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pher. J'exhorte ma mère, encore qu'elle ait assez de prudence, à calmer Jupiter notre père chéri, de peur qu'il ne renouvelle son courroux, et ne trouble nos fêtes: car si ce dieu, qui lance le tonnerre du haut de l'Olympe, veut précipiter les immortels de leurs trônes - nul n'égale sa puissance. Mais essaie de le fléchir par des paroles soumises, et nous reconnaîtrons bientôt en lui le maître dont l'Olympe adore le doux empire.

En disant ces mots, il s'élance de son trône, et présente à sa mère une coupe profonde. Ma mère, dit-il, supporte ta disgrâce, et renferme ta tristesse au fond du cœur; crains d'éprouver aux yeux d'un fils qui t'aime, un traitement rigoureux : je ne pourrais alors, malgré ma douleur, te secourir ; car c'est en vain qu'on résiste à Jupiter. Je l'éprouvai, lorsque volant vers toi pour te défendre, il me saisit, et me précipita du seuil céleste. Je roulai tout le jour dans les airs, et au même temps que le soleil eut fini sa course, je tombai dans Lemnos, n'ayant qu'un souffle de vie: de pauvres mortels, les Sinthiens, me reçurent dans ma chute.

A ce discours, Junon sourit : elle étend un bras d'albâtre, et reçoit la coupe des mains

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de son fils en renouvelant ce doux sourire. Cependant Vulcain présente à tous les dieux, selon leur ráng, le divin nectar qu'il puise dans une urne profonde: comme ils le voient s'agiter et courir de tous côtés dans le palais, ils font retentir la voûte fortunée d'un rire éclatant et prolongé. Ils se livrent ainsi au festin jusqu'au coucher de l'astre du jour; tous participent également à l'abondance, prêtent l'oreille aux sons de la lyre divine qui était dans les mains d'Apollon, et aux accens des Muses, qui tour à tour faisaient entendre leurs voix harmonieuses. Dès que la lumière brillante du soleil a disparu, ils vont chercher le repos dans les palais que Vulcain avait construits à chacun d'eux avec une savante industrie. Le dieu quitonne sur l'Olympe se rend dans ce lieu où il ferme la paupière, quand le doux sommeil vient le trouver: là, montant sur sa couche, il s'endort; et Junon, qui siége dans les cieux sur un trône d'or, se place à côté de lui, et se livre au repos.

FIN DU CHANT PREMIER,

SUR L'ILIA DE.

MoN but, dans ces remarques, est plus de m'attacher

que

à faire sentir quelques-unes des beautés d'Homère, de m'engager dans des discussions d'une critique sèche, où d'ailleurs l'on ne pourrait que répéter. Je me propose d'être court, de peur d'ennuyer; et, me reposant sur la sagacité des lecteurs, je passerai bien des choses sous silence. Je rapporterai de temps en temps, par voie d'extrait, des remarques, soit des anciens, soit de quelques modernes, tels que Pope, Ernesti et madame Dacier; et j'aurai soin, chaque fois, de les nommer.

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Que l'on compare à ce début celui de Lucain ou de Stace, et l'on sentira mieux combien Horace et Quintilien ont eu raison de présenter celui d'Homère comme un excellent modèle de simplicité.

Il est assez remarquable que, dans l'Iliade et l'Odys-. sée, l'exposition se trouve confondue avec l'invocation, tandis que Virgile et presque tous les poëtes suivans les ont séparées. Homère, en exposant son sujet, com

mence d'abord par invoquer sa muse. Sans vouloir blâmer les autres poëtes, il faut avouer qu'il y a plus de feu dans ce début d'Homère. Les autres poëtes parlent d'abord en leur propre nom, et leurs premiers vers ne sont pas censés être inspirés, puisqu'ils appellent ensuite une muse à leur secours. Milton, ce grand admirateur d'Homère, l'imite dans sa manière de débuter:

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Les poëtes ont mis toujours plus de pompe dans ces sortes d'invocations, comme s'ils avaient toujours eu plus de raisons de se défier de leur génie et du peu de succès de leur prière. Rien de plus simple que celles d'Homère et de Virgile. Ces poëtes parlent avec confiance et une sorte de grandeur à leur muse; ils l'appellent, et semblent lui prescrire le sujet de leurs chants, comme étant sûrs de son inspiration.

Homère a emprunté le premier vers de l'Iliade d'un poëme d'Orphée :

Μήνιν ἄειδε, θεά, Δημήτερος άγλαοκάρπου.

On assure qu'il a profité ainsi de plusieurs vers d'Orphée et de Musée. Ce n'est donc qu'une admiration superstitieuse qui a voulu persuader qu'il avait été dénué de tout modèle. Dans ces temps, les poëtes n'étaient pas si délicats sur le point d'honneur: Homère ne se fait pas de peine d'emprunter un vers dès le début de son poëme : Hésiode lui en emprunte quelquefois jusqu'à quatre ou cinq de suite. On peut remarquer la bonne

foi de ces poëtes: plusieurs, depuis, ont déguisé leurs plagiats.

Une traduction prend quelque teinture du génie de la nation à laquelle on veut faire adopter un auteur. On voit percer, dès les premiers vers de la traduction de Pope, cette teinte un peu sombre et ce caractère dé fierté qui constituent le génie des Anglais. Pope ajouté aux pensées d'Homère plusieurs épithètes, telles que GLOOMÝ, DEVOUŘING, HUNGRY, NAKED, qui servent à rembrunir le tableau. La cadence du vers hexamètre dans Homère est plus majestueuse, tant par sa longueur que par la nature du mètre, que la cadence des vers de Pope, qui sont décasyllabes : cette marche plus où moins brusque peut donner quelqu'indice du génie et du caractère d'une nation. Il y a un peu d'enflure dans ce vers de Pope:

And heap'd the camp with mountains of the dead.

Ολέκοντο δὲ λαοί.

(Page 81. D'Achille fils de Pélée.)

Ces épithètes, que nous retrouvons aussi dans les écrivains sacrés, étaient ou une marque de considé ration, ou servaient à distinguer les familles; il faut peut-être aussi en chercher la source dans le respect que les anciens avaient pour leurs pères. Aujourd'hui encore subsiste en Russie, l'usage de joindre, comme une marque de considération, le nom du père à celui du fils.

I. II.

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