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CHAPITRE. XV.

De la propagation de la religion.

Tous les peuples d'Orient, excepté les mahométans, croient toutes les religions en elles-mêmes indifférentes. Ce n'est que comme changement dans le gouvernement qu'ils craignent l'établissement d'une autre religion. Chez les Japonais, où il y a plusieurs sectes et où l'état a eu si longtemps un chef ecclésiastique, on ne dispute jamais sur la religion 1. Il en est de même chez les Siamois. Les Calmouks3 font plus; ils se font une affaire de conscience de souffrir toutes sortes de religions. A Calicut, c'est une maxime d'état que toute religion est bonne 4.

Mais il n'en résulte pas qu'une religion apportée d'un pays très éloigné, et totalement différent de climat, de lois, de mœurs, et de manières, ait tout le succès que sa sainteté devroit lui promettre cela est surtout vrai dans les grands empires despotiques : on tolère d'abord les étrangers, parce qu'on ne fait point d'attention à ce qui ne paroît pas blesser la puissance

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du prince; on y est dans une ignorance extrême de tout. Un Européen peut se rendre agréable par de certaines connaissances qu'il procure : cela est bon pour les commencements. Mais sitôt que l'on a quelque succès, que quelque dispute s'élève, que les gens qui peuvent avoir quelque intérêt sont avertis; comme cet état par sa nature demande surtout la tranquillité, et que moindre trouble peut le renverser, on proscrit d'abord la religion nouvelle et ceux qui l'annoncent; les disputes entre ceux qui prêchent venant à éclater, on commence à se dégoûter d'une religion dont ceux qui la proposent ne conviennent pas.

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LIVRE XXVI.

DES LOIS, DANS LE RAPPORT QU'ELLES DOIVENT AVOIR AVEC L'ORDRE DES CHOSES

SUR LESQUELLES ELLES STATUENT.

:

CHAPITRE PREMIER.

Idée de ce livre.

Les hommes sont gouvernés par diverses sortes de lois par le droit naturel; par le droit divin, qui est celui de la religion; par le droit ecclésiastique, autrement appelé canonique, qui est celui de la police de la religion; par le droit des gens, qu'on peut considérer comme le droit civil de l'univers, dans le sens que chaque peuple en est un citoyen; par le droit politique général, qui a pour objet cette sagesse humaine qui a fondé toutes les sociétés; par le droit politique particulier, qui concerne chaque société ; par le droit de conquête, fondé sur ce qu'un peuple a voulu, a pu, ou a dû faire violence à un autre; par le droit civil de chaque société, par lequel un citoyen peut défendre ses biens et sa vie contre

tout autre citoyen; enfin par le droit domestique qui vient de ce qu'une société est divisée en diverses familles qui ont besoin d'un gouvernement particulier..

Il y a donc différents ordres de lois; et la sublimité de la raison humaine consiste à savoir bien auquel de ces ordres se rapportent principalement les choses sur lesquelles on doit statuer, et à ne point mettre de confusion dans les principes qui doivent gouverner les hommes.

CHAPITRE II.

Des lois divines et des lois humaines.

On ne doit point statuer par les lois divines ce qui doit l'être par les lois humaines, ni régler par les lois humaines ce qui doit l'être par les lois divines. Ces deux sortes de lois diffèrent par leurʻorigine, par leur objet, et par leur nature.

Tout le monde convient bien que les lois humaines sont d'une autre nature que les lois de la religion, et c'est un grand principe; mais ce principe lui-même est soumis à d'autres qu'il faut chercher.

1o La nature des lois humaines est d'être soumise à tous les accidents qui arrivent, et de varier à mesure que les volontés des hommes changent: au contraire, la nature des lois de la religion

est de ne varier jamais. Les lois humaines statuent sur le bien, la religion sur le meilleur. Le bien peut avoir un autre objet, parce qu'il y a plusieurs biens: mais le meilleur n'est qu'un; il ne peut donc pas changer. On peut bien changer les lois, parce qu'elles ne sont censées qu'être bonnes : mais les institutions de la religion sont toujours supposées être les meilleures.

2o Il y a des états où les lois ne sont rien, ou ne sont qu'une volonté capricieuse et transitoire du souverain. Si dans ces états les lois de la religion étoient de la nature des lois humaines, les lois de la religion ne seroient rien non plus : il est pourtant nécessaire à la société qu'il y ait quelque chose de fixe; et c'est cette religion qui est quelque chose de fixe.

3° La force principale de la religion vient de ce qu'on la croit; la force des lois humaines vient de ce qu'on les craint. L'antiquité convient à la religion, parce que souvent nous croyons plus les choses à mesure qu'elles sont plus reculées; car nous n'avons pas dans la tête des idées accessoires tirées de ces temps-là qui puissent les contredire. Les lois humaines, au contraire, tirent avantage de leur nouveauté, qui annonce une attention particulière et actuelle du législateur pour les faire observer.

DE L'ESPRIT DES LOIS. T. II.

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