil avec le gouvernement domestique, les officiers de l'état avec ceux du sérail.

Un pareil état sera dans la meilleure situation (4) lorsqu'il pourra se regarder comme seul dans le monde : qu'il sera environné de déserts, et séparé des peuples qu'il appellera barbares. Ne pouvant compter sur la milice, il

(1) Suite de Puffendorff, Histoire universelle, au traité de la Suède, chap. x.

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(2) M. d'Argenson, ministre de la guerre, écrivoit aux intendans de Bourgogne et de Moulins : « Il faut se saisir, si l'on peut, de Mandrin, et au moins l'empêcher de venir à Paris. » H.

(3) Selon M. Chardin, il n'y a point de conseil d'état en Perse.
(4) Il n'est tolérable qu'alors que le despote craint ses voisins. H.

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