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CHAPITRE III.

Des lois civiles qui sont contraires à la loi naturelle.

Si un esclave, dit Platon ', se défend et tue un homme libre, il doit être traité comme un parricide. Voilà une loi civile qui punit la défense naturelle.

La loi qui, sous Henri VIII, condamnoit un homme sans que les témoins lui eussent été confrontés, étoit contraire à la défense naturelle. En effet, pour qu'on puisse condamner, il faut bien les témoins sachent que l'homme contre qui ils déposent est celui que l'on accuse, et que celuici puisse dire : Ce n'est pas moi dont vous parlez.

que

La loi passée sous le même règne, qui condamnoit toute fille qui, ayant eu un mauvais commerce avec quelqu'un, ne le déclareroit point au roi avant de l'épouser, violoit la défense de la pudeur naturelle. Il est aussi déraisonnable d'exiger d'une fille qu'elle fasse cette déclaration, que de demander d'un homme qu'il ne cherche pas à défendre sa vie.

La loi de Henri II, qui condamne à mort une fille dont l'enfant a péri, en cas qu'elle n'ait point déclaré au magistrat sa grossesse, n'est pas moins contraire à la défense naturelle. Il suffisoit de Liv. 1x des Lois.

l'obliger d'en instruire une de ses plus proches parentes, qui veillât à la conservation de l'enfant.

Quel autre aveu pourroit-elle faire dans ce supplice de la pudeur naturelle? L'éducation a augmenté en elle l'idée de la conservation de cette pudeur; et à peine dans ces moments est-il resté en elle une idée de la perte de la vie,

On a beaucoup parlé d'une loi d'Angleterre qui permettoit à un fille de sept ans de se choisir un mari. Cette loi étoit révoltante de deux manières : elle n'avoit aucun égard au temps de la maturité que la nature à donnée à l'esprit, ni au temps de la maturité qu'elle a donnée au corps.

Un père pouvoit, chez les Romains, obliger sa fille à répudier son mari, quoiqu'il eût lui-même consenti au mariage. Mais il est contre la nature que le divorce soit mis entre les mains d'un tiers.

Si le divorce est conforme à la nature, il ne l'est que lorsque les deux parties, ou au moins une d'elles, y consentent; et lorsque ni l'une ni l'autre n'y consentent, c'est un monstre que le divorce. Enfin la faculté du divorce ne peut être donnée qu'à ceux qui ont les incommodités du mariage, et qui sentent le moment où ils ont intérêt de les faire cesser.

'M. Bayle, dans sa Critique de l'Histoire du Calvinisme, parle de cette pag. 293.

loi,

> Voyez la loi v, au code de repudiis et judicio de moribus sublato,

CHAPITRE IV.

Continuation du même sujet.

Gondebaud, roi de Bourgogne, vouloit que, si la femme ou le fis de celui qui avoit volé ne révéloient pas le crime, ils fussent réduits en esclavage. Cette loi étoit contre la nature. Comment une femme pouvoit-elle être accusatrice de son mari? Comment un fils pouvoit-il être accusateur de son père? Pour venger une action criminelle, il en ordonnoit une plus criminelle encore.

La loi de 2 Recessuinde permettoit aux enfants de la femme adultère ou à ceux de son mari de l'accuser, et de mettre à la question les esclaves de la maison. Loi inique, qui, pour conserver les mœurs, renversoit la nature, d'où tirent leur origine les mœurs.

Nous voyons avec plaisir sur nos théâtres un jeune héros montrer autant d'horreur pour découvrir le crime de sa belle-mère qu'il en avoit eu pour le crime même; il ose à peine, dans sa surprise, accusé, jugé, condamné, proscrit, et couvert d'infamie, faire quelques réflexions sur le sang abominable dont Phèdre est sortie : il abandonne ce qu'il a de plus cher, et l'objet le

'Loi des Bourguignons, tit. XLI.

2 Dans le code des Visigoths, liv. III, tit. IV, § 13.

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plus tendre, tout ce qui parle à son cœur, tout ce qui peut l'indigner, pour aller se livrer à la vengeance des dieux qu'il n'a point méritée. Ce sont les accents de la nature qui causent ce plaisir; c'est la plus douce de toutes les voix.

CHAPITRE V.

Cas où l'on peut juger par les principes du droit civil, en modifiant les principes du droit naturel.

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Une loi d'Athènes obligeoit les enfants de nourrir leurs pères tombés dans l'indigence; elle exceptoit ceux qui étoient nés d'une courtisane, ceux dont le père avoit exposé la pudicité par un trafic infame, ceux à qui 3 il n'avoit point donné de métier pour gagner leur vie.

La loi considéroit que, dans le premier cas, le père se trouvant incertain, il avoit rendu précaire son obligation naturelle; que, dans le second, il avoit flétri la vie qu'il avoit donnée, et que le plus grand mal qu'il pût faire à ses enfants il l'avoit fait en les privant de leur caractère; que, dans le troisième, il leur avoit rendu insupportable une vie qu'ils trouvoient tant de difficulté à soutenir. La loi n'envisageoit plus le père et le fils que

'Sous peine d'infamie; une autre, sous peine de prison.

⚫ Plutarque, Vie de Solon.

3 Id., ibid.; et Gallien, in exhort. ad art., cap. VIII.

comme deux citoyens, ne statuoit plus que sur des vues politiques et civiles; elle considéroit que, dans une bonne république, il faut surtout des mœurs. Je crois bien que la loi de Solon étoit bonne dans les deux premiers cas, soit celui où la nature laisse ignorer au fils quel est son père, soit celui où elle semble même lui ordonner de le méconnoître : mais on ne sauroit l'approuver dans le troisième, où le père n'avoit violé qu'un règlement civil.

CHAPITRE VI.

Que l'ordre des successions dépend des principes du droit politique ou civil, et non pas des principes du droit naturel.

La loi Voconienne ne permettoit point d'instituer une femme héritière, pas même sa fille unique. Il n'y eut jamais, dit saint Augustin, une loi plus injuste. Une formule de Marculfe 2 traite d'impie la coutume qui prive les filles de la succession de leurs pères. Justinien 3 appelle barbare le droit de succéder des mâles au préjudice des filles. Ces idées sont venues de ce que l'on a regardé le droit que les enfants ont de succéder à leurs

De civitate Dei, lib. 111.

2 Liv. 11, chap. XII.

3 Novelle xxI.

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