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les trouva guerriers; il leur donna de l'enthousiasme, et les voilà conquérants.

Le commerce des Romains aux Indes étoit con

I

sidérable. Strabon avoit appris en Égypte qu'ils y employoient cent vingt navires : ce commerce ne se soutenoit encore que par leur argent : ils y envoyoient tous les ans cinquante millions de sesterces. Pline dit que les marchandises qu'on en rapportoit se vendoient à Rome le centuple. Je crois qu'il parle trop généralement : ce profit fait une fois, tout le monde aura voulu le faire; et, dès ce moment, personne ne l'aura fait.

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On peut mettre en question s'il fut avantageux aux Romains de faire le commerce de l'Arabie et des Indes. Il falloit qu'ils y envoyassent leur argent, et ils n'avoient pas comme nous la ressource de l'Amérique, qui supplée à ce que nous envoyons. Je suis persuadé qu'une des raisons qui firent augmenter chez eux la valeur numéraire des monnoies, c'est-à-dire établir le billon, fut la rareté de l'argent, causée par le transport continuel qui s'en faisoit aux Indes; que si les marchandises de ce pays se vendoient à Rome le centuple, ce profit des Romains se faisoit sur les Romains mêmes, et n'enrichissoit point l'empire.

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procuroit aux Romains une grande navigation, c'est-à-dire une grande puissance; que des marchandises nouvelles augmentoient le commerce intérieur, favorisoient les arts, entretenoient l'industrie; que le nombre des citoyens se multiplioit à proportion des nouveaux moyens qu'on avoit de vivre; que ce nouveau commerce produisoit le luxe, que nous avons prouvé être aussi favorable au gouvernement d'un seul que fatal à celui de plusieurs; que cet établissement fut de même date que la chute de leur république; que le luxe à Rome étoit nécessaire, et qu'il falloit bien qu'une ville qui attiroit à elle toutes les richesses de l'univers les rendît par son luxe.

Strabon' dit que le commerce des Romains aux Indes étoit beaucoup plus considérable que celui des rois d'Égypte; et il est singulier que les Romains, qui connoissoient peu le commerce, aient eu pour celui des Indes plus d'attention que n'en eurent les rois d'Égypte, qui l'avoient, pour ainsi dire, sous les yeux. Il faut expliquer ceci.

Après la mort d'Alexandre, les rois d'Égypte établirent aux Indes un commerce maritime; et les rois de Syrie, qui eurent les provinces les plus orientales de l'empire, et par conséquent les Indes,

1 Il dit, au livre x11, que les Romains y employoient cent vingt navires; et au livre XVII, que les rois grecs y en envoyoient à peine vingt.

maintinrent ce commerce, dont nous avons parlé au chapitre VI, qui se faisoit par les terres et par les fleuves, et qui avoit reçu de nouvelles facilités par l'établissement des colonies macédoniennes; de sorte que l'Europe communiquoit avec les Indes et par l'Égypte et par le royaume de Syrie. Le démembrement qui se fit du royaume de Syrie, d'où se forma celui de Bactriane, ne fit aucun tort à ce commerce. Marin, Tyrien, cité par Ptolomée I, parle des découvertes faites aux Indes par le moyen de quelques marchands macédoniens. Celles que les expéditions des rois n'avoient pas faites, les marchands les firent. Nous voyons dans Ptolomée 2 qu'ils allèrent depuis la tour de Pierre 3 jusqu'à Séra ; et la découverte faite par les marchands d'une étape si reculée, située dans la partie orientale et septentrionale de la Chine, fut une espèce de prodige. Ainsi, sous les rois de Syrie et de Bactriane, les marchandises du midi de l'Inde passoient par l'Indus, l'Oxus, et la mer Caspienne, en occident; et celles des contrées plus orientales et plus septentrionales étoient portées depuis Séra, la tour de Pierre et autres étapes, jusqu'à l'Euphrate. Ces marchands faisoient leur route, tenant à peu près

· Liv. 1, chap. II.

a Liv. vi, chap. XIII.

3 Nos meilleures cartes placent la tour de Pierre au centième degré de longitude, et environ le quarantième de latitude.

le quarantième degré de latitude nord, par des pays qui sont au couchant de la Chine, plus policés qu'ils ne sont aujourd'hui, parce que les Tartares ne les avoient pas encore infestés.

Or, pendant que l'empire de Syrie étendoit si fort son commerce du côté des terres, l'Égypte n'augmenta pas beaucoup son commerce maritime.

Les Parthes parurent, et fondèrent leur empire; et, lorsque l'Égypte tomba sous la puissance des Romains, cet empire étoit dans sa force, et avoit reçu son extension.

Les Romains et les Parthes furent deux puissances rivales, qui combattirent, non pas pour savoir qui devoit régner, mais exister. Entre les deux empires, il se forma des déserts; entre les deux empires, on fut toujours sous les armes : bien loin qu'il y eût de commerce, il n'y eut pas même de communication. L'ambition, la jalousie, la religion, la haine, les mœurs séparèrent tout. Ainsi le commerce entre l'occident et l'orient, qui avoit eu plusieurs routes, n'en eut plus qu'une; et Alexandrie étant devenue la seule étape, cette étape grossit.

Je ne dirai qu'un mot du commerce intérieur. Sa branche principale fut celle des blés qu'on faisoit venir pour la subsistance du peuple de Rome : ce qui étoit une matière de police plutôt qu'un objet de commerce. A cette occasion, les

nautoniers reçurent quelques priviléges, parce 'que le salut de l'empire dépendoit de leur vigilance.

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CHAPITRE XVII.

Du commerce après la destruction des Romains en Occident.

L'empire romain fut envahi; et l'un des effets de la calamité générale fut la destruction du commerce. Les barbares ne le regardèrent d'abord que comme un objet de leurs brigandages; et, quand ils furent établis, ils ne l'honorèrent pas plus que l'agriculture et les autres professions du peuple vaincu.

Bientôt il n'y eut presque plus de commerce en Europe; la noblesse, qui régnoit partout, ne s'en mettoit point en peine.

La loi des Wisigoths permettoit aux particuliers d'occuper la moitié du lit des grands fleuves, pourvu que l'autre restât libre pour les filets et pour les bateaux ; il falloit qu'il y eût bien peu de commerce dans les pays qu'ils avoient conquis.

Dans ces temps-là s'établirent les droits insensés d'aubaine et de naufrage : les hommes pensèrent que, les étrangers ne leur étant unis par aucune

Suet. in Claudio. Leg. vII, cod. Theodos. de naviculariis. › Liv. vIII, tit. IV, S 9.

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