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enlève Pâris, l'environne d'un nuage épais, et, volant au palais de ce prince, le place sur le lit nuptial, qui exhale des parfums odorans.

Cependant elle se hâte d'appeler Hélène, 'qu'elle trouve au faîte de la tour, où la foule des dames troyennes l'environnait. Vénus la tire par sa robe aussi odoriférante que le nectar, et se montre à elle sous les traits ridés d'une vieille courbée sous les ans, habile à former en laine une belle broderie, et qui, de Lacédémone, avait suivi la princesse et la chérissait tendrement. La déesse, sous ces traits, lui dit: Viens, suis-moi; Pâris t'attend dans son palais : il est sur sa couche nuptiale, et sa beauté est éclatante, ainsi que sa parure; on ne dirait point qu'il vient de combattre un guerrier formidable, mais qu'il va se rendre à quelque danse, ou que, sortant d'une fête il goûte le repos.

Elle dit; et jette le trouble au fond de son cœur. Mais lorsqu'Hélène reconnaît le cou d'albâtre de la déesse, ce sein qui fait naître les désirs, et ces yeux remplis de flamme, elle est saisie d'épouvante. Divinité dangereuse, dit-elle, chercheras-tu toujours à séduire mon cœur? me conduiras-tu encore dans quelque ville opulente de la Phrygie ou 1. II.

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de la molle Méonie, s'il est dans ces lieux un mortel que tu favorises? Faut-il que tu viennes me tendre de nouveaux piéges, en ce moment où Ménélas a vaincu Pâris, et qu'il veut emmener dans sa maison une épouse, odieuse? Va, abandonne l'Olympe, demeure auprès de ton favori; et, toujours près de lui en proie aux chagrins, prodigue-lui tes soins; qu'il te choisisse pour son épouse ou pour son esclave. Quant à moi, je ne veux point m'exposer à l'opprobre en renouvelant les nœuds de cet hymen : c'est alors que toutes les Troyennes m'accableraient de justes reproches. Mon cœur, hélas! est dévoré de tristesse et d'amertumes.

Ce discours irrite la reine de Paphos. Ingrate, répond-elle, garde-toi d'exciter ma colère crains que dans ce transport je ne te délaisse, et ne te haïsse autant que je signalai envers toi mon amour. Je saurai par mes artifices faire renaître entrs les deux peuples la discorde et la guerre : toi, tu en seras la victime fatale.

A ces mots, Hélène, saisie de crainte, s'éloigne en silence, et, couverte de son voile éclatant, se dérobe aux yeux de toutes les Troyennes la déesse précédait ses pas.

Lorsqu'elles entrent dans le palais de Pâris, les femmes d'Hélène se rendent à leurs travaux la princesse monte aux appartemens ́élevés du palais. Vénus, déesse des ris, prend un siège, et le place auprès du prince : là s'assied la belle Hélène, en détournant les yeux.

Tu sors ainsi du combat! dit-elle que n'y périssais-tu plutôt par la main du vaillant guerrier auquel j'avais uni ma destinée! Tu te vantais, cependant, de l'emporter sur Ménélas en force, en courage, et en adresse à lancer le javelot. Va, défie encore Ménélas au combat: mais non ; je t'exhorte plutôt à fuir les danger de la guerre, à ne plus paraître avec Ménélas dans cette lice, et à ne plus te livrer à cette fougue insensée, si tu ne veux être aussitôt abattu par sa lance.

Chère épouse, répondit Paris, ne déchire point mon cœur par ces reproches insultans. Aujourd'hui, secondé de Minerve, Ménélas m'a vaincu; je puis le vaincre à mon tour: il est aussi des dieux qui nous protègent. Mais réunissons nos cœurs, et livrons-nous aux plus doux sentimens : jamais une si vive ardeur ne pénétra mon ame. J'éprouvai moins de ravissemens, lorsque je voguai loin de

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L'ILIADE, CHANT III.

Lacédémone, t'enlevant sur mes vaisseaux rapides, et m'unis à toi dans l'ile de Cranaé par les liens de l'amour : tant je suis captivé par un heureux charme, et t'aime en ce moment avec transport!

Il dit; et porte ses pas vers la couche nuptiale: son épouse le suit; et ils se prodiguent les témoignages les plus ardens de leur amour.

Cependant Ménélas, tel qu'un lion, courait çà et là dans la foule, et cherchait des yeux son rival. Mais nul des Troyens ni de leurs alliés ne put le montrer aux fils d'Atrée : ils ne lui auraient point offert un asile, s'ils l'eussent aperçu; car ils le haîssaient tous autant que la noire Parque.

Troyens, Dardaniens et alliés, dit alors Agamemnon, vous voyez que Ménélas, cher au dieu des combats, a remporté la victoire. Remettez donc en nos mains Hélène et ses trésors, et payez-nous un juste tribut, dont le souvenir transmette notre gloire aux races futures.

Il dit; et mille cris d'applaudissemens s'élèvent de son armée.

FIN DU CHANT TROISIÈME.

REMARQUES

SUR LE CHANT TROISIÈME.

On a bien en raison de dire que ce chant renfermait, quoiqu'il fût court, un très-grand nombre de richesses poétiques.

(Page 191. Ainsi s'élève jusqu'au ciel. )

Virgile a imité cette comparaison :

Quales sub nubibus atris

Strymonia dant signa grues, atque æthera tranant
Cum sonitu, fugiuntque notos clamore secundo.

AENEID. LIB. X.

La comparaison d'Homère est plus juste et plus animée, parce qu'il fait courir les Troyens au combat ; chez le poëte latin, ils sont dans leur camp : il avait placé ailleurs ce trait de cette comparaison :

Aves, ubi frigidus annus

Trans pontum fugat, et terris immittit apricis.

AENEID. LIB. VI.

On est étonné de voir à quel point Virgile a imité et quelquefois copié Homère; et l'on ne peut douter que le plus digne émule du père de l'épopée n'ait su l'Iliade et l'Odyssée par cœur. C'est le plus bel hommage qu'on ait rendu au poëte grec; il contraste singulièrement

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