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pères comme une conséquence de la loi naturelle, ce qui n'est pas.

La loi naturelle ordonne aux pères de nourrir leurs enfants, mais elle n'oblige pas de les faire héritiers. Le partage des biens, les lois sur ce partage, les successions après la mort de celui qui a eu ce partage; tout cela ne peut avoir été réglé que par la société, et par conséquent par des lois politiques ou civiles.

Il est vrai que l'ordre politique ou civil demande souvent que les enfants succèdent aux pères, mais il ne l'exige pas toujours.

I

Les lois de nos fiefs ont pu avoir des raisons pour que l'aîné des mâles, ou les plus proches parents par mâles, eussent tout, et que les filles n'eussent rien: et les lois des Lombards ont pu en avoir pour que les sœurs, les enfants naturels, les autres parents, et à leur défaut le fisc, concourussent avec les filles.

Il fut réglé dans quelques dynasties de la Chine que les frères de l'empereur lui succéderoient, et et que ses enfants ne lui succéderoient pas. Si l'on vouloit que le prince eût une certaine expérience, si l'on craignoit les minorités, s'il falloit prévenir que des eunuques ne plaçassent successivement des enfants sur le trône, on put très bien établir un pareil ordre de succession; et, quand

* Liv. 11, tit. xiv, § 6, 7 et 8.

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quelques écrivains ont traité ces frères d'usurpateurs, ils ont jugé sur des idées prises des lois de ces pays-ci.

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Selon la coutume de Numidie 2, Delsace, frère de Géla, succéda au royaume, non pas Massinisse son fils. Et encore aujourd'hui 3 chez les Arabes de Barbarie, où chaque village a un chef, on choisit, selon cette ancienne coutume, l'oncle, ou quelque autre parent, pour succéder.

Il y a des monarchies purement électives; et, dès qu'il est clair que l'ordre des successions doit dériver des lois politiques ou civiles, c'est à elles à décider dans quels cas la raison veut que cette succession soit déférée aux enfants, et dans quels cas il faut la donner à d'autres.

Dans les pays où la polygamie est établie, le prince a beaucoup d'enfants; le nombre en est plus grand dans des pays que dans d'autres. Il y a des 4 états où l'entretien des enfants du roi seroit impossible au peuple; on a pu y établir que les enfants du roi ne lui succéderoient pas, mais ceux de sa sœur.

Un nombre prodigieux d'enfants exposeroit

Le P. Duhalde, sur la seconde dynastie.

2 Tite-Live, décade 111, liv. 1x.

3

Voyez les Voyages de M. Shaw, tome 1, pag. 402.

4 Voyez le Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome iv, part. 1, pag. 114; et M. Smith, Voyage de Guinée, part. II, pag. 150, sur le royaume de Juida.

l'état à d'affreuses guerres civiles. L'ordre de succession qui donne la couronne aux enfants de la sœur, dont le nombre n'est pas plus grand que ne seroit celui des enfants d'un prince qui n'auroit qu'une seule femme, prévient ces inconvé nients.

Il y a des nations chez lesquelles des raisons d'état, ou quelque maxime de religion, ont demandé qu'une certaine famille fût toujours régnante: telle est aux Indes1 la jalousie de sa caste, et la crainte de n'en point descendre. On y a pensé que, pour avoir toujours des princes du sang royal, il falloit prendre les enfants de la sœur aînée du roi.

Maxime générale : nourrir ses enfants est une obligation du droit naturel; leur donner sa succession est une obligation du droit civil ou politique. De là dérivent les différentes dispositions sur les bâtards dans les différents pays du monde; elles suivent les lois civiles ou politiques de chaque pays.

I

1 Voyez les Lettres édifiantes, quatorzième recueil, et les Voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome 111, part. II, pag. 644.

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CHAPITRE VII.

Qu'il ne faut point décider par les préceptes de la religion lorsqu'il s'agit de ceux de la loi naturelle.

Les Abyssins ont un carême de cinquante jours très rude, et qui les affoiblit tellement que de long-temps ils ne peuvent agir : les Turcs1 ne manquent pas de les attaquer après leur carême. La religion devroit, en faveur de la défense naturelle, mettre des bornes à ces pratiques.

Le sabbat fut ordonné aux Juifs: mais ce fut une stupidité à cette nation de ne point se défendre, lorsque ses ennemis choisirent ce jour pour l'attaquer.

Cambyse, assiégeant Péluze, mit au premier rang un grand nombre d'animaux que les Égyptiens tenoient pour sacrés : les soldats de la garnison n'osèrent tirer. Qui ne voit que la défense naturelle est d'un ordre supérieur à tous les préceptes ?

'Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome 1v, part. 1, pag. 35 et 103.

* Comme ils firent lorsque Pompée assiégea le temple. Voy. Dion, liv. XXXVII.

CHAPITRE VIII.

Qu'il ne faut pas régler par les principes du droit qu'on appelle canonique les choses réglées par les principes du droit civil.

2

Par le droit civil des Romains, celui qui enlève d'un lieu sacré une chose privée n'est puni que du crime de vol: par le droit canonique, il est puni du crime de sacrilége. Le droit canonique fait attention au lieu; le droit civil à la chose. Mais n'avoir attention qu'au lieu, c'est ne réfléchir ni sur la nature et la définition du vol, ni sur la nature et la définition du sacrilége.

Comme le mari peut demander la séparation à cause de l'infidélité de sa femme, la femme la demandoit autrefois à cause de l'infidélité du mari 3. Cet usage, contraire à la disposition des lois 4 romaines, s'étoit introduit dans les cours d'église 5, où l'on ne voyoit que les maximes du droit canonique; et effectivement, à ne regarder le mariage que dans des idées purement spirituelles et dans le rapport aux choses de l'autre vie, la viola

1 Leg. v, ff. ad leg. Juliam peculatus.

2 Cap. Quisquis, XVII, quæstione 4; Cujas, Observat., liv. XIII, chap. XIX, tome III.

3 Beaumanoir, ancienne Coutume de Beauvoisis, chap. xvIII.

4 Leg. 1, cod. ad leg. Jul. de adult.

5 Aujourd'hui, en France, elles ne connoissent point de ces choses.

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