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Ainsi les Romains, dans leurs opérations sur les monnoies, ne firent que ce que demandoit la nature des choses.

Du temps de la république, on procéda par voie de retranchement; l'état confioit au peuple ses besoins sans le séduire. Sous les empereurs on procéda par voie d'alliage. Ces princes, réduits au désespoir par leurs libéralités mêmes, altérèrent la monnoie. Ces opérations violentes, pratiquées pendant que l'empire étoit affaissé sous un mauvais gouvernement, ne sauroient avoir lieu dans ce temps-ci, où, indépendamment de la modération et de la douceur des gouvernemens de nos jours, le change a appris à comparer toutes les monnoies du monde, et à les mettre à leur juste valeur. Le titre des monnoies ne peut plus être un secret. Si un état commence le billon, tout le monde continue, et le fait pour lui. Les espèces fortes sortent d'abord, et on les lui renvoie foibles. Ainsi ces sortes de violences ne feroient que dessécher les racines du commerce, et éteindre le germe même de son existence. Le change empêche les grands coups d'autorité, et rend inutiles les lois qui blesseroient la liberté de disposer de ses effets : enfin le change gêne le despotisme.

Les banquiers sont faits pour changer de l'ar

gent, et non pas pour en prêter. Ainsi notre auteur les trouve utiles lorsque le prince ne s'en sert que pour changer; et comme le prince ne fait que de grosses affaires, le moindre profit fait un grand objet pour le banquier même. Si, au contraire, on les emploie à faire des avances, ils chargent le prince de gros intérêts, sans qu'on puisse les accuser d'usure.

L'esprit supérieur de notre auteur ramène tout aux premiers principes; il aperçoit dans chaque matière l'origine des abus et leur remède. Ainsi, parlant des dettes de l'état, après avoir fait sentir l'importance de ne point confondre un papier circulant qui représente la monnoie, avec un papier qui représente la dette d'une nation, il fait voir les conséquences de ces dettes, et les moyens de les payer sans fouler ni l'état ni les particuliers, et sans détruire la confiance publique, dont on a un souverain besoin, étant la seule et vraie richesse de l'état. Il fait aussi sentir combien il est essentiel que l'état accorde une singulière protection à ses créanciers, si on ne veut jeter la nation dans les convulsions les plus dangereuses et sans remède.

Quant au prêt de l'argent à intérêt, il remarque que, si cet intérêt est trop haut, le négociant, qui voit qu'il lui coûteroit plus en intérêt

qu'il ne pourroit gagner dans le commerce, n'entreprend rien. Si l'intérêt est trop bas, personne ne prête, et le négociant n'entreprend rien non plus; ou, si on prête, l'usure s'introduit avec

mille inconvéniens.

Il trouve aussi, d'après les grands jurisconsultes, la raison de la grandeur de l'usure maritime dans les périls de la mer, et dans la facilité que le commerce donne à l'emprunteur de faire promptement de grandes affaires et en grand nombre, au lieu que les usures de terre n'étant fondées sur aucune de ces deux raisons, sont ou proscrites par les législateurs, ou réduites à de justes bornes.

Les continuels et brusques changemens que des lois extrêmes causèrent à Rome, tantôt en retranchant les capitaux, tantôt en diminuant ou défendant les intérêts, tantôt en ôtant les contraintes par corps, tantôt en abolissant les dettes, naturalisèrent l'usure chez les Romains: car les créanciers, voyant le peuple leur débiteur, leur législateur, leur juge, n'eurent plus de confiance dans les contrats. Comme les lois ne furent point ménagées, cela fit que tous les moyens honnêtes de prêter et d'emprunter furent abolis à Rome : qu'une usure affreuse, toujours foudroyée et toujours renaissante, s'y établit: tant il est vrai

que les lois extrêmes, même dans le bien, font naître le mal extrême.

Notre auteur indique le taux de l'intérêt dans les différens temps de la république romaine : il en recherche les lois relatives. Comme les législateurs portèrent les choses à l'excès, on trouva une infinité de moyens pour les éluder : ainsi il en fallut faire beaucoup d'autres pour les confirmer, corriger, tempérer.

Il est surprenant de voir comment notre auteur, supérieur même aux préjugés qu'un certain respect pour l'antiquité pourroit justifier, sait relever l'erreur de Tacite, quoiqu'il soit un de ses auteurs de préférence, lorsqu'il prit pour une loi des douze tables une loi qui fut faite par les tribuns Duillius et Menenius, environ quatrevingt-quinze ans après la loi des douze tables: cette loi fut la première qui fixa à Rome le taux de l'usure.

Il finit cette matière par une maxime d'Ulpien : Celui-là paie moins, qui paie plus tard. « Cela » décide, dit-il, la question si l'intérêt est légi>> time; c'est-à-dire si le créancier peut vendre >> le temps, et le débiteur l'acheter. »

La population tient, par la nature de la chose, au commerce. Il ya, pour ainsi dire, une action et réaction de deux agens. Ainsi notre auteur,

faisant sentir l'enchaînement de ces deux objets et leur influence mutuelle, après avoir examiné la matière du commerce dans tous ses rapports, n'est pas moins attentif à développer les lois relatives au nombre des hommes et à leur multiplication, et quel est le vœu de la nature. Il commence par remarquer que la propagation des bêtes est constante, mais que celle des hommes est toujours troublée par les passions, par les fantaisies, par le luxe; que l'obligation naturelle qu'a le père de nourrir ses enfans a fait établir le mariage, qui déclare celui qui doit remplir cette obligation.

Notre auteur, toujours attentif à inspirer la pureté des mœurs, nous fait voir combien les conjonctions illicites choquent la propagation de l'espèce : car le père, qui a l'obligation de nourrir et d'élever les enfans, n'est point fixe; les femmes soumises à la prostitution publique ne sauroient avoir la confiance de la loi : d'où il s'ensuit que la continence publique favorise la propagation de l'espèce.

La raison, dit notre auteur, nous dicte que quand il y a un mariage, les enfans suivent la condition du père; quand il n'y en a point, ils ne peuvent concerner que la mère.

La propagation est très-favorisée par la loi qui

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