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on pensoit que rien ne les séparoit plus que la défense de contracter entre eux des mariages, et la permission de vivre sous des lois diverses.

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Mais, quoique les rois des Visigoths eussent proscrit le droit romain, il subsista toujours dans les domaines qu'ils possédoient dans la Gaule méridionale. Ces pays éloignés du centre de la monarchie vivoient dans une grande indépendance'. On voit par l'histoire de Vamba, qui monta sur le trône en 672, que les naturels du pays avoient pris le dessus; ainsi la loi romaine y avoit plus d'autorité, et la loi gothe y en avoit moins. Les lois espagnoles ne convenoient ni à leurs manières ni à leur situation actuelle; peut-être même que le peuple s'obstina à la loi romaine, parce qu'il y attacha l'idée de sa liberté. Il y a plus : les lois de Chaindasuinde et de Recessuinde contenoient des dispositions effroyables contre les Juifs; mais ces Juifs étoient puissants dans la Gaule méridionale. L'auteur de l'histoire du roi Vamba appelle ces provinces le prostibule des Juifs. Lorsque les Sar

▾ Voyez dans Cassiodore les condescendances que Théodoric, roi des Ostrogoths, prince le plus accrédité de son temps, eut pour elles, liv. Iv, let. 19 et 26.

2 La révolte de ces provinces fut une défection générale, comme il paroît par le jugement qui est à la suite de l'histoire. Paulus et ses adhérents étoient Romains; ils furent même favorisés par les évêques. Vamba n'osa pas faire mourir les séditieux qu'il avoit vaincus. L'auteur de l'histoire appelle la Gaule narbonnaise la nourrice de la perfidie.

rasins vinrent dans ces provinces, ils y avoient été appelés: or, qui put les y avoir appelés, que les Juifs ou les Romains? Les Goths furent les premiers opprimés, parce qu'ils étoient la nation dominante. On voit dans Procope1 que, dans leurs calamités, ils se retiroient de la Gaule narbonnaise en Espagne. Sans doute que, dans ce malheur-ci, ils se réfugièrent dans les contrées de l'Espagne qui se défendoient encore; et le nombre de ceux qui, dans la Gaule méridionale, vivoient sous la loi des Visigoths, en fut beaucoup diminué.

CHAPITRE VIII.

Faux capitulaires.

Ce malheureux compilateur Benoît Lévite n'allat-il pas transformer cette loi visigothe, qui défendoit l'usage du droit romain, en un capitulaire qu'on attribua depuis à Charlemagne ! Il fit de cette loi particulière une loi générale, comme s'il avoit voulu exterminer le droit romain par tout l'univers.

* Gothi qui cladi superfuerant, ex Gallia, cum uxoribus liberisque egressi, in Hispaniam ad Teudim jam palam tyrannum se receperunt. De bello Gothorum, liv. 1, chap. XIII.

2 Capitul. édit. de Baluze, liv. vi, chap. CCCXLIII, pag. 981, tom. I.

CHAPITRE IX.

Comment les codes des lois des Barbares et les capitulaires se perdirent.

Les lois saliques, ripuaires, bourguignonnes et visigothes, cessèrent peu à peu d'être en usage chez les François; voici comment.

Les fiefs étant devenus héréditaires et les arrière-fiefs s'étant étendus, il s'introduisit beaucoup d'usages auxquels ces lois n'étoient plus applicables. On en retint bien l'esprit, qui étoit de régler la plupart des affaires par des amendes: mais les valeurs ayant sans doute changé, les amendes changèrent aussi ; et l'on voit beaucoup de1 chartres où les seigneurs fixoient les amendes qui devoient être payées dans leurs petits tribunaux. Ainsi l'on suivit l'esprit de la loi sans suivre la loi même.

D'ailleurs, la France se trouvant divisée en une infinité de petites seigneuries qui reconnoissoient plutôt une dépendance féodale qu'une dépendance politique, il étoit bien difficile qu'une seule loi pût être autorisée : en effet, on n'auroit pas pu la faire observer. L'usage n'étoit guère plus qu'on

M. de la Thaumassière en a recueilli plusieurs. Voyez, par exemple, les chap. LXI, LXVI, et autres.

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envoyât des officiers' extraordinaires dans les provinces, qui eussent l'œil sur l'administration de la justice et sur les affaires politiques. Il paroît même par les chartres que, lorsque de nouveaux fiefs s'établissoient, les rois se privoient du droit de les y envoyer. Ainsi, lorsque tout à peu près fut devenu fief, ces officiers ne purent plus être employés; il n'y eut plus de loi commune, parce que personne ne pouvoit faire observer la loi

commune.

Les lois saliques, bourguignonnes et visigothes furent donc extrêmement négligées à la fin de la seconde race; et au commencement de la troisième on n'en entendit presque plus parler.

Sous les deux premières races, on assembla souvent la nation, c'est-à-dire les seigneurs et les évêques ; il n'étoit point encore question des communes. On chercha dans ces assemblées à régler le clergé, qui étoit un corps qui se formoit pour ainsi dire sous les conquérants, et qui établissoit ses prérogatives : les lois faites dans ces assemblées sont ce que nous appelons les capitulaires. Il arriva quatre choses. Les lois des fiefs s'établirent, et une grande partie des biens de l'Église fut gouvernée les lois des fiefs; les ecclésiastiques se par séparérent davantage, et négligèrent des lois de

Missi dominici.

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«Que les évêques, dit Charles-le-Chauve, dans le capitulaire de

réforme où ils n'avoient pas été les seuls réformateurs; on recueillit' les canons des conciles et les décrétales des papes, et le clergé reçut ces lois comme venant d'une source plus pure. Depuis l'érection des grands fiefs, les rois n'eurent plus, comme j'ai dit, des envoyés dans les provinces pour faire observer des lois émanées d'eux; ainsi, sous la troisième race, on n'entendit plus parler de capitulaires.

CHAPITRE X.

Continuation du même sujet.

On ajouta plusieurs capitulaires à la loi des Lombards, aux lois saliques, à la loi des Bavarois. On en a cherché la raison; il faut la prendre dans la chose même. Les capitulaires étoient de plusieurs espèces; les uns avoient du rapport au gou

- l'an 844, art. 8, sous prétexte qu'ils ont l'autorité de faire des canons, ne s'opposent pas à cette constitution ni ne la négligent. » Il semble qu'il en prévoyoit déja la chute.

■ On inséra dans le recueil des canons un nombre infini de décrétales des papes; il y en avoit très peu dans l'ancienne collection. Denys-le-Petit en mit beaucoup dans la sienne : mais celle d'Isidore Mercator fut remplie de vraies et de fausses décrétales. L'ancienne collection fut en usage en France jusqu'à Charlemagne. Ce prince reçut des mains du pape Adrien I la collection de Denysle-Petit, et la fit recevoir. La collection d'Isidore Mercator parut en France vers le règne de Charlemagne; on s'en entêta: ensuite vint ce qu'on appelle le corps du droit canonique.

DE L'ESPRIT DES LOIS. T. II.

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