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toire les poëtes, quoiqu'ils se permissent des fictions, et qu'ils profitassent de celles de la fable, s'attachaient quelquefois plus qu'aujourd'hui à la vérité historique, telle, au moins, qu'elle était connue. Ainsi, comme géographe, l'ordre qu'Homère a suivi, par rapport à la description des lieux, est préférable à celui de Virgile: mais, tomme poëte, cela est assez indifférent : il semble même que l'espèce de désordre du poëte latin convienne mieux à la marche libre de la poésie.

La seconde observation de Macrobe paraît, au premier coup-d'œil, plus importante. Cependant, quel est le lecteur qui puisse graver les noms de tous ces acteurs dans sa mémoire, et se familiariser assez avec eux pour les reconnaître après l'intervalle d'un grand nombre de chants? Est-il d'ailleurs important de nommer, dès l'entrée du poëme, des personnages auxquels le poëte ne fait ensuite jouer d'autre rôle que celui de mourir? Virgile serait donc blâmable, non s'il n'avait pas nommé tous ses acteurs, mais s'il n'avait pas fait agir ceux qu'il avait désignés.

Virgile décrit l'armée de Turnus avec un plus grand détail que celle d'Enée; Enée devait faire la conquête de l'Italie, et la description de l'une et de l'autre armée intéressait également les Romains. Homère marque sa prédilection pour les Grecs et le désir qu'il a de leur plaire, en décrivant leur armée avec une grande étendue, et se bornant à de courtes indications quand il parle de celle des Troyens, sans doute aussi pour éviter les longueurs et la sécheresse. La description de Virgile est plus ornée; celle d'Homère est plus martiale, et, quoique plus détaillée, a plus de chaleur.

190 REMARQUES SUR LE CHANT II.

La description que le Tasse fait des armées qui se disputent la Terre-Sainte est entremêlée de quelques épisodes agréables: mais, comme Pope l'a remarqué, il est loin d'approcher, en cet endroit, de ses modèles; il n'offre que le tableau des pays dont il parle, et ne dépeint pas ses guerriers avec des traits aussi énergiques. On s'aperçoit dans les peintures d'Homère qu'il å vu les lieux qu'il nomme.

Il fallait le génie de Milton pour faire le dénombrement des mauvais anges : l'érudition éclate encore plus dans ce morceau que la poésie : se plaçant comme hors du monde, l'imagination semblait être son seul guide, il a su y rentrer, en peignant les divers cultes des païens. Ces détails ne sauraient être aussi variés ni aussi intéressans que ceux d'Homère et de Virgile, qu'on n'a encore pu égaler dans ces sortes de dénombremens.

FIN DES REMARQUES SUR LE CHANT II.

A PEINE les deux armées, leurs chefs à leur tête, sont rangées en ordre de bataille, les Troyens, tels que des nuées d'oiseaux, s'avancent avec des cris perçans : ainsi s'élève jusqu'au ciel la voix éclatante du peuple ailé des grues, lorsque, fuyant les frimats et les torrens célestes, elles traversent à grands cris l'impétueuse mer, et, portant la destruction et la mort à la race des Pygmées, livrent, en descendant des airs, un combat terrible. Mais les Grecs ne respirant que fureur, et brûlant dans leur sein de se prêter un appui mutuel, approchent en silence. Comme l'autan humide répand sur le sommet des montagnes un brouillard épais, que redoute le berger, et que le voleur préfère aux ombres de la nuit, brouillard si ténébreux, que l'œil suit à peine la pierre lancée : ainsi s'élevait un tourbillon de poussière sous les pieds des troupes qui franchissaient la plaine d'un pas rapide.

Lorsque les deux armées vont se joindre, Pâris, aussi beau qu'un dieu, se montre à la tête des Troyens. A ses épaules sont suspendus une peau de léopard, son arc recourbé, et son

épée; il agite deux javelots étincelans, et défie à un sanguinaire combat les chefs les plus vaillans des Grecs.

Ménélas le voit devancer les cohortes, et marcher à grands pas. Il triomphe, comme se réjouit un lion, quand, pressé d'une faim dévorante, il rencontre un daim sauvage ou un cerf orgueilleux de son bois, et que soudain il le dévore, quoiqu'il soit poursuivi par une meute légère et par une ardente jeunesse ainsi Ménélas triomphe, et se flatte de punir le coupable. Il s'élance aussitôt de son char avec ses armes.

Pâris, qui le voit à la tête des combattans, est frappé de terreur ; il se jette dans les rangs de ses compagnons, et se dérobe à la mort. Tel un jeune berger, dans le creux d'un vallon, recule à l'aspect d'un serpent terrible ; un tremblement s'est emparé de ses membres; il fuit en arrière, la pâleur sur le front: tel le beau Pâris, redoutant Ménélas, se retirait dans la foule des valeureux Troyens.

Mais Hector apercevant son frère, l'accable de ces reproches : Malheureux Pâris! toi dont la beauté fait la seule gloire, guerrier efféminé, lâche séducteur, plût au ciel que tu n'eusses point vu le jour, ou que tu

fusses mort sans former le lien de l'hyménée, destin préférable à l'opprobre dont tu te couvres dans ce jour aux yeux des Troyens que tu déshonores! N'entends-tu pas les risées des Grecs valeureux? Ils croyaient que tu savais combattre avec courage hors des rangs, parce que ta figure en impose; mais ton ame est sans valeur et sans force. Si tu étais aussi pusillanime, devais-tu rassembler tes plus chers compagnons, traverser la mer avec des vaisseaux rapides, et, confondu dans une nation étrangère, emmener d'un pays lointain une femme célèbre par sa beauté, et l'alliée de guerriers redoutables? action qui fait la ruine de ton père, de cette ville, de tout un peuple, le triomphe de nos ennemis, et ta propre honte. Que n'attendais-tu le vaillant Ménélas? tu saurais quel est le guerrier dont tu retiens injustement l'épouse. Ta lyre, ni ces dons de Vénus, ta chevélure et ta beauté, n'eussent été pour toi d'aucun secours, lorsque tu aurais été traîné par le vainqueur dans la poussière. Mais les Troyens sont trop timides; ou ils t'eussent déjà donné la pierre sépulcrale pour vêtement, afin de se venger de tous les maux que tu leur as faits.

Hector, répond le beau Pâris, je le recon-
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